Les transports publics : un problème pour tous

Paroles en attente...

Partager cet article facebook linkedin email

Cet article s’appuie sur des témoignages pour mettre en évidence les failles et les dysfonctionnements dans les transports publics à La Havane, montrer combien il est compliqué d’y remédier et les énormes difficultés auxquelles les Cubains doivent faire face au quotidien pour se déplacer.
CD

Les chauffeurs des véhicules de l’Etat respectent- ils les arrêts ?

Auteur : Edel Alejandro Sarduy Ponce
Publié par Juventud Rebelde le 18 mars 2023

Il est sept heures du matin. Au « fameux » arrêt de l’édifice de 12 étages du quartier d’Alamar de la capitale, l’angoisse, le désespoir, l’incertitude sont palpables. On peut y voir une trentaine de personnes, peut-être un peu plus. L’atmosphère est mitigée, avec son lot permanent de phrases telles que « ça chauffe ! », « la dernière personne ? », « derrière qui êtes –vous ? », « je suis à bout, ça fait trois ou quatre heures que je suis ici… » et bien d’autres encore.

Et que dire des prix élevés, fixés, arbitrairement, par les taxis et les véhicules particuliers, y compris ceux de l’ État ? L’alternative, avec un peu de chance, c’est d’affronter l’entassement de la foule, une fois monté à bord d’un autobus, et les vols à l’intérieur du véhicule, ainsi que les incivilités dans les files d’attente…Tout ça, et bien plus encore, fait très souvent le quotidien de bien des Cubains dans les transports publics.

Selon notre enquête, il ne s’agit pas d’un phénomène propre à la seule Havane, comme l’a confirmé le Ministre des Transports, Eduardo Rodriguez Davila, lors de l’émission Table Ronde du 23 février dernier lorsqu’il a souligné les difficultés de ce secteur dans le pays, notamment la faible disponibilité des autobus due au manque de monnaie librement convertible pour l’acquisition de leurs pièces de rechange ou des composants pour leur maintenance, et ce, ajouté aux problèmes pour garantir l’approvisionnement en gasoil et pour répondre aux besoins de déplacement des usagers.

Face à cette réalité, l’une des décisions prises par le gouvernement est l’utilisation d’autres véhicules de l’État en complément du transport public, mesure en rien nouvelle, dont le Premier Ministre, Manuel Marrero Cruz, a signalé l’ organisation et la mise en application systématique, dans un message diffusé sur son compte Tweeter.

Marrero a rappelé que les chefs, à tous les niveaux, doivent garantir le respect de cette disposition et que s’y soustraire sera considéré comme un grave manquement, car, “« en tant qu’agent du service public, notre engagement le plus important est avec et pour le peuple ” a-t-il déclaré.

Mais cela fonctionne-t-il dans les faits ? Quelle est l’attitude des chauffeurs du service public et que font les inspecteurs face à la situation actuelle ? Pour répondre à ces questions, Juventud Rebelde a suivi récemment des trajets passant par plusieurs arrêts de capitale.

Un lieu délaissé

Selon Estéban, 31 ans, à Villa Panamericana ( à l’est de La Havane) où il réside, il est très compliqué d’avoir accès à un transport, l’attente peut aller jusqu’à plus de deux heures, parce que les autobus ont disparu et en terme de transport, c’est un endroit pratiquement délaissé, tout comme Los Tres Picos ou El Camilo, "car tous les véhicules arrivent bondés et ne marquent pas l’arrêt, bien que nous ayons des inspecteurs ".

Dans le parc El Curita (au centre de La Havane), Eduardo, un homme de 72 ans, assure que les inspecteurs sont d’une aide précieuse, étant donné que, d’une certaine façon, ils font preuve d’autorité et que les files d’attente sont mieux organisées. « Cependant je me suis trouvé à des arrêts où il n’y en avait jamais aucun dans la journée entre 10h et 12h, et on peut voir alors que les véhicules de l’Etat passent à vide et sans s’arrêter ».

