Le patriotisme, un ferment présent dans la vie d’Eusebio Leal
Par ARACELI GARCÍA CARRANZA Publié dans Cubarte le 11 sept 2021
Tous les Cubains pensent et savent avec certitude qu’Eusebio Leal était un homme exceptionnel, la fierté de ce peuple qui l’a vu parcourir les rues de La Havane dès 1959, alors qu’il avait à peine 17 ans.
Mais à l’époque, il ne rêvait pas seulement de restaurer et de préserver ses rues et ses bâtiments, mais apportait des pierres et des pavés pour construire et reconstruire.
C’est ainsi que l’a vu Alejo Carpentier qui, au début, ne savait pas qui était ce jeune homme dur à la tâche, mais il ne l’a pas perdu de vue. C’est pourquoi je crois que notre cher Alejo l’a découvert ; il a su saisir et prévoir sa nature exceptionnelle.
"Le patriotisme est le meilleur ferment de toutes les vertus connues à ce jour", José Martí.
Bien des années plus tard, exactement au Mémorial José Martí, dès que ma sœur Josefina et moi avons rencontré Leal, nous avons accepté de compiler son œuvre, sans savoir que nous allions montrer et démontrer son caractère exceptionnel.
Sur la base de la collection factice de la Oficina del Historiador de la Ciudad (NdT :OHC-Bureau de l’Historien de la Ville) et de ses rapports annuels et en utilisant les fonds de la BN, (Bibliothèque Nationale), nous avons réussi à publier les deux premiers volumes de sa biobibliographie qui, des années plus tard, seront cinq publiés par les Editions Boloña entre 1998-2014 et édités avec soin et minutie par Norma Suárez Suárez.
Ces volumes couvrent la vie et l’œuvre de Leal de 1942 à 2012, dans le dernier volume apparaît l’année 2013.
Le décès de ma sœur Josefina en 2006 a empêché la poursuite du travail avec sa collaboration, mais la vie m’a permis d’aller jusqu’au tome 5.
Son éloquence continue de s’élever, de plus en plus illuminée par son patriotisme.
De 2013 à nos jours, il reste beaucoup de l’œuvre d’Eusebio à compiler et je suis sûre que si la vie ne me le permet pas, d’autres bibliographes s’attaqueront à ce travail pour le bien des générations futures.
Ces dernières années ont également été caractérisées par un travail vaste et fructueux, il y a donc beaucoup à ajouter à sa trajectoire vitale et à sa bibliographie car dans sa vie et son œuvre sont restés intacts : la volonté de faire et de créer, la persévérance et la ténacité de ses jeunes années.
Ces derniers temps, son éloquence a continué à s’élever, de plus en plus illuminée par son patriotisme et il a donc toujours et pour toujours occupé une place importante dans la petite lignée des orateurs cubains qui trouvent leur meilleure expression dans les mots de José Martí.
Et si la plupart de ses discours ont échappé à la presse écrite, heureusement, en 2013, son ouvrage « Hijo de mi tiempo » a été publié, avec des discours véritablement anthologiques, comme ceux prononcés lors de l’Encuentro Diálogo Entre Cubanos ; lors de l’exhumation des restes d’Emilia Teurbe-Tolón ; lors de la séance solennelle de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire pour commémorer le demi-millénaire de la fondation de l’ancien village de Nuestra Señora de la Asunción de Baracoa et autres.
En 2015, il a publié « Eterna sabiduría » ndt (sagesse éternelle » un volume qui propose de nombreux autres discours sur des événements pertinents de notre histoire, comme : « El 24 de febrero de 1895 », « Carlos Manuel de Céspedes, el Padre de la Patria », « Retorno del diario perdido », « 27 de noviembre », « Volver a Martí » « Trinidad es peregrinación » ; « Camagüey : gloria de Cuba » et « Elogio de Matanzas », pour n’en citer que quelques-uns.
Ces deux ouvrages sont un petit échantillon représentatif du meilleur de son art oratoire, auquel il convient d’ajouter d’autres discours.
Quant aux documents imprimés, ils ont été décrits et analysés dans notre répertoire sans sélection préalable, en essayant d’atteindre l’exhaustivité. Mais nous avons vite su que ce n’était qu’une illusion, bien que la bibliographie en tant qu’ouvrage de référence serait toujours utile, car elle apporterait des informations précieuses et précises en faisant connaître, dans une certaine mesure, cette vie et cette œuvre, dotée d’une telle richesse qu’elle dépasse les contrôles bibliographiques, entre autres raisons parce qu’une partie considérable de son œuvre n’a pas été publiée, ni enregistrée.
