Le système électrique national pourra-t-il se rétablir complètement (I) ?

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Dans un entretien avec Granma, le ministre de l’Énergie et des Mines explique les priorités absolues du pays qui travaille au renforcement du Système électrique national, afin d’accroître les capacités de production grâce à des matrices durables et d’éliminer les coupures d’électricité chroniques. Un second article sera publié sur cet important sujet.
Avoir de l’électricité n’est pas un luxe. Son manque fait souffrir toutes les familles, au-delà du fait qu’elles ne peuvent pas allumer la télévision ou recharger leur téléphone, pour une raison bien plus essentielle : se trouver dans l’impossibilité de cuisiner ou de conserver les aliments.
Si bien que le pays est en souffrance, empêché de s’engager sur la voie du développement urgent dont il a besoin, parce que l’on ne progresse pas si une usine s’arrête par manque d’électricité, qu’aucune démarche n’est possible si le bureau est fermé, de même qu’aucune communication fluide ou transmission suffisante du savoir, parce qu’une coupure de courant entraîne également l’interruption du téléphone et de l’internet.
C’est la raison pour laquelle, nous intensifions notre campagne de soutien financier au système cubain d’électrification. https://don.cubacoop.org/Urgence-Energetique-APPEL-HUMANITAIRE

Le système électrique national pourra-t-il se rétablir complètement ?

Photo : Ricardo López Hevia

L’instabilité prolongée du Système électrique national (SEN), due aux pannes constantes à la base thermique, en plus du désapprovisionnement en combustibles qui a limité le fonctionnement de la génération distribuée, fait que la majorité de la population, très affectée par les très longues coupures d’électricité, place tous ses espoirs dans la synchronisation des grands parcs solaires en cours de construction.

Vicente de la O Levy, ministre cubain de l’Énergie et des Mines, a accordé un entretien détaillé au journal Granma pour répondre à plusieurs questions sur la reprise progressive de la production d’électricité, les investissements en cours, sa durabilité, sur les actions qui contribueront le plus rapidement possible à inverser la crise actuelle, et sur la revitalisation d’autres sources qui diversifieraient la matrice énergétique du pays.

Monsieur le ministre, partons de l’idéal possible – et annoncé – qu’en 2025, une cinquantaine de parcs seront incorporés à la production, et que l’on dépassera au moins les 1 000 mégawatts (MW) de disponibilité par ce biais. Si l’on compare ce chiffre au déficit journalier moyen actuel, cela signifiera-t-il, mathématiquement, qu’au moins les deux tiers des pannes d’électricité qui se produisent en ce moment seront réduites ? Peut-on l’interpréter de cette manière ?
– Cette préoccupation est logique, logique et intelligente. Notre peuple est bien formé et s’y connaît en matière de mégawatt, déficit, production, perte... et des doutes de ce genre se font jour.
Mais la reprise ne passe pas uniquement par les parcs solaires photovoltaïques. Il s’agit d’un programme, dans lequel, bien sûr, le plus étonnant ou le plus innovant, ce sont les parcs solaires photovoltaïques.
Mais nous devons examiner le système électrique sous différents angles. Il faut ajouter une question : celle du combustible, parce que la production de combustible – alors même que le Système électrique national était en baisse – diminuait également, à tel point que nous sommes arrivés à penser que le moment viendrait où nous n’aurions même pas assez de combustible pour les centrales thermoélectriques. Je parle du pétrole brut national et du gaz d’accompagnement pour produire de l’électricité.
Finalement, dans la conception approuvée, discutée avec les professeurs cubains, les universités, les centres de recherche – un travail en cours depuis de nombreuses années – nous sommes parvenus à la conclusion que nous devions chercher à atteindre l’indépendance en matière d’importation de combustibles.
Nous avons toujours été dépendants des importations de carburant, à tel point que la facture pétrolière est la plus élevée de Cuba, plus que la nourriture, plus que les médicaments, plus que tout. Et parmi les combustibles importés pour soutenir l’ensemble de l’économie, la production d’électricité est le plus gros consommateur : plus de la moitié de tout le carburant utilisé par le pays sert à produire de l’électricité.
L’agriculture, le pompage de l’eau, la récolte de la canne à sucre, le transport, toute la chaîne de l’économie nationale, consomment ensemble moins que la production d’électricité.
Et pourtant, la production nationale de combustibles diminuait, alors que la tendance était que la consommation des centrales thermoélectriques, en pétrole et en gaz, serait supérieure à la production nationale. Cela, en premier lieu.
C’est alors que la question de l’électricité a commencé à se compliquer, pas seulement en raison de l’état technique des centrales thermoélectriques... ».

