Le sous- sol de la ville

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Le sous- sol de la ville

Auteur : Graziella Pogolotti 

22 septembre 2019

http://www.granma.cu/opinion/2019-09-22/el-subsuelo-de-la-ciudad-22-09-2019-20-09-17

La croissance démesurée des villes nuit à la préservation de {{}}leur développement durable. Au cours du XXème siècle l’expansion démographique de quelques grandes villes d’Amérique Latine a provoqué la concentration de millions d’habitants dont le nombre a dépassé celui de pays comme le nôtre.

J’ai connu la ville de Mexico quand elle était la région où l’air était encore le plus pur. En quelques années elle est devenue une mégalopole avec de très graves problèmes de pollution atmosphérique et de sérieuses difficultés de déplacement pour les personnes. Les nouveaux habitants venaient des zones rurales paupérisées et ils se lançaient à la recherche d’un emploi de service et dans le secteur de l’économie parallèle.

J’ai beaucoup appris sur l’histoire de l’architecture et du développement de l’urbanisme, une science éminemment interdisciplinaire visant à poser les bases conceptuelles d’un développement harmonieux qui tienne compte, à la fois, des facteurs techniques et sociaux dans le but de garantir un habitat adapté aux besoins matériels et spirituels de l’être humain.

Cependant une plus grande prise de recul m’avait amenée à deviner l’emplacement du cœur des villes qui en assure la vitalité. Dans l’un des passages les plus émouvants des Misérables de Victor Hugo on assiste à la poursuite du protagoniste par son ennemi invétéré, à travers les égouts de Paris.

C’est par ce vaste réseau souterrain qu’est éliminée une bonne partie des déchets générés par la population dans sa vie quotidienne , tout comme ceux résultant du développement des habitudes de consommation. Ce sont les eaux usées qui, ne trouvant pas d’évacuation, jaillissent à la surface avec la puanteur en résultant ajoutée à la menace pour la santé, encore bien plus grave. Les ensembles urbains les plus accueillants sont menacés par la dégradation de l’hygiène qui vient du sous-sol.

C’est grâce à ce territoire invisible que se fait l’acheminement de l’eau, du gaz, et dans de nombreuses zones, de l’électricité ; contribution du progrès humain pour maintenir la vie que nous connaissons depuis le développement de la modernité. Sans tout ça, la vie dans les concentrations urbaines serait impossible.

Bien que n’ayant pas atteint les dimensions des mégalopoles, La Havane a eu une croissance incessante au cours du XXème siècle. Dans la capitale du pays se concentrait l’Administration gouvernementale, support d’une bureaucratie hypertrophiée pendant la République néocoloniale, par le clientélisme politique, les prétendues pots de vin qui servaient à dédommager les électeurs des partis politiques.

De par sa situation géographique, elle concentrait toujours l’accès à l’importation et l’exportation de marchandises, tout en restant le centre du monde des affaires. Malgré le chômage en vigueur et devant la misère des campagnes l’immigration interne a été constante. C’est ainsi que La Havane s’est développée horizontalement. El Vedado un ensemble urbain est apparu, intégralement conçu selon les tendances de pointe de l’époque.

Les tentacules de la ville se sont emparées des localités voisines telles que Marianao et Santa María Del Rosario, par le biais de lotissements de qualité inégale. Il y a eu des zones résidentielles de luxe, des quartiers modestes, des aménagements improvisés en raison de spéculations financières sur la valeur du terrain, conçus parfois au mépris de la conformité avec l’infrastructure du sous-sol. On a aussi urbanisé des zones rurales, comme ce fut le cas de la localité d’Arroyo Naranjo.

La construction du tunnel sous la baie et le triomphe de la révolution ont développé la construction de logements dans la direction opposée à celle traditionnelle de la ville. On a réalisé une évolution vers l’est. Il y a eu dans cette direction deux étapes, l’une d’elle avec la création de l’Institut de l’Epargne et du logement, qui a favorisé un travail remarquable et constructif dans cette zone et ailleurs.

Sous la pression inévitable de la croissance démographique, le mouvement de micro brigades a construit rapidement le quartier d’Alamar, où se concentre aujourd’hui un nombre considérable d’habitants. Les périodes successives de précarité économique, les effets du blocus et l’effondrement du camp socialiste associés à l’exigence de priorités pour d’autres investissements, ont contribué au manque d’entretien du sous- sol et de tout ce qui apparait à la vue des passants.

Par ailleurs, de nombreux logements improvisés ont vu le jour, souvent dépourvus de réseaux adaptés. Les distances entre le domicile et le lieu de travail se sont allongées. La ville qui à l’aube du XXème siècle faisait tomber les murailles qui jadis la protégèrent des attaques des pirates, est devenue La grande Havane. La commémoration des 500 ans de sa naissance incite à une nécessaire analyse interdisciplinaire visant à définir des stratégies, à court, moyen et long terme, qui tiennent compte de la réalité concrète du présent et des perspectives que l’avenir réserve.

Tout semble indiquer que le temps des mégalopoles touche à sa fin. Les technologies de la communication facilitent le travail à distance. L’augmentation de l’automatisation des processus et l’intégration annoncée de l’intelligence artificielle poseront des problèmes pratiques et sociaux quant au partage de l’emploi, ajoutés à l’exigence de mettre fin à la dégradation de la nature.

Nos faiblesses actuelles peuvent se transformer en forces car, malgré tout, nos villes conservent une dimension humaine, avec la respiration qu’offrent ces parcs et ses espaces de conviviaux.

Nous disposons d’un panorama architectural dont la construction, sans ignorer les tendances de chaque époque, ne s’est pas contentée d’être une copie conforme. Il s’est adapté aux caractéristiques des matériaux disponibles et aux exigences du climat. Sur le littoral havanais on n’a pas édifié de grandes barres qui nuiraient au mouvement naturel de la brise.

Le charme de La Havane vient du caractère de ses habitants et de la préservation du récit historique de son paysage architectural. Privilégier le bien être de sa population ; transformer en conscience active son amour pour l’environnement bâti et développer un tourisme de plus en plus qualifié sont des facteurs indépendants qui agissent en faveur du développement auquel nous aspirons.