Le sucre à Cuba : partir de la réalité pour se relancer

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La récolte de la canne à sucre (zafra) s’étale de novembre à mai.
Depuis plusieurs années, les résultats sont inférieurs aux prévisions et la dernière récolte est la plus faible depuis 100 ans puisque 36 centrales (sucreries) ont moulu 16 millions de tonnes de canne pour obtenir 480 000 tonnes de sucre, soit la moitié des prévisions.
Cela signifie que Cuba pourra tout juste, avec sa propre production, faire face à ses besoins en sucre (estimés à environ 500 000 tonnes par an).
Comment se situe Cuba sur le marché mondial du sucre ?
Comment la Grande Île peut-elle relancer sa production de sucre et sur quelles bases ?

1 La zafra 2021-2022 a donné les résultats les plus bas depuis 100 ans.

La récolte de la canne à sucre (zafra) s’étale de novembre à mai.
Depuis plusieurs années, les résultats sont inférieurs aux prévisions et la dernière récolte est la plus faible depuis 100 ans puisque 36 centrales (sucreries) ont moulu 16 millions de tonnes de canne pour obtenir 480 000 tonnes de sucre, soit la moitié des prévisions.
Cela signifie que Cuba pourra tout juste, avec sa propre production, faire face à ses besoins en sucre (estimés à environ 500 000 tonnes par an).

On est très loin des 8 millions de tonnes produites en 1990 quand la Grande Île vendait son sucre, à des prix préférentiels, aux pays du bloc socialiste, en pouvant ainsi assurer un certain confort matériel à la population. C’était les derniers temps où le sucre représentait la plus importante des exportations du pays.

Récemment, la vente de sucre n’occupait plus que 1,3 % du total des exportations de Cuba, derrière les services, les produits miniers et le tabac.

Cependant, la question de la canne à sucre est un des plus importants symboles de la conscience cubaine, d’autant qu’elle concerne 180 000 travailleurs et leurs familles.

C’est pour cela que les torchons anti cubains de Miami se réjouissent, comme à leur habitude, des difficultés du pays en croyant donner la preuve de l’échec de tout un système : pour Diario de Cuba « c’est la mort de l’industrie sucrière cubaine », pour 14 y Medio : « La récolte de canne s’effondre à nouveau », pour ADN Cuba : « Le régime devra importer du sucre ».

Toujours comme à leur habitude, ils ne parlent pas du blocus inhumain, imposé par les USA, qui empêche l’île de se procurer les pièces de rechange indispensables pour les machines agricoles et les usines, pour acheter les fertilisants et autres produits nécessaires pour l’obtention de rendements convenables. Le mauvais état général du matériel et des usines et le manque de carburant font partie des raisons principales des mauvaises récoltes.

Il faut ajouter au blocus les effets du terrible cyclone Irma (2017) qui a détruit 430 000 hectares de canne et mis une vingtaine de sucreries hors d’état de fonctionner. A lui seul, cet ouragan est responsable d’une diminution de la production de sucre de 700 000 tonnes chaque année.

Parmi les 36 centrales qui ont participé à la récolte, seules 3 ont atteint les prévisions. Le pays ne disposait que de 37 % des fertilisants nécessaires et 42 % des terres ont eu un rendement inférieur à 30 tonnes par hectare. La récolte de canne et le fonctionnement des sucreries ne sont possibles que grâce à l’esprit ingénieux de leurs travailleurs, mais celui-ci ne peut pas tout.

Avant de tirer des plans sur la comète, comme le font les médias anti cubains, il est indispensable de jeter un coup d’œil sur la situation de l’industrie sucrière au niveau mondial afin de savoir comment se situe Cuba et de quelle façon cette activité peut avoir un avenir dans l’île.

2 La situation internationale.

Les trois quarts de la production de sucre au niveau mondial proviennent de la canne à sucre, le reste vient de la betterave.

Le premier producteur mondial est le Brésil suivi par l’Inde. Le Brésil, en 2016, était le premier exportateur mondial de sucre (29 MT) avec un niveau d’intégration de production très élevé. Le secteur a bénéficié d’importantes aides de l’Etat, qui lui ont permis d’investir dans du matériel moderne, et 55% de sa production est transformée en carburant (éthanol).
Comme on le voit, Cuba se situait à la 22ème place mondiale et cette position s’est encore dégradée, compte tenu des mauvais résultats de la campagne 2021-2022.

Cuba, avec 20 millions de tonnes de canne récoltées, se situe au 13ème rang mondial, mais le manque de fertilisants et de pièces de rechange fait chuter le rendement par hectare à 40 tonnes.

