Le jour où les Rolling Stones ont fait trembler Cuba.
25 mars 2016 : un jour dans l’histoire
Le temps a passé. En 1962, année de naissance du groupe, le rock était considéré comme une arme de propagande de l’impérialisme américain. Le journal officiel cubain Granma du 4 mars 2016 annonce l’arrivée des Rolling Stones, quelques jours après la visite historique du Président Obama : « Des milliers de Cubains, pris dans une excitation adolescente, vont régler leur contentieux avec le passé et formeront sans doute le public le plus fébrile que les Rolling Stones aient jamais connu dans leur carrière. »
DL
Granma l’annonçait dans ses colonnes le 4 mars 2016
« Les mythiques Rolling Stones ont confirmé dans un communiqué la nouvelle que tout Cuba attendaient : la bande de rock en activité la plus célèbre du monde va donner un concert gratuit le 25 mars à La Havane. Les milliers de fans locaux des Stones vont réaliser leur rêve quand les quatre légendes monteront sur scène pour offrir un concert qui servira de référence historique pour le groupe comme pour Cuba. Il s’agira d’un des plus importants événements musicaux jamais organisés dans l’île depuis 50 ans. »
Pourtant les Rolling Stones, qui labourent la planète depuis plus d’un demi-siècle, sont attendus avec une impatience relative. Effet de nombreux Cubains ne connaissent tout simplement pas la musique du groupe, y compris parfois parmi les musiciens locaux pourtant curieux. Pendant longtemps, seuls les gentils Beatles, moins polémiques ont été tolérés.
Ce concert dans la capitale cubaine vient compléter la tournée organisée par le groupe en Amérique latine « America Latina Ole Tour ». Une semaine avant ce concert historique, l’ambassade britannique organisera une Semaine de la musique à La Havane animée par des groupes de rock cubains qui interpréteront des classiques des années 60.
Photo : CAPTURE D’ÉCRAN / ROLLINGSTONES.COM
Le spectacle, en plein air, commencera à 20 h 30 aux alentours du complexe sportif de la Cuidad Deportiva ("Cité sportive") dans le quartier du Cerro, avec une des scènes les plus imposantes jamais dressées par le légendaire groupe de rock britannique. Une scène de 80 mètres de long a été installée. Dix écrans géants permettront à un demi-million de personnes de se régaler. On ne rigole pas avec la logistique : un Boeing 747 est venu pour acheminer pas moins de 61 conteneurs.
Le concert est gratuit. Il est entièrement financé par le groupe. Les Stones se rembourseront avec la captation de cet événement qui fera l’objet d’une parution DVD et d’un CD. Aucun risque : à concert historique, contrats fameux ! Les droits de diffusion télé couvriront largement les frais engagés. Paul Dugdale, un réalisateur expérimenté qui a enregistré des concerts importants d’artistes de renommée internationale, filme l’événement à la Ciudad Deportiva, où l’on estime finalement que plus de 1,2 million de fans du groupe se sont finalement rassemblés.
On trouve encore quelques affiches, officielles ou non, chez un bouquiniste en haut de Calle Obispo
Photo : D. Lavauzelle
En plus de la qualité de ce concert historique, ce ne sera pas le seul cadeau du groupe britannique : il fera don d’instruments de musique et de matériel musical aux écoles de musique de Cuba et aux groupes de rock cubains à travers l’Institut de musique, avec lequel il était en négociation depuis plusieurs mois en vue de la réalisation de ce spectacle. Les entreprises renommées donatrices sont Gibson, Vic Firth, RS Berkeley, Pearl, Gretsch, Latin Percussion, Roland et BOSS, avec le soutien supplémentaire de l’Académie latine des arts et des sciences de l’enregistrement.
