La presse spécifique de la condition des femmes à Cuba

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Il existe à Cuba une presse qui s’adresse principalement aux femmes de ce pays.
A l’approche du 8 mars, Journée Internationale des Droits des Femmes, cet article publié en janvier dernier nous éclaire sur la lutte de ces femmes cubaines qui portent en elles l’esprit révolutionnaire et sur la portée qu’elles souhaitent donner à leur journal.

GD

Une vocation pour promouvoir les destins

Par Lourdes Benitez Cereijo
Publié le 21 janvier 2023 dans Juventud Rebelde

Depuis sa fondation le 18 janvier 1978 en tant que branche de la Fédération des Femmes Cubaines (FMC), "Editorial de la Mujer" a ouvert des routes, forgé des destins, rapproché des horizons et montré d’autres façons de raconter la vie. Accompagner, donner de la dignité, rendre visible, défendre, donner du pouvoir et aspirer à une société plus équitable et inclusive ont été les objectifs clés de son travail.
Tout au long de ses 45 ans d’existence, sa vocation à promouvoir le rêve a été inestimable. Nous nous sommes entretenus avec sa directrice, Marilys Zayas Shuman, sur les défis, les projections et les intentions de la maison d’édition.

Marilys Zayas Shuman, directrice de la « Editorial de la Mujer »(« Maison d’édition de la Femme »). Photo : Radio Rebelde

JR : En repensant à ces 45 années, quels sont les moments et les noms qui ne pouvaient pas manquer ?

Marilys Zayas Shuman : Il faut commencer par la fondation elle-même, qui est le résultat de l’évolution du travail de la revue « Mujeres », qui existait depuis 1961, de la revue « Romances » et des changements nécessaires qui se sont produits avec l’émergence de la FMC (NdT : Fédération des Femmes Cubaines) et l’importance d’avoir un organe de presse pour l’accompagner. « Mujeres » est née de « Vanidades » qui ne reflétait pas les intérêts des femmes cubaines de l’époque.

"C’est à ce moment-là qu’elle a été chargée de collaborer avec l’Organisation sur des questions liées à l’autonomisation, à l’emploi, à la santé et à l’éducation des enfants. Cependant, il devenait difficile de consolider tout ce volume de contenu et il a été proposé à "Romances" de rejoindre la maison d’édition en janvier 1978. En outre, il avait déjà été démontré qu’il était possible de produire des livres à très petite échelle. Ce fut un moment très important car il a dynamisé le positionnement des publications dédiées aux femmes.

"La Période Spéciale a également été significative, puisqu’elle a fermé ses portes et que les journalistes ont été réaffectées. C’est alors que Vilma Espín, principale promotrice et gestionnaire de ces projets, a suggéré que "Mujeres" ne pouvait pas disparaître, ni "Muchacha", créée en 1980 comme une demande des jeunes femmes journalistes. C’est alors qu’apparut le tabloïd "Femmes en campagne". Et bien qu’au cours de ces années difficiles, "Muchacha" ait cessé de paraître en tant que magazine, il est devenu un cahier spécial de "Mujeres", ce qui a sauvé la pérennité de la publication.

"Après ces temps difficiles, Isabel Moya a repris la direction de la publication et, grâce à sa sagesse, elle a réussi à encourager le journalisme inclusif et la communication entre les sexes. Cette approche a été étendue à tous les médias de Cuba par le biais de cours et d’ateliers à l’Institut International de Journalisme José Martí, ainsi que d’événements tels que la Rencontre Ibéro-américaine sur le Genre et la Communication, qui, du point de vue le plus académique, est l’expression ultime du développement de ces questions à Cuba.

"Lorsque l’on parle de personnes que l’on ne peut oublier, l’une d’entre elles est Carolina Aguiar, la première directrice de la maison d’édition. Argentine de naissance, la vie l’a amenée à Cuba et elle a été membre du comité national de la FMC, a travaillé aux côtés de Vilma et l’une de ses tâches était précisément d’assumer ce travail, qu’elle a réalisé pendant de nombreuses années, en plus d’une étape. Les noms de Gladys Egües, María del Carmen Mesta, Iraida Campos et Marilys Suárez sont également remarquables.

"En ce qui concerne la production de livres, il convient de souligner les ouvrages suivants : 40 questions sur le sexe

, d’Aloyma Ravelo ; Abracadabra ¡tú haces la magia !

de Nerys Pupo et Enrique Pérez Díaz ; Macho, varón, masculino

et Por andar vestida de hombre

, du Dr Julio César González Pagés et bien sûr les volumes d’Isabel Moya, comme El sexo de los ángeles

qui sont essentiels".