55 % de la récolte mondiale est destinée à la production de carburant (éthanol), ce qui a une influence importante sur le cours du sucre quand il s’agit de faire des arbitrages entre carburant pétrolier et sucrier.

La demande de sucre, au niveau mondial, croît avec l’augmentation du niveau de vie, mais est restée inférieure à l’offre globale jusqu’à ces trois dernières années.

Ce sont principalement les effets de la spéculation qui ont fait varier les cours du sucre avec des niveaux de prix montrant, aussi dans ce domaine, la déconnexion existante entre l’économie réelle et les jeux boursiers (source France AgriMer).

Il s’agit donc d’un marché dominé par deux géants (Brésil et Inde), demandant des investissements importants, dégageant des marges relativement faibles et dont les prix varient selon les objectifs des spéculateurs.

Un rapport gouvernemental français de mars 2021 (Perspectives de la filière canne-sucre-rhum-énergie en Outre-mer) explique que la France ne parvient pas à rentabiliser sa filière canne à sucre dans les départements et régions d’outre-mer, pourtant largement aidée par l’État et l’UE.
On y lit : « Fonder l’économie sucrière des DOM sur un produit fongible, soumis à une rude concurrence internationale avec des pays producteurs à bas coûts, ne semble pas être un positionnement porteur d’avenir ».
Il est écrit plus loin : « Les cours sont très dépendants de la politique brésilienne ; et même des pays à faibles coûts de production, comme l’Inde et la Thaïlande, paraissent avoir des difficultés à produire au prix de marché. »

Ce qui est vrai pour les Antilles Françaises l’est encore plus pour Cuba qui ne dispose pas des mêmes ressources que la France et l’Union Européenne et dont les rendements sont les plus faibles parmi les principaux pays producteurs.

3 Partir de la réalité pour se relancer.

Les décisions du gouvernement cubain tiennent compte de ce contexte pour dire que l’on continuera de produire du sucre dans le pays, mais que la stratégie sera de produire pour satisfaire la consommation nationale (domestique et industrielle).

La canne permet aussi de fabriquer d’autres produits que le sucre, comme le rhum, de l’électricité, du gaz, des dérivés pour l’industrie (pharmaceutique, par exemple) ou pour l’alimentation humaine et animale. Il y a donc là des opportunités de développement en lien avec des secteurs de pointe de l’économie cubaine (biotechnologies, par exemple).

Il convient aussi de mieux s’appuyer sur les centres de recherche scientifique et les universités pour améliorer le secteur de la canne. Des expériences sont menées pour améliorer les rendements de façon remarquable grâce à des méthodes de travail innovantes et à l’utilisation de produits biologiques sans attendre la livraison de fertilisants. La mission que Cuba Coopération a menée, en avril mai 2022, a pu le constater à Cienfuegos dont l’usine « 14 Juillet » fait partie des 3 centrales ayant atteint leurs prévisions.

Pour la prochaine récolte, le pays n’utilisera que les usines sucrières les plus en capacité de fabriquer du sucre tout en remettant en état les centrales qui ne fonctionneront pas.
Ce seront donc les 26 usines en meilleur état qui participeront à la prochaine zafra et qui devront produire suffisamment pour faire face aux besoins de la population et des industries.

Les responsables d’AZCUBA (groupe sucrier national) ont rappelé la volonté du gouvernement de sauver l’industrie sucrière en partant sur des bases plus saines. 9 des 25 projets faisant partie du portefeuille d’opportunités pour l’investissement étranger présentés par AZCUBA, concernent la modernisation des usines sucrières.
Trois projets sont déjà en cours de négociation : un à Cienfuegos avec une entreprise vénézuélienne et deux autres, à Sancti Spiritus et à Matanzas, avec des entreprises russes.

En ce qui concerne les projets du portefeuille d’opportunités d’AZCUBA, 6 concernent le domaine des biotechnologies et 19 contribueront au développement du sucre et de ses dérivés. A l’intérieur de ce dernier groupe, il y a déjà des intentions d’affaires concernant la production de sucre biologique, de sorbitol, de compléments alimentaires (FOS) et de rhum ainsi que l’installation d’une usine de production de chaudières destinées aux sucreries.

Si pour des raisons économiques évidentes (produire pour répondre à la demande nationale) Cuba ne peut abandonner la culture de la canne, elle ne peut aussi le faire sans perdre son âme, car comme l’a écrit Miguel Barnet : « Le sucre a uni Cuba. La culture qu’il a générée, forme aujourd’hui la culture nationale. Le batey (village des coupeurs de canne), terre fermée, cellule fondamentale, a contribué à la fusion intégratrice de toutes les valeurs originelles de notre pays (...) où se rejoignent toutes les manifestations qui composent notre patrimoine spirituel et matériel ».