La souveraineté alimentaire en point de mire

Partager cet article facebook linkedin email

A Cuba, toutes les autorités encouragent et soutiennent les initiatives privées ou collectives qui contribuent au développement de l’agriculture urbaine, à l’agro-écologie, à l’économie circulaire, destinées à fournir à la population des denrées que le pays ne peut importer pour cause de blocus.
PH

La petite industrie de l’orient cubain innove en matière de biotechnologie

Article de Dariel Pradas , Inter Press Service Cuba, 30 Octobre 2024

Le ‘Patio La Rosita’, un projet d’agriculture urbaine et de petite industrie privée de Manzanillo, dans l’orient cubain, élabore des bioproduits à partir de déchets organiques.

Le ‘Patio La Rosita’ est un modèle d’agriculture urbaine à Cuba, source de diffusion de la permaculture, de l’agro-écologie et de la biotechnologie dans le secteur agropastoral. Photo : Jorge Luis Baños/ IPS Cuba

Manzanillo. Cuba, 30 oct. En plus d’être un modèle d’agriculture urbaine dans le pays, le ‘Patio La Rosita’ se distingue comme petite industrie privée de l’orient cubain parce qu’il élabore et commercialise des bioproduits dérivés du traitement des déchets organiques.

Il est implanté dans la ville de Manzanillo, dans la province de Granma, à 752 kilomètres de La Havane. Dans son enceinte, de 400 mètres carrés, on met en œuvre la biotechnologie sur plus de 100 lapins dont la reproduction est assurée dans la salle d’insémination artificielle, sur 80 poules et quelques faisans, sur des porcs, sur des poissons d’eau douce nommés tilapias et même sur un couple de paons.

En outre, les bioproduits qu’on obtient là sont utilisés pour la culture des légumes, des fruits, des plantes médicinales, aromatiques et ornementales, de même que sur chaque espace disponible de la cour et dans les pépinières de la toiture-terrasse.

Sans aucun besoin d’engrais chimiques, un cycle fermé avec zéro déchet fonctionne là : les résidus d’un processus servent pour alimenter l’autre ou bien ils sont transformés en biogaz pour cuisiner.

“Nous nous sommes lancés dans ce projet avec cœur, intelligence et sacrifice » commente Josué Guilarte, co-leader de l’initiative avec son épouse, María Rosa León, Rosita, 64 ans.
La formation de Guilarte en biochimie et la culture et le savoir hérités par María Rosa León au fil des générations, s’unissent au service de l’innovation par le biais de leur projet.

« Mes parents étaient paysans et ils étaient très attachés à la terre. Ce nouveau et beau mouvement agro-écologique est ma satisfaction la plus grande » affirme María Rosa León.

Le bioproduit
D’après ces entrepreneurs, n’importe quelle plante germe bien au ‘Patio La Rosita’ malgré la proximité de la côte et les effets de la salinité. Tout se passe bien grâce à l’utilisation d’une substance inoculante microbienne de leur propre fabrication (bio-pesticide), enregistrée en 2022 sous le nom de Germevit au Bureau Cubain de la Propriété Industrielle.

« Ce produit biologique, que l’on obtient en mélangeant et en décomposant la semoule du riz, l’humus de lombric et d’autres ingrédients, contient des bactéries qui évitent les effets nocifs de certains microorganismes dans l’agriculture et l’élevage, » explique María Rosa León.

Approuvée en 2022 comme PDL (Projet de Développement Local) Mini-industrie de Produits Agroécologiques, La Rosita produit et commercialise dans les provinces de l’orient cubain des produits dérivés du traitement des déchets organiques (Photo : Jorge Luis Baños/IPS Cuba)

« Tout ce que l’on voit ici dans la cour est protégé par notre produit, qui facilite le contrôle de l’environnement, élimine les mauvaises odeurs et effarouche les mouches », ajoute-t-elle.

A ce jour, ils produisent jusqu’à huit variantes du Germevit, avec différents dosages et différentes fonctions comme bio-stimulant organique dans l’agriculture et comme additif nutritionnel dans l’activité d’élevage.

Quelques-uns de ces composés sont inscrits au Registre Central des Engrais et au Registre National des Produits pour l’Alimentation Animale.

« Par exemple, si on en met quotidiennement dans la nourriture pour les porcs, il apporte des vitamines et des minéraux qui améliorent la digestion de l’animal et qui préviennent les maladies », souligne Guilarte.