Ce soir-là, en face de la Ciudad Deportiva de la Habana, pas un seul vendeur de T-shirt ou revendeur de billet et Keith Richards peut entamer les premiers riffs du classique « Jumpin ‘Jack Flash » à 20 heures 34. « C’est un jour nouveau, lance le Mick Jagger face à la foule en délire. Nous savons qu’il fut un temps où il était difficile d’écouter notre musique à Cuba, mais nous sommes ici. Je pense que finalement les temps changent, n’est-ce pas ? »
Photo : Roberto Ruiz
Après une douzaine de chansons, les Stones entament « Gimme Shelter » . La voix de Jagger restera solide tout au long de la soirée, toujours en pleine forme après une heure de show et à son plus haut niveau de maîtrise dans le duo avec la choriste Sasha Allen. Puis la chorale locale Entrevoces, dirigée par le maestro Digna Guerra monte sur scène pour ouvrir « You Can’t Always Get What You Want » avant de clore le concert par « (I Can’t Get No) Satisfaction. »
Ce « Concert pour l’amitié » marquera la fin de la tournée latino-américaine des Stones, entamée en février. « Nous nous sommes produits dans de nombreux endroits spéciaux au cours de notre longue carrière, mais ce spectacle à La Havane sera un événement exceptionnel pour nous, et nous espérons qu’il le sera aussi pour tous nos amis à Cuba », a déclaré le groupe, cité par l’ICM dans son communiqué de presse.
Photo : Roberto Ruiz
Léonardo Padura évoque avec humour cet événement et ironie dans son dernier ouvrage « Ouragans Tropicaux ». Les Stones débarquent sur l’île quelques jours après la visite d’Obama et La Havane est en liesse.
Extraits :
Ouragans Tropicaux, L. Padura, ed. Métaillé
On percevait comme une aura bénéfique palpable dans l’air. Peut-être un état de joie, d’espoirs, une atmosphère de changement ou du moins de désirs de changements, un besoin de retrouver la possibilité de rêver, après tant de nuits d’insomnie.
Les rues de la ville ressemblaient à une fourmilière en folie. Des centaines de gens de tous âges et aux looks les plus variés marchaient dans les rues, gênant la circulation qu’une armée de policiers, également de tous les âges et de tous les looks possibles avait le plus grand mal à organiser et fluidifier. Débordés par la foule qui était là seulement pour la musique et pour faire la fête, les agents canalisaient les flots d’individus, sans cesser de lancer des regards soupçonneux de tous côtés, comme des ventilateurs rotatifs énervés. Mais les agents en uniforme et les centaines de chiens de garde mal déguisés en civil ne parvenaient à voir que des affiches avec des photos des musiciens, avec l’image de la langue tirée provoquante qui les identifiait, des pancartes(…) plus ou moins bien faites qui proclamaient la pour le diable, que-tout n’était que rock and roll, que tu n’obtiens jamais ce que tu veux. Cuba socialiste, camarades Stones, lisait-on sur d’autres. (…) Des parents et même des arrière-grands-parents(…) embrassaient des enfants et des petits-enfants, proches ou comme si la concorde entre les hommes avait été possible, peut-être même plus puissante que la haine. Face à une scène de concert se condensait la possibilité d’une meilleure coexistence, grâce à la musique, à la nostalgie, à la réalisation d’un rêve, tardive mais cathartique. Une prodigieuse épiphanie havanaise. Et tous ceux étaient entraînés par ce magnétisme bénéfique profitaient à plein des vacances concédées, et certains osaient même se mettre à rêver à plus, parce que tout n’était pas forcément du rock and roll et une fois, un jour, il fallait bien obtenir ce que tu voulais, non ?
Sources
https://fr.granma.cu/cultura/2016-03-04/les-rolling-stones-a-la-havane
https://www.juventudrebelde.cu/cultura/2016-03-01/the-rolling-stones-estremecera-este-25-de-marzo-la-ciudad-deportiva
https://information.tv5monde.com/culture/cuba-lapotheose-des-rolling-stones-24574
https://www.rollingstone.fr/les-rolling-stones-font-trembler-cuba/