María, 56 ans, évoque le comportement parfois inapproprié de certains chauffeurs : " qu’ils s’arrêtent me semble une très bonne chose par les temps qui courent. Je suis souvent arrivée à destination, grâce à leur travail. Mais d’autres adoptent des comportements assez négatifs, au point de faire monter à l’arrêt et d’exiger le paiement plus tard, au moment de descendre, ils ne sont alors pas différents des taxis ou des particuliers, le prix est tout aussi élevé », a-t-elle dit.

A l’arrêt au croisement des rues G et 25, nous avons parlé avec Odalis, 42 ans, qui reconnaissait le travail accompli par les inspecteurs et qui a évoqué comment, parfois, les gens refusent de coopérer avec eux parce qu’ils modifient l’ordre des files d’attente, en plus de se montrer agressifs dans leurs comportements. "Accomplir leur mission est réellement très compliqué, l’atmosphère est tendue…, nous devons coopérer".

Une tâche louable

Les personnes interrogées l’ont dit : le rôle des inspecteurs est essentiel pour que les chauffeurs de l’État respectent les arrêts. Et ce n’est pas chose facile. Francisco Ramos, inspecteur affecté à El Curito, fait part de sa satisfaction quant à l’attitude des conducteurs du service public dans ce quartier, à leur disponibilité et à leur attitude envers les passagers.

"Notre objectif principal est de parvenir à un consensus entre les conducteurs et le public, basé sur le respect et la communication. Dans mon cas, très peu de conducteurs n’ont pas respecté les règles et je m’entends très bien avec tout le monde et avec le public, je bavarde toujours avec eux pour rendre leur attente plus agréable", a-t-il ajouté.

María del Carmen Pestana, contrôleuse à l’arrêt Tulipán (Plaza de la Revolución), insiste sur le fait que sa responsabilité n’est pas seulement de contrôler que les véhicules s’arrêtent, mais aussi de s’assurer que les files d’attente et l’accès aux bus soient bien organisés afin d’éviter les conflits, les accidents ou les comportements inappropriés.

Elle fait part de sa satisfaction d’apprécier l’affection des gens lorsque les inspecteurs font un bon travail et elle exhorte les chauffeurs de l’État à continuer de coopérer afin de surmonter cette situation."Un véhicule qui ne contribue pas signifie moins de progrès, plus d’exacerbation du problème »

Yadir Esteban Vizcaya, un inspecteur affecté au Vedado, assure qu’au carrefour entre les rues G et 25 il y a de moins en moins de contrevenants à la mesure établie. Cependant, il reconnaît que certains jouent encore les filous et que leur insensibilité est telle qu’ils dévient de leur itinéraire ou ignorent les appels.

Pour sa part, Lázaro Fernández, inspecteur à Alamar, confirme que certains chauffeurs utilisent leurs véhicules de l’État pour effectuer des trajets contre rémunération, pour "botear" (NdT : prendre des autostoppeurs contre rémunération), sur des tronçons où il n’y a pas de contrôle. C’est du moins ce que lui ont dit de nombreux passagers. Comme ses collègues inspecteurs, il attire l’attention sur la complexité de leur travail et demande plus de patience aux passagers, qui extrapolent souvent leurs problèmes personnels à leur comportement dans la rue, au point de se montrer agressifs envers eux sans raison.

Personne ne doit oublier qu’au-delà de leur uniforme, les inspecteurs sont aussi des personnes avec leurs propres problèmes et leurs situations et qu’ils sont malgré tout "prêts à contribuer à la résolution des difficultés de la population", comme l’ont dit certains d’entre eux.

Ce que disent les conducteurs...

Ceux qui sont derrière le volant sont qualifiés de « sauveurs » ou d’« insensibles », comme nous le savons tous. Ramón Rodríguez Peña, chauffeur