Le Che est toujours vivant
Par : Graziella Pogolotti
Publié dans Cubadebate le 26 septembre 2022
Graziella Pogolotti souligne l’importance de la vie d’engagement et des écrits de Che Guevara ; elle en montre l’actualité et insiste sur la nécessité de les relire.
Ernesto Che Guevara. Photo : ernestcheguevaralibros.com
55 ans après l’assassinat du Che en Bolivie.
L’impérialisme a dû investir d’énormes ressources financières, militaires et des réservoirs de têtes pensantes pour l’éliminer physiquement. Ils n’imaginaient pas que le rayonnement de sa personnalité dépasserait le champ des idées, qu’elle resterait enracinée tel un germe fertile dans l’imaginaire populaire et dépasserait les limites de notre Amérique pour atteindre les cinq continents, là où hommes et femmes affrontaient des injustices à combattre.
Il nous faudra lui rendre les honneurs qu’il mérite. Mais nous devons surtout nous engager à ne pas cesser d’approfondir l’étude de sa vie et de son œuvre multiple, toutes deux d’une surprenante richesse, à la lumière des circonstances du monde actuel et tout en tenant compte de la brièveté de son existence et des nombreuses tâches accomplies, au cours de ce laps de temps.
Apprenti de l’Amérique, il ne se contentait pas de prendre connaissance des informations transmises par les spécialistes du sujet. Changeant radicalement de perspective, parcourant nos terres avec les moyens du bord et vivant dans le dénuement auprès des ouvriers, des paysans et de tous les laissés pour compte, il a découvert la réalité au plus profond.
Sans écarter les références indispensables, sa vision de l’Amérique s’est construite par le bas, en contact direct avec « les damnés de la terre ». Il a vécu la tragédie du Guatemala, le renversement d’un gouvernement ayant tenté une Réforme Agraire prudente, apprentissage qui lui a permis de déterminer, sur l’essentiel, la nature de l’impérialisme. Il a réussi à échapper à la catastrophe. C’est au Mexique que s’est définitivement scellé son destin au cours de cette longue nuit de dialogue avec Fidel, tous deux désormais unis par le lien des rêves partagés et de la loyauté indestructible.
Avec le départ du Granma, débutera son apprentissage de Cuba qui, avec celui de l’Amérique Latine, l’amènerait à une connaissance plus approfondie des problèmes des êtres humains dans le Tiers Monde sous–développé, du parcours complexe de la construction du socialisme ainsi que des principaux conflits contemporains.
Après les combats de la guérilla, l’avancée vers l’Ouest, la bataille décisive de Santa Clara, sans pour autant négliger ses engagements militaires, il a, après le triomphe de la Révolution, assumé les responsabilités les plus diverses, toujours associées à une discipline d’étude rigoureuse et à un intense travail d’analyse et de réflexion.
En tant que Ministre de l’Industrie et Président de la Banque Nationale, il est allé en visite dans des pays nouvellement libérés pour des missions de travail, ainsi que dans le camp socialiste en Europe et en Asie. La relecture de son œuvre, y compris de ses notes de recherche restées inachevées, est toujours à l’heure actuelle extrêmement utile, malgré les nombreux changements survenus sur notre planète. Et ce, grâce à son esprit critique affuté et pour avoir souligné des contradictions essentielles qui, si elles ne sont pas résolues, conduiront à la destruction de notre espèce, comme l’a aussi signalé Fidel. Ecrit au cours d’une nuit enfiévrée lors de son séjour en Algérie, synthétique tel un crépitement de mitrailleuse, bouleversant par sa vision prophétique, "Le socialisme et l’homme à Cuba" constitue un livre de chevet incontournable.
Soumis à une discipline rigoureuse, au milieu de hautes responsabilités et de tâches accablantes de toute nature, volant des heures au sommeil, il s’est systématiquement consacré à l’étude. Il a analysé en profondeur les classiques du marxisme, s’est plongé dans la complexité des problèmes économiques, en même temps, au petit matin, il suivait les cours de mathématiques du professeur Salvador Vilaseca. Avec ces instruments-là en main, il a créé l’espace idéal pour de vifs débats avec des interlocuteurs nationaux haut placés et des personnalités très prestigieuses au niveau international.
Il détermine l’autorité comme la colonne vertébrale de la Révolution, de la construction du socialisme. Il existe de nombreux témoignages de ceux qui furent ses collaborateurs sur sa manière d’agir et les méthodes employées pour ce faire. Le cas de l’ingénieur Demetrio Presilla est exemplaire. Lorsque l’entreprise d’extraction du nickel a quitté le pays avec les plans de l’installation, Presilla était l’homme de la situation pour remettre en marche l’installation.
Faisant abstraction de différences de point de vue dans leurs convictions philosophiques, le Che lui a accordé une attention toute particulière. Il a, par ailleurs, dû faire face au problème de la formation de personnel qualifié dans une situation extrêmement difficile, avec des dirigeants et des ouvriers dont le niveau, dans le meilleur des cas, ne dépassait pas celui de la classe de 6ème. De nombreux spécialistes qualifiés avaient quitté le pays pour suivre le secteur d’activité qui les avait employés.
Dans une conjoncture aussi défavorable, regardant vers le moyen et long terme, il a fondé un département de psychologie, dirigé par Gustavo Torroella, en vue d’évaluer les qualités des futurs dirigeants. Le Che avait bien compris que la primauté accordée à l’éducation allait bien au-delà d’une réponse adaptée à l’urgence des besoins du moment. La transformation de l’être humain et la lutte sur le plan des valeurs faisaient partie des piliers fondamentaux de la voie vers le socialisme, dans la conscience de ceux qui, progressivement, devenaient les protagonistes de l’Histoire.
Dans la capitale du Mexique, à l’ombre de l’Itza et du Popo, ses volcans protecteurs, cette longue nuit de rencontre et de dialogue entre Fidel et le Che a révélé la profonde unité d’idéaux qui les rapprochait. Cette proximité s’est renforcée tout au long de la guérilla, à travers le travail acharné après la victoire de janvier 1959, y compris pendant les jours tendus de la Crise d’Octobre. Peu enclin aux confessions intimes, Fidel a reconnu au cours des années 80, lorsqu’il a proposé la nécessaire correction des erreurs et tendances défavorables, qu’il rêvait de l’image du Che. Le Commandant Ernesto Guevara avait associé à l’apprentissage de Cuba et de l’Amérique Latine la compréhension du drame qui pesait sur les pays du soit disant « Tiers Monde ». Il avait engagé sa vie et sacrifié sa vocation d’artiste dans la grande entreprise libératrice. Je consacrerai mon prochain article à ce sujet.