Le Cuba sans frontière du pianiste Roberto Fonseca
Pétri de funk, le pianiste et jazzman cubain Roberto Fonseca signe ’Yesun’, un disque en hommage aux divinités qui le protègent.


Roberto Fonseca à Madrid, en novembre. (David Benito/Redferns/Getty)
Son tempérament volcanique, il dit le tenir de Chango, la divinité orisha de la foudre, majeure dans la Santeria des Caraïbes. ’Depuis tout petit, j’entends ma mère me dire d’apprendre à me calmer’, explique Roberto Fonseca, pianistecubain de 44 ans, révélé au monde au début des années 2000 dans les dernières tournées d’IbrahimFerrer et du Buena Vista Social Club, dont il était le junior farceur et un poil zinzin, se levant de son tabouret pour improviser tout en dansant.
Dès cette époque, affublé d’un petit chapeau qu’il tient de son grand-père, il est promis à une belle carrière. Percussionniste à ses heures, il compose depuis l’adolescence et rêve de fusion entre la musique cubaine et les sons américains qui l’excitent : ’HerbieHancock, ChickCorea, mais aussi la soul et le vieux funk.’
A la recherche de sons nouveaux
Le pianiste se souvient d’avoir été initié par ses aînés santeros en ’fils des deux eaux’, c’est-à-dire des déessesYémaya (la mère, associée à la mer, au bleu) etOshun (la sœur, liée aux rivières, à la beauté, au jaune). ’Conformément à la tradition, cette cérémonie servait à donner des conseils.’ Il dit les suivre attentivement depuis vingt ans, à mettre de l’eau dans son vin et à se concentrer sur son piano, ses albums. Le dernier s’intitule Yesun en hommage à ses divines protectrices.Fonseca joue avec les mots. Après ABUC, album revisitant Cuba à l’envers en 2016, voici donc Yesun, contraction de Yémaya et d’Oshun. Le single Aggua célèbre leur pouvoir au détour d’un clip où il salue la magie de l’eau, de la pluie et des ondes. ’Ma musique raconte des histoires et je la conçois avec des images qui me ramènent toujours à la tradition, à la spiritualité.’
Sa musique, joueuse, zigzagante, contrastée, Roberto Fonseca la charge désormais d’autres claviers qu’il rapporte de ses tournées et collectionne. Vintage de préférence, ses Hammond, Rhodes, Moog ou Wurlitzer le guident vers des sons plus aériens qu’il ne se lasse pas d’enlacer aux rythmes dictés par les percussions, mambo,cha-cha-cha, danzón et autres comme sur Motown, où c’est le swing d’une Amérique soul des années 1960 qu’il ressuscite. ’Actuellement, je cherche un clavinet, instrument très associé au funk et introuvable à Cuba’, précise-t-il. La recherche de sons et d’effets nouveaux le passionne. Mais s’il s’enrichit de chœurs ajustés et, de-ci de-là, de mots chantés, c’est sans rompre l’ambiance d’une descarga cubaine, un jam instrumental et improvisé pouvant durer jusqu’à l’aube. ’Je suis encore timide avec le chant mais c’est un objectif. Un jour, je ferai un album de chansons dont j’écrirai les paroles.’
Dans l’immédiat, c’est ’Gracias te doy, aâaa, De Cuba yo soy’ que se contente de signifier l’entraînante et nonchalante louange de Kachucha, interprétée avec IbrahimMaalouf à la trompette. ’Je me reconnais bien dans sa façon de faire une musique différente tout en respectant les traditions.’ Sur Cadenas, avec la voix de sacompatriote chanteuse R’n’BDanaySuárez, il nous embarque pour un voyage plus bavard semé de rap et de funk lascifs dans La Havane d’aujourd’hui.
ATokyo avec Herbie Hancock
Dans un tout autre climat, il ose Por ti, une complainte dépouillée sur quatre notes larmoyantes, du classique limite monocorde qui n’en est pas moins saisissant. ’L’un de mes plus beaux morceaux, s’avance Fonseca. J’ai appris le classique, comme tout musicien cubain. Je joue toujours Bach, Chopin ouMozart pour l’entraînement. Por ti, c’est une digression minimale écrite pour une femme qui traversait un moment difficile à La Havane.’
Lui était en tournée, loin. Une situation qu’il a toujours prise comme la chance de sa vie même si Cuba lui manque parfois. ’C’est une bénédiction de vivre de sa musique, d’enregistrer en France, de jouer à Bamako avec Fatoumata Diawara, à Tokyo avec Herbie Hancock, à Alger, Istanbul. À côté de ça, je voyage depuis février et je n’ai fait que de brefs séjours à La Havane.’ Jamais assez de temps pour démarrer une vie posée, avec femme et enfants ? ’C’est vrai. Mais ça peut évoluer.’
En concert à Paris (salle Pleyel) le 24 mars 2020, Cenon le 1er avril, Saint-Malo le 2 avril.