Le jardin de mon voisin...

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« Où a lieu toute cette agriculture urbaine ? Outre de la culture dans les arrière-cours, on trouve des cultures et des élevages sur les toits et sur les rebords de fenêtres, le long des chemins, au bord des voies ferrées, sous les lignes électriques, dans les zones de servitude, dans les zones non exploitées des zones industrielles, sur des pentes abruptes et les berges des rivières, ainsi que sur les terrains des écoles, des hôpitaux, des prisons et d’autres institutions. Il existe une aquaculture dans des citernes, des étangs et des enclos de rivière. (...) En bref, l’agriculture urbaine est présente partout et partout où les gens pourraient trouver ne serait-ce qu’un tout petit espace pour élever un animal ou semer quelques graines. »
Cultiver de meilleures villes : agriculture urbaine et développement durable, de Luc J. A. Mougeot

Auteur : Victor Fowler | informacion@granmai.cu

Il existe des exemples d’agriculture où l’on peut constater la grâce et l’acuité avec lesquelles le besoin de produire des aliments est résolu par le zèle novateur qui émane de la sagesse populaire. Photo : Germán Veloz Placencia

Un de ces jours où j’admire les récoltes qui remplissent le jardin de Robinson (c’est le nom de famille du voisin), il m’invite à entrer, car il veut me montrer ce qu’il vient de planter : une douzaine d’ignames dans de vieux barils semi-oxydés de 208 litres.

C’est l’un de ces moments magiques où l’on est témoin de la grâce et de l’acuité avec lesquelles un problème grave (la nécessité de produire des aliments) est résolu par l’esprit innovateur qui émane de la sagesse populaire.

Je dois préciser que nous vivons à Cojimar, une zone de la capitale où il suffit de pelleter quelques centimètres pour tomber sur de la roche dure et compacte, si bien que – pour des cultures comme celle-ci – il est nécessaire d’apporter la terre, de la préparer, de chercher ces barils que n’importe qui d’autre jugerait inutiles, d’y semer et de se consacrer ensuite durant de longues semaines aux soins de ce potager inattendu.

À l’opposé de ce que je viens de qualifier de « magique », me vient le souvenir d’une conversation – que j’ai eue avec une autre personne – sur la possibilité de développer davantage l’agriculture urbaine dans ce village côtier où, comme je l’ai déjà dit, mon voisin Robinson et moi vivons.

« Les terres ici ne servent à rien », a répondu mon interlocuteur, de manière lapidaire, sauf que cette fois, il s’agissait de quelqu’un qui avait autrefois exercé une importante responsabilité en tant que dirigeant dans la localité.

Comment concilier l’étincelle créative de l’humble cultivateur avec le rejet avec lequel mon intérêt a été accueilli et dévalorisé ? Comment se fait-il que les terres utiles pour le producteur à petite échelle soient – en même temps – considérées comme inutiles par ceux qui doivent résoudre le problème alimentaire de toute une communauté ? Quel rôle correspond, ou pourrait correspondre, aux dizaines de milliers de petits producteurs individuels (qui le sont déjà, comme mon voisin) ? De quelle manière utilise-t-on les échelles ou les niveaux d’alternatives dans un pays qui a besoin, en même temps (et à une vitesse accélérée) de sortir de la crise, d’installer toute sa structure à un point de stabilité durable et générateur de développement ? Comment faire participer tout le monde, ou du moins une majorité ou un nombre très significatif ? À travers combien de formes différentes et au sein de quelles architectures (de quartier, communautaires, locales, territoriales), qui restent à découvrir ?

Je suis le fils d’un ingénieur agronome, si bien que la conversation sur la qualité des terres et les processus de production a toujours eu lieu dans le milieu dans lequel j’ai grandi.

Depuis l’enfance, j’ai entendu de mon père et de ses collègues des expressions et des mots tels que : hydroponie ou culture hydroponique, irrigation au goutte-à-goutte, engrais organiques, micro-industries sur place, exportation directe, réfrigération et conservation.

Aujourd’hui, à la lumière de nouvelles conceptions, ces questions sont profondément liées à la création/construction de tout type d’établissements humains résilients, un mot que nous devons et devrions analyser, comprendre, multiplier et introduire dans les processus et structures les plus divers de nos vies.

