La vie doit être défendue

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Chronique de Graziella Pogolotti
Publiée par Cubadebate le 1er Février 2023

Haydée Santamaría fut combattante révolutionnaire et politique. Elle a participé à l’assaut de la caserne de Moncada le 26 juillet 1953, ce qui lui a valu d’être incarcérée. Elle a soutenu le détachement de guérilla dirigé par Fidel Castro. Puis elle a fondé et dirigé la Casa da Las Américas et influencé l’évolution culturelle du pays. Graziella Pogolotti dans cet article lui rend hommage à l’occasion du centenaire de sa naissance, pour sa personnalité singulière, son héroïsme et son engagement. Elle nous invite à nous en inspirer.
CD

Graziella Pogolotti

Le 30 décembre dernier notre héroïne de la caserne Moncada, Haydée Santamaria, aurait fêté ses cent ans Nous ne pouvons pas la laisser mourir. La reconnaissance de sa dimension héroïque est un acte de justice historique qui implique la réaffirmation consciente de références indispensables pour continuer à défendre notre projet d’émancipation humaine, et elles ne peuvent être figées comme des statues de marbre. Sa grandeur réside dans le fait qu’elle a su s’en emparer avec sa fragile condition humaine que nous partageons tous.

Après le triomphe de la Révolution, Haydée Santamaría s’est chargée de la fondation, du développement et de la consolidation de la "Casa de las Américas" (Maison des Amériques), l’une de nos institutions culturelles qui a obtenu une reconnaissance internationale et a laissé son empreinte dans l’histoire de notre culture. Photo : Archive

Haydée avait connu l’expérience de l’horreur et de la douleur la plus atroce lorsqu’à la caserne Moncada lui avaient été présentés les restes de l’œil arraché de son frère bien aimé. Et elle a su se relever pour se battre et se mettre au travail.
"La vie doit être défendue" est un recueil complet de textes d’Haydée Santamaría rassemblés récemment par Jaime Gomez Triana et Ana Niria Albo Díaz et conjointement publié par les éditions Casa de las Américas et Uneac.

Pour ceux d’entre nous ayant eu le privilège de connaître Yéyé, la lecture de ces pages nous fait frémir et nous brûle les mains. Nous réentendons sa voix et sa parole reprend vie, porteuse d’une authenticité essentielle révélée dans les entretiens, les rencontres et les conférences et dans la correspondance recueillie dans ce volume dans un ordre strictement chronologique.

Les évènements s’entremêlent aux lueurs des confessions personnelles éclairantes. D’autres lecteurs découvriront l’être humain, ainsi que les clefs fondamentales d’une culture du dialogue et de l’art de faire de la politique.
Haydée Santamaría est née dans la centrale sucrière Constancia, maintenant nommée Abel Santamaría. Douée d’une intuition, d’une sensibilité et d’une intelligence exceptionnelle, dans cet environnement limité elle n’a pu suivre que l’enseignement primaire. Et pourtant dès son plus jeune âge, guidée par son frère Abel, elle fait l’apprentissage de la vie, de la société et de la culture.

Loin des généralisations abstraites, elle a débuté sa formation par la découverte progressive des contradictions latentes dans son environnement immédiat, le rôle des patrons des moulins à sucre, les conditions de vie des plus démunis et l’aliénation de la conscience de sa propre famille, relativement privilégiée car ayant toute l’année un emploi et acquise à la façon de penser des exploiteurs. Sa vision critique vis-à-vis de ses parents n’a jamais entamé l’amour profond qu’elle leur portait.

Quand Abel et Haydée s’installent à La Havane, l’activité d’enseignement se poursuit avec une intensité croissante. L’appartement situé à l’angle de la rue 25 et de la rue O est devenu l’espace où, sous l’autorité et la présence constante de Fidel, se sont forgés des idées, des projets et des actions concrètes en vue d’en finir avec la tyrannie et de construire le pays rêvé.

Haydée avait pris l’habitude de la lecture, qu’elle n’abandonnerait jamais. Marti est devenu son compagnon pour toujours, à la fois dans l’angoisse et la solitude de la prison et dans la tâche créative et féconde entreprise après le triomphe de la Révolution. Comme il se doit dans tout véritable apprentissage, le processus associait la connaissance que donne les écrits et les défis imposés par la réalité palpitante de la vie, car la lecture est une pratique dialogique active. Pour que les pages d’un livre prennent du sens, le lecteur doit formuler des questions émanant du plus profond de son for intérieur et de sa situation.

Dans cette vie commune au milieu de dangers de toute nature, Abel a semé des valeurs dans un esprit doué de sensibilité, d’intuition et d’intelligence innée, parmi lesquelles figurent son incorruptible fidélité à la cause, la confiance en la force transformatrice de l’amour et la prise en compte des particularités dans la manière d’aborder la complexité humaine sans se soumettre à une répartition entre les méchants et les bons.

La subtilité, assumée par Haydée, cette façon d’observer l’autre se révèlerait plus tard à travers les portraits contrastés d’Abel et de Frank País et apparaîtrait aussi dans sa correspondance personnelle s’adressant à un large éventail de destinataires, allant des intellectuels de renommée internationale aux simples citoyens et à un certain contrerévolutionnaire qui était en prison et qui s’était adressé à elle.

Après le triomphe de la Révolution, Haydée Santamaría a pris en charge la fondation, le développement et la consolidation de la Casa de las Américas, une de nos institutions qui a atteint une forte reconnaissance internationale et qui a marqué histoire de notre culture.

Jusqu’alors dévouée au combat dans la Sierra et dans la plaine, elle n’avait pas encore eu l’opportunité de fréquenter le milieu artistique. Mais à travers la lutte elle avait acquis les connaissances essentielles, convaincue que -comme l’avait affirmé Fidel à son arrivée à La Havane en pleine euphorie d’un peuple victorieux- le plus difficile était à venir.

Haydée, avec cette vision, a perçu la nécessité primordiale de renforcer les liens culturels entre les pays d’Amérique Latine. Elle a forgé une équipe plurielle, porteuse d’expériences diverses dans le domaine de la culture et profondément engagée dans le projet émancipateur de Notre Amérique.

Elle a pu compter sur la collaboration, les conseils et les critiques d’intellectuels latino-américains qui ont travaillé pendant un certain temps dans ce qui est devenu leur Maison (Casa). Il faudrait rappeler, parmi tant d’autres, Manuel Galich, Ezequiel Martinez Estrada, Mario Benedetti ainsi que Roque Dalton, Haroldo Conti et Rodolfo Walsh.

Le pouvoir rassembleur d’Haydée, son charisme, lui venaient de son implication dans la vie quotidienne, dans une action politique née de valeurs implantées jadis dans son esprit, d’une étroite union entre la fidélité incorruptible à une cause et sa manière d’établir le dialogue avec des interlocuteurs divers.

Cent ans après sa naissance, sur une planète qui a bien changé, l’enseignement d’Haydée est toujours nécessaire. Ecoutons sa voix et apprenons d’elle.