Depuis 2013, date à laquelle est né leur projet d’agriculture urbaine, le couple développe le Germevit, qui a été validé en 2015 et enregistré en 2022.

« Nous avons innové en matière de technologie des microorganismes efficaces pour répondre à un besoin à Cuba, car on n’importait pas d’intrants pour l’agriculture et l’élevage. Alors nous avons décidé de faire de la recherche et de créer les nôtres », indique Guilarte.

« Nous avons innové en matière de technologie des microorganismes efficaces pour répondre à un besoin à Cuba, car on n’importait pas d’intrants pour l’agriculture et l’élevage. Alors nous avons décidé de faire de la recherche et de créer les nôtres », indique Guilarte, l’un des leaders du ‘Patio La Rosita’
(Photo : Jorge Luis Baños/IPS Cuba)

Il n’a y pas que l’argent
Lancé en 2013 en tant qu’initiative communautaire, le projet de développement local (PDL) Mini-industrie de Produits Agro-écologiques La Rosita fonctionne depuis 2022.

C’est aujourd’hui l’un des 56 PDL de la catégorie “économico-productifs”, parmi les 102 approuvés dans la province de Granma, indique Eliécer Castro, chef de la Direction du Développement Territorial du gouvernement provincial.

“Les PDL mènent des activités importantes, qui servent pour le développement intégral d’une commune sous différents aspects, mais il n’y a pas que l’argent, parce que ni nous ne pensions qu’à ça, il n’y aurait pas de développement à Cuba, prévient Guilarte.

Pour abonder dans ce sens, il précise que le Germevit est commercialisé en gros auprès d’entreprises d’état et au détail auprès de personnes privées, dans le but d’encourager l’agriculture urbaine dans les provinces de Las Tunas, Holguín et Granma.

Cependant, la production rencontre des difficultés à cause des retards de paiement de la part des clients, du manque de matière première et de la fourniture des contenants.

La petite industrie a la capacité suffisante pour élaborer en l’espace d’un mois, 8 000 litres de Germevit, avec de l’humus de lombric y une bactérie acido-lactique ‘maison’, mais elle dépend de la disponibilité de la farine et du cylindre de riz comme source de carbohydrates pour faire le mélange.

« Cela fait un an que je ne dispose plus de matière première, et pourtant c’est la deuxième province le plus productrice de riz à Cuba. Et si on n’a pas de matière première, on ne pourra jamais être rentable » se désole Guilarte.

Depuis un an, María Rosa León appartient au Réseau des femmes entrepreneurs de Manzanillo, dans la province de Granma, qui regroupe plus de 30 adhérentes. (Photo : Jorge Luis Baños/IPS Cuba)

Impact social
Au-delà de son activité productive principale, le ‘Patio La Rosita’ a un impact positif sur la communauté.

Beaucoup des œufs, des lapins, des légumes et des condiments qui sont produits ici font l’objet d’une donation aux cantines des foyers maternels ou d’enfants orphelins, ou au Système d’Aide à la Famille, qui fournit des aides alimentaires à des personnes adultes âgées et à des personnes en situation de handicap ou de vulnérabilité économique.

De même, des adhérents au PDL, animent des ateliers d’enseignement sur l’agro-écologie et la permaculture dans des écoles, des centres de travail, des jardins d’enfants et d’autres endroits de Manzanillo, pour stimuler la valorisation des espaces cultivables.

« Nous contribuons à la souveraineté alimentaire. Nous enseignons comment semer dans les cours et comment élever des animaux. Nous offrons une assistance technique pour que les gens apprennent à produire leurs propres aliments » souligne Guilarte.

De son côté, María Rosa León met en avant la contribution du PDL à la sauvegarde du patrimoine culturel cubain. Elle raconte qu’il y a 10 ans ils ont appliqué un traitement (avec des doses de Germevit pendant 15 jours) à un arbre remarquable du domaine La Demajagua où a débuté en 1868 la Guerre d’Indépendance contre la colonialisme espagnol.

Actuellement le Ficus crassinervia (populairement connu dans cette île des Caraïbes sous le nom de ‘jagüey macho’) atteint de la fumagine causée par un champignon, reçoit, régulièrement, des doses du bioproduit élaboré au ‘Patio La Rosita’. (2024)