Cependant, sa vaste trajectoire vitale nous rapproche d’une vie créative et laborieuse qui semble faire référence à la vie et à l’œuvre de plusieurs hommes embrassés par la passion de l’histoire de Cuba et de l’Amérique, de plusieurs hommes embrassés par la passion de créer afin de faire perdurer la mémoire historique et le patrimoine culturel de Cuba.
La bibliographie active va au-delà, citant son travail enregistré et filmé pour la radio, la télévision et le cinéma, notamment son monumental programme Andar La Habana et ses apparitions sur Habana Radio, la station de radio qu’il a fondée avec succès et où il a popularisé son programme Tribuna del Historiador (La Tribune de l’Historien).
Dans une autre partie de sa bibliographie active, non moins pertinente, se trouvent ses interviews, car elles contiennent ses idées en tant qu’historien, homme politique et intellectuel. Ces textes, qui méritent d’être publiés sous forme de livre, expriment sa manière d’être, sa spontanéité et la maîtrise de ses possibilités expressives.
Ils constituent des sources pour mieux comprendre la pensée de cet homme dont l’œuvre active, essentiellement oratoire, a échappé à l’impression. C’est parce qu’il a répondu à l’urgence de son temps sans rien enlever à son autorité, son érudition et sa réflexion.
Textes faisant allusion à l’énorme travail de l’OHC
La sélection que nous avons exercée sur sa bibliographie passive a été sélective, nous n’avons retenu que les textes qui font allusion à l’énorme travail de l’OHC, et qui prouvent comment Leal a réussi à mener à bien un projet culturel et a sauvé des ruines une partie du patrimoine historique au profit de la société, dans l’ordre économique, politique et social.
Dans le même temps, la pratique de la conservation et de la restauration en a fait une théorie appréciable qui transcende les limites de notre île.
Leal a réussi à faire en sorte que l’OHC réponde aux besoins de la communauté, une tâche qui a exigé un effort énorme et, à mon avis, surhumain. Le 10 juillet 1996 exactement, il a créé le Groupe de travail communautaire, qui s’est chargé de dialoguer avec des résidents de la Vieille Havane afin que l’Office, qui s’est engagé dans la restauration matérielle et sociale du Centre historique, communique directement avec la vie quotidienne de ses habitants.
Son programme d’aide aux centres d’éducation et de santé contribue à la solution des besoins fondamentaux et en 1996, le processus éditorial de l’OHC a été structuré.
L’éditeur Boloña a depuis publié le magazine Opus Habana et a développé un mouvement éditorial avec un excellent contenu intellectuel, une grande qualité et un beau design.
En 1998, le Bureau a fait de la coopération en matière de solidarité internationale une tâche de premier plan, dont l’un des fruits a été le beau musée du pays au Palais du Deuxième Cap, entre autres.
Son projet de restauration s’inspire du rayonnement de la culture, identifie son travail et ainsi qu’il l’a démontré avec la création de Habana Radio, un média visant à promouvoir les valeurs nationales et patriotiques dans la société cubaine.
En 1999, l’Office a mis en place une vaste structure dérivée des dimensions atteintes par ses travaux antérieurs : le Plan directeur, la Direction du patrimoine culturel, la Direction de l’architecture et des projets, les Groupes spéciaux qui s’occupent encore plus de l’assistance sociale et communautaire, la Direction du logement, la Direction de l’économie et l’École-atelier Gaspar Melchor de Jovellanos qui forme des ouvriers qualifiés dans les arts de la restauration.
IL n’a pas perdu de vue le sens humain et social de la culture.
En 2001, avec la si nécessaire attention accordée aux personnes âgées, l’Office encourage des grands changements dans le mode de vie des personnes âgées par le biais d’actions éducatives et culturelles. Leal s’est beaucoup battu pour la dignité des personnes âgées.
Mais l’Office a continué à se développer, à se modifier et à se perfectionner et il n’est pas possible en si peu de temps de continuer à détailler son immense travail, pour lequel je vous renvoie aux Rapports annuels de cette institution, sources bibliographiques essentielles qui montrent comment Eusebio Leal dans sa tâche gigantesque n’a pas perdu de vue le sens humain et social de la culture, de l’histoire, de la restauration, ni le concept de beauté.