JR : Quels sont les défis actuels ?

Marilys Zayas Shuman : Un qui est commun à tous les médias imprimés qui dépendent de la polygraphie : celui du papier. Les difficultés de l’imprimé nous ont conduits aux espaces numériques ; et en ce sens, le défi est de continuer à atteindre nos publics cibles, à les conquérir, à les capter.

JR : Que manque-t-il a la maison d’édition, si toutefois il lui manque quelque chose, pour mieux « coller » aux femmes des temps présents ?

Marilys Zayas Shuman : Croire que rien ne manque serait la pire des erreurs. C’est à nous de renforcer notre travail avec les lecteurs, en mettant dans nos pages les problèmes les plus pertinents et les plus critiques. Nous devons continuer à être le lien fiable entre les femmes et leurs organisations, pour faire en sorte que nos rédactions reçoivent les problèmes qui ne sont peut-être pas publiables, mais qui nous aident à traiter la question.

"J’ai parfois l’impression que nous passons à côté d’un morceau de Cuba, car en raison du manque de transport et de carburant, nous ne pouvons pas visiter les autres provinces et il semble que le pays se résume à La Havane ou à l’ouest. Nous devons également nous lancer dans de nouvelles formes de gestion de la presse.

JR : Il existe encore de nombreuses insatisfactions quant à la visibilité des débats sur le genre dans la communication...

Marilys Zayas Shuman : Aujourd’hui, la maison d’édition ne se contente plus d’être un média imprimé ou un site web, nous rêvons d’être une multiplateforme. Dans ce profil, nous travaillons avec une série web qui sort de "Muchacha", intitulée" La palabra maldita". Pour nous, cette initiative a été notre produit phare, car c’est un moyen efficace de rendre visibles ces débats, que ce soit du point de vue de la culture, du sport, des hommes, des féministes ou des constructions institutionnelles, mais toujours en stimulant le débat et la compréhension.

JR : Quels sont les contenus qui ont le plus gagné en force ces derniers temps ?

Marilys Zayas Shuman : La sexualité, l’auto-assistance et la famille sont très populaires. Les livres de cuisine familiale sont très demandés. Mais ces derniers temps, le thème des personnes âgées a gagné en importance. En outre, il existe des volumes spécialisés et des volumes de recherche sur le genre. Il y a une collection qui est une sorte de best-seller, c’est la collection "Acompañarte a la escuela" (T’accompagner à l’école). Un autre joyau est constitué par les productions éditoriales sur l’Histoire dans le style de compilations telles que "Vilma Espín, el fuego de la libertad" (le feu de la liberté).

JR : Cuál es su proyección futura ?

Marilys Zayas Shuman : En principe, se concentrer sur la sensibilisation, l’éducation et la formation basées sur l’égalité des sexes dans tous les domaines. Élargir le champ d’action avec des produits de communication destinés à la population, renforcer les ateliers dédiés aux jeunes et aux adolescents, où l’intention fondamentale est de former des hommes et des femmes de qualité. Nous devons mettre l’accent sur des questions difficiles comme la sexualité précoce, les grossesses chez les adolescentes et la violence de genre. Nous devons échanger avec notre entourage et renforcer notre travail de conservation de l’Histoire.

"Pour le 50e anniversaire, la projection vise fondamentalement à rester fidèle au public et à nos publications. Nous ne pouvons pas nous débarrasser du magazine papier, car il existe un secteur de la société qui, pour diverses raisons, ne peut pas lire sur un écran de téléphone. J’espère que nous pourrons avoir notre propre chaîne, avec des productions radio et télévisées, et qu’elles pourront être mises sur Internet. Il y a vraiment beaucoup de rêves.

JR : Si nous devions considérer la maison d’édition comme une femme, à quoi ressemblerait-elle ?

Marilys Zayas Shuman : Je l’imagine comme une femme cubaine émancipée qui a gagné beaucoup, beaucoup de batailles. Une femme qui ne reste pas assise à contempler les problèmes, mais qui relève les défis. C’est une femme habitée par de nombreuses femmes qui créent et trouvent, de qui elle boit et apprend, par qui elle rêve et construit.

"J’imagine qu’elle entreprend avec elles toutes et qu’elle fait sienne cette révolution dans la révolution dont parlait Fidel. Je pense qu’elle se définit par sa fraternité et son engagement pour les causes justes du monde. Elle ne fait pas de discrimination et se bat contre le patriarcat et le machisme. Elle est l’une de ces femmes sur lesquelles nous savons que nous pouvons compter".