Cela se traduit dans l’articulation de villages, de villes, de municipalités, de régions, de territoires et, en bref, de pays qui ont été conçus et structurés dans l’intention d’être des ensembles capables d’affronter, de résister, de surmonter des conditions et des événements défavorables, non seulement en subissant le moins de dommages possible, mais aussi en préservant la capacité créative/régénératrice et le mouvement vers le développement.

J’avoue que je suis obsédé et fasciné, sous les angles les plus variés, par le sujet de la résilience, à tel point que les nombreux doutes et les questions que je me pose s’y précipitent. Pour écrire ce texte, en fait, j’ai passé des jours à lire des articles sur l’agriculture verticale, les systèmes d’irrigation économes en eau, les potagers urbains et d’autres questions connexes.

D’une manière générale, les textes lient ces pratiques à des menaces telles que le changement climatique et l’augmentation des migrations (internationales et internes, à l’intérieur des pays). À ces forces qui favorisent le déséquilibre, il conviendrait d’ajouter l’impact du type de bouleversement mondial provoqué par la COVID-19 (ainsi que d’autres maladies de même ampleur ou plus importantes que les spécialistes considèrent comme probables) et, de notre point de vue, l’obligation de renforcer la souveraineté alimentaire pour des raisons fondamentales de sécurité nationale.

Dans le cadre du dialogue, jamais achevé, avec mon père, je vous invite à lire quelques lignes du volume Cultiver de meilleures villes : agriculture urbaine et développement durable, de Luc J. A. Mougeot, qui, au moment de la publication du livre en 2006, était un spécialiste principal du programme Agriculture urbaine au Centre de recherches pour le développement international à Ottawa.

Je choisis cette citation car, malgré le temps qui s’est écoulé depuis qu’elle a été formulée, elle reste l’une des plus belles déclarations sur le sujet que je connaisse :

« Où a lieu toute cette agriculture urbaine ? Outre de la culture dans les arrière-cours, on trouve des cultures et des élevages sur les toits et sur les rebords de fenêtres, le long des chemins, au bord des voies ferrées, sous les lignes électriques, dans les zones de servitude, dans les zones non exploitées des zones industrielles, sur des pentes abruptes et les berges des rivières, ainsi que sur les terrains des écoles, des hôpitaux, des prisons et d’autres institutions. Il existe une aquaculture dans des citernes, des étangs et des enclos de rivière. (...) En bref, l’agriculture urbaine est présente partout et partout où les gens pourraient trouver ne serait-ce qu’un tout petit espace pour élever un animal ou semer quelques graines. »

Nous devons croiser cette réflexion avec l’obligation d’atteindre et de renforcer la souveraineté alimentaire nationale. Nous devons publier beaucoup plus sur tous ces sujets, ainsi qu’ouvrir des espaces pour le perfectionnement de ceux qui osent s’aventurer dans ce domaine ; des matériaux de très grande portée, élaborés dans un langage très compréhensible et placés, tout spécialement, dans les unités territoriales les plus simples : le conseil populaire, le quartier, le Comité de défense de la Révolution (CDR).

Nous avons besoin de dirigeants qui vont au-delà de ce qui est possible et évident, afin d’ouvrir ensuite un espace pour l’inventivité et l’imagination. Passer de schémas fondés sur des logiques de consommation reposant sur l’augmentation des importations, à des logiques favorisant la résilience et contribuant à réduire la pression sur les appareils de gouvernement, de l’État et du Parti.

Abandonner et passer des modèles qui ne savent qu’administrer/gérer de hauts niveaux de l’échelle, à ces points du tissu social et économique où producteurs, distributeurs, entrepositaires, transporteurs, vendeurs, transformateurs et consommateurs pourraient être réunis harmonieusement.

Ceci, dans toutes les connexions imaginables de complexité et de formes de propriété, de taille de la terre impliquée (depuis une ferme à une série de bouteilles en plastique remplies de terre dans une humble initiative d’agriculture verticale) et de type de culture (de haute importance alimentaire, comme le riz ou les haricots, ou de caractère accessoire, comme le tilleul ou la camomille).

Soit dit en passant, quelques semaines après cette incursion dans le jardin, mon voisin est arrivé avec une belle igname en cadeau.