Leal a restauré pour que sa population puisse profiter d’une ville vivante en parvenant à créer des emplois et des dizaines d’investissements qui favoriseraient la Vieille Havane et à leur tour profiteraient à l’État cubain.
Car Leal ne s’est pas contenté de restaurer et de réhabiliter des bâtiments, il a également développé des actions visant à améliorer la vie spirituelle et matérielle des habitants de son entourage, entre autres : l’attention systématique aux écoles primaires et aux foyers des aînés, la conservation et l’entretien des salles de cours des musées et des maisons spécialisées et la préparation d’activités récréatives et didactiques pour les enfants, les jeunes et les adultes.
Son projet Rutas y Andares (NdT : Itinéraires et Randonnées) a notamment remporté le troisième prix ibéro-américain pour l’éducation et les musées décerné par le Secrétariat général ibéro-américain en 2010.
Notez que dans la Biobibliographie de Leal, exactement dans les trois premiers volumes, la décennie 1994-2004 est présente une période d’une des pires crises économiques de Cuba, cependant, le travail réalisé par l’OHC est un vrai miracle et cela est prouvé par notre répertoire et les Rapports annuels de l’Office.
Au cours de cette décennie, dix fois plus de biens ont été récupérés qu’au cours des années précédentes et treize mille emplois ont été créés. Par conséquent, notre biobibliographie ne se contente pas de définir les lignes directrices d’une biographie de Leal, mais constitue également une mémoire vivante, un inventaire précieux de la vie et de l’œuvre d’un homme extraordinaire.
Mais combien Leal a-t-il fait ? Il est impossible d’énumérer ses batailles, sans doute dans notre inventaire biobibliographique il manque des données, et à partir de 2012 même celles-ci ne sont pas compilées, peut-être une de ses œuvres les plus sublimes de ces dernières années a été que Cuba possède le Martí équestre de la sculptrice américaine A. H. Huntington, un effort de gladiateur dans lequel il a persévéré pendant plus de 20 ans.
Ainsi, comme pour ma sœur Josefina et moi, notre répertoire biobibliographique a été un accomplissement professionnel et une satisfaction personnelle car nous montrons et démontrons que Leal n’est pas seulement un héros du travail de la République de Cuba, il n’est pas seulement un Cubain qui a mérité d’innombrables prix, décorations et doctorats Honoris Causa, mais il est et a été le découvreur et redécouvreur, chaque jour et pendant des années, de sa Havane, notre Havane, parce qu’il nous a appris à la connaître, et il mérite à jamais la reconnaissance de son peuple parce qu’il a consacré sa vie à la défense des valeurs qui identifient la nation cubaine.
Leal a multiplié sa vie
Leal a exprimé quelques fois son besoin de vivre d’autres vies pour poursuivre et achever son travail, mais les cinq volumes de sa biobibliographie montrent que, en tant qu’homme, Leal a multiplié sa vie, car à travers son travail et son dévouement, il semble avoir vécu la vie de plusieurs hommes dédiés à la passion de servir, créer, valoriser et transmettre la culture.
Je reconnais que j’ai eu la chance de compiler également l’œuvre d’Emilio Roig de Leuchesenring, que Leal évoquait constamment, parce que Leal était très loyal, et a toujours reconnu que son œuvre était redevable à l’œuvre de Roig et la poursuivait.
Tous deux ont donné leur talent à la patrie cubaine, mais il n’y a pas d’œuvres égales, ni même similaires, chacune en son temps et avec sa propre dynamique et chacune, face à son propre chemin, bien que dans la vie et dans l’œuvre elles soient intimement unies, car la vie sans l’œuvre est stérile, comme disait Ludwig Renn.
Mais si Roig vivait, comme tout vrai, bon et généreux professeur, comme un évangile vivant il serait satisfait de l’immensité et de l’intensité du travail de son continuateur.
Un ami cher de Cuba a défini Eusebio Leal comme un patriote, et ce seul adjectif pour quelqu’un qui en mérite tant m’a rappelé les mots de l’apôtre Martí écrits dans ses carnets : "Le patriotisme est, de toutes les vertus connues à ce jour, le meilleur ferment de toutes les vertus". Et ce ferment a toujours été présent dans la vie et l’action d’Eusebio Leal.