– Cette baisse était-elle liée à la disponibilité du pétrole et du gaz naturel ou à la capacité de les extraire ?

– Elle était liée aux mêmes causes que celles qui ont affecté les centrales thermoélectriques : détérioration, manque de ressources, de pièces de rechange. La production de pétrole ne consiste pas seulement à forer un puits, et le pétrole commence à jaillir. Ce n’est pas cela.
Forer un puits est un investissement, mais l’entretien de ce puits exige ensuite des ressources, qui doivent être investies chaque jour, si bien que le manque de financement nous a obligés à fermer des puits, les uns après les autres, parce que nous ne disposions pas des ressources nécessaires pour maintenir ces puits en activité.

Photo : Dunia Alvarez

Pour donner un exemple, vous ouvrez un puits, vous commencez à extraire du pétrole, et ce pétrole à Cuba est déversé dans des réservoirs. Une fois qu’il est dans le réservoir, il faut le sortir et le transporter par la route.
À Cuba, il y a très peu d’oléoducs. Par exemple, de Matanzas à la centrale thermoélectrique de Santa Cruz, le transport se fait par oléoduc ; des ports aux raffineries, également, mais ce n’est pas le cas pour toutes les centrales thermoélectriques ou pour la production décentralisée. Une grande partie doit être transportée par la route.
Donc, si le réservoir se remplit et que vous n’avez pas d’infrastructure de transport pour acheminer ce brut que vous avez extrait des puits, vous avez un goulot d’étranglement qui limite également votre production de pétrole.

– À cela s’ajoute la lourdeur de notre pétrole...
– Exactement. Dans nos puits, cela complique encore les choses, mais nous devons aussi entretenir les installations de surface, les vannes, les tuyauteries, les pompes... Il nous faut assurer une maintenance constante, des réparations que nous n’avons pas pu effectuer.

Cela a limité la production, en plus de ne pas avoir pu investir dans de nouveaux puits et dans des études sismiques. Il faut toujours faire des études sismiques préalables, avant le forage, afin de pouvoir extraire le pétrole ensuite.
Nous avons réussi, en 2023, à forer quelques puits, dans le but d’obtenir du gaz ; et oui, nous avons obtenu du gaz, et c’est ce qui a permis de récupérer et d’augmenter la production d’électricité grâce à ce gaz, mais la production de pétrole brut a continué à diminuer. Au cours de cette analyse, nous sommes arrivés à la conclusion que le moment viendrait où même le pétrole brut national ne suffirait plus pour les centrales thermoélectriques. De plus, même si toutes les centrales thermoélectriques étaient disponibles, cela ne suffirait pas.

– Notre pétrole brut ne suffirait pas ?

– Pas même notre propre pétrole brut. Ajoutons à cela, ensuite, la production distribuée, basée sur le diesel et le fuel, qui sont totalement importés ; ceux-ci ou le brut à raffiner, car le pétrole cubain ne se raffine pas, il est brûlé directement dans les centrales thermoélectriques.

Il ne s’agit pas d’un pétrole brut que l’on peut livrer à l’une de nos quatre raffineries et obtenir du diesel, ou de l’essence, du naphta, du gaz liquéfié, du turbo-carburant pour l’aviation... Il ne convient qu’aux centrales thermoélectriques, qui ont été conçues et adaptées à ce type de combustible.

Les centrales thermoélectriques cubaines, de par leur conception, consommaient un fuel d’excellente qualité provenant principalement de l’ancienne Union soviétique.

Dans ces conditions, la durée de vie entre deux maintenances était beaucoup plus longue. Lorsque l’Union soviétique a disparu, nous avons cessé, du jour au lendemain, de disposer de tout le combustible, à savoir 12 millions de tonnes.
Nous avons donc été contraints de lancer la reconversion des centrales thermoélectriques, grâce à une innovation totalement cubaine, afin qu’elles consomment du pétrole brut national.

Cela nous a sauvés, mais au prix d’un grand sacrifice : Lequel ? La durée de vie des unités de production thermoélectrique a été réduite, ainsi que le délai entre les entretiens, parce que le brut cubain a une teneur très élevée en soufre et en vanadium qui, lorsqu’il est brûlé dans les chaudières et qu’il y a de l’humidité, génère de l’acide sulfurique, ce qui accélère la corrosion.

À cela s’ajoute la détérioration causée par la vieillesse, les années d’exploitation des centrales thermoélectriques. La centrale thermoélectrique Maximo Gomez Baez, à Mariel, par exemple, a été inaugurée en 1975, et la plus jeune a déjà plus de 25 ans. On peut entretenir 100 ans, 200 ans, tout ce qui a besoin d’entretien, si nous disposons de toutes les ressources nécessaires, mais si un roulement dure 60 000 heures et qu’au bout de 60 000 heures, on ne le change pas, il se cassera et cela déclenchera une détérioration progressive du système.

– Il y a un chiffre très illustratif qui concerne les fonds consacrés annuellement à la maintenance de la génération, lesquels ont été réduits de manière drastique durant la pandémie.

– J’étais directeur de l’Union électrique lorsque, dans le cadre du grand processus d’investissement de la Révolution énergétique, on y consacrait plus d’un milliard, 1,2, 1,3 milliard. Certaines années, il n’y a pas longtemps, nous investissions près de 2 milliards dans l’ensemble du système électrique.

Pas seulement à la maintenance, c’était également des investissements et, parallèlement ou collatéralement, il y eut tout le processus de changement des appareils électro-domestiques, des ampoules, des joints de réfrigérateur, l’introduction de cuiseurs à riz et de cocottes-minute, et tout cela a bénéficié au Système électrique, a permis de réduire la demande et la consommation, ainsi qu’à diminuer l’utilisation de combustible.

Maintenant, seulement pour la maintenance de la production, si le système électrique fonctionnait bien, nous devrions y consacrer chaque année entre 250 et 350 millions de dollars. Si nous cessons de consacrer ces ressources durant une année, il ne se récupère pas, et cela ne s’est pas produit qu’une seule fois. C’est la facture que nous sommes en train de payer. Cela n’a pas été possible, car le pays n’avait pas les revenus suffisants, en raison des limitations que nous connaissons.

Donc, si la production de pétrole diminue, si nous n’avons pas les moyens financiers pour importer à nouveau les millions de tonnes dont l’économie a besoin, la première chose à faire est de stopper cette décroissance, tout en réduisant la consommation de carburant, tout en augmentant la capacité de production.
C’est ainsi que nous avons pris la décision d’avancer dans l’installation des panneaux solaires photovoltaïques, et plus que dans les panneaux, d’élargir les plans d’utilisation des sources d’énergie renouvelables.

Pourquoi les panneaux deviennent-ils le projet le plus important ?

Tout d’abord, parce que les investissements sont moins coûteux, parce qu’ils sont installés plus rapidement et parce qu’ils peuvent être répartis sur l’ensemble du pays.

À partir des premiers calculs, nous avons dit : « nous pouvons installer 1 000 MW en un an ». Certains collègues nous ont alertés sur le fait qu’il s’agirait d’un processus d’investissement trop lourd dans cette situation où il n’y a ni ciment, ni acier, ni beaucoup d’autres ressources. Comment allons-nous assurer l’installation de 1 000 MW ?

Analysons-le différemment. Si nous le faisons par parcs de 21 MW et que nous les répartissons dans 15 provinces, à raison d’une moyenne de trois par province, il s’agit alors d’un effort économique qui peut être assumé au niveau provincial.

Les investisseurs et les organismes du Système électrique se trouvent dans chaque province, tout comme les structures du ministère de la Construction ; en d’autres termes, il suffit de distribuer et c’est ce qui se passe actuellement, un processus d’investissement ouvert dans tout le pays.

Et que se passera-t-il quand il n’y aura pas de soleil, ou durant un ouragan ?

– Ce sont là deux des raisons pour lesquelles l’investissement est réparti dans tout le pays. Il peut y avoir de l’ombre dans le premier parc que nous avons inauguré, au Cotorro, à La Havane, mais à Granma, il y a un soleil radieux.

Photo : Ricardo López Hevia

La distance moyenne prévue entre les parcs n’est que de huit kilomètres. Il peut y avoir de l’ombre dans la zone d’un parc, et dans l’autre, à huit kilomètres de distance, il n’y a pas de raison pour qu’il y ait aussi de l’ombre.

Il s’agit d’une conception de la distribution qui contribue également à la régulation de la tension, à partir du Bureau national de charge, et par le biais d’un système qui est également en train de voir le jour avec l’installation.

Bien sûr, les défis seront plus importants pour maintenir un système électrique avec un niveau élevé de pénétration de l’énergie renouvelable. Une situation similaire s’est produite lors de l’introduction de la production distribuée. Nous avions de grandes centrales thermoélectriques et, en l’espace de deux ans, 202 sites de production décentralisée ont été installés dans tout le pays. Ce fut un défi pour l’exploitation du Système électrique, qui comprenait la formation du capital humain qui l’exploiterait.

– Avec ces parcs qui produisent de l’énergie en plein soleil, pensez-vous créer des possibilités de stockage d’énergie pour la nuit, accumuler des charges dans des batteries, ou est-ce qu’il y aura toujours un déficit durant la nuit ?

– Il est également prévu d’intégrer un niveau de stockage d’énergie, en principe pour garantir la stabilité du système électrique.
En d’autres termes, il existe des projections de stockage de l’énergie pour la stabilité et d’autres de stockage de l’énergie pour la livrer au système. Les premiers conteneurs de stockage sont déjà à Cuba, mais la batterie n’est pas encore installée.

Disons que le conteneur entier est là, avec toute la partie automatique, électronique et les autres composants. Ce n’est qu’à la fin que l’on met en place la batterie. Pourquoi ont-ils été commandés ainsi ?
Parce que les batteries ne doivent pas rester déchargées pendant un temps déterminé et qu’il n’est pas très compliqué de les installer. Pour simplifier, c’est comme des tiroirs qu’il faut monter, et c’est tout. Mais pour le reste, on peut avancer dans l’installation.

– Nous aborderons plus tard cette question plus en détail, mais revenons au compte mathématique du début. Lorsque les panneaux produiront 1 000 MW, y aura-t-il deux tiers de coupures d’électricité en moins qu’aujourd’hui, alors que le pic de déficit est de 1 500 MW ?
– Quand nous disons qu’il y a un déficit moyen de 1 500 MW, c’est à un moment de la journée. Si nous installons 1 000 MW, restera-t-il 500 MW de déficit ? Eh bien, non, car sur les 1 500 MW, il y a eu des jours où les 1 000 MW de déficit étaient dus à un manque de combustible.

C’est pour cela que le pays s’est efforcé de couvrir ce déficit avec des énergies renouvelables, car on ne peut pas faire d’investissements qui impliquent plus de carburant, bien que ce soit aussi une priorité d’augmenter la production de carburant, mais il est indispensable de progresser dans la réduction de la consommation de ce carburant.

Prenons un exemple. La dernière fois que la centrale Felton s’est déconnectée du système, à cause d’une panne, ce jour-là, il n’y a pas eu d’impact sur le service en pleine nuit, et le déficit n’a pas été très différent avec les jours précédents. Que s’est-il passé ? Était-ce à cause du climat ? Non, ce n’était pas le climat. C’est que, ce jour-là, nous disposions de combustible. Pour toutes les productions distribuées, nous avions du combustible, et nous avons couvert le déficit. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’une question de capacité technologique de production.

Le déficit serait couvert en maintenant cette capacité technologique de haute qualité, en achetant du combustible, en faisant fonctionner toutes les centrales de production décentralisées et en ajoutant la production des parcs.
Ce qui est certain, c’est qu’en installant 1 000 MW d’énergie renouvelable, nous économiserons du combustible, que nous pourrons destiner à la production durant la nuit.

– Comment le système fonctionnera-t-il dans l’idéal où tous ces parcs seront synchronisés ? Ceux qui n’ont pas de stockage fourniront-ils de l’énergie seulement pendant la journée ? Quelles sont les perspectives avec l’installation de batteries qui accumuleront la charge pour les périodes où il n’y aura pas de soleil ?

C’est à ces questions et à d’autres que répondra cet entretien, qui sera mis à la disposition des lecteurs de Granma en plusieurs parties, et se poursuivra dans le prochain numéro.

PRODUCTION NATIONALE DE PÉTROLE POUR LA PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ

  • Au terme de 2024, le manque de ressources matérielles financières a entraîné une baisse de la production nationale de pétrole brut de 138 028 tonnes.
  • 40 000 barils sont produits quotidiennement, ce qui ne couvre qu’un tiers de la consommation.
  • Les puits cubains ne produisent que 6 % du brut présent dans le sous-sol. Des recherches doivent être menées pour augmenter cette production à 10-11%, ce qui doublerait la production.
  • Des zones où existent des gisements de pétrole ont été identifiées : Boca de Jaruco, entre Fraile et Jibacoa ; la zone de La Havane del Est et Alamar et au sud des gisements pétrolifères de Puerto Escondido et Canasi.
  • Il est urgent d’encourager l’exploration afin de découvrir du pétrole brut de meilleure qualité et d’explorer les gisements offshore.
  • Cette année, une campagne d’exploration est prévue pour ajouter de trois à cinq puits.

Source : Entretien avec Osvaldo Lopez Corso, chef du Groupe d’exploration et de gisement de l’Union Cuba-Petroleo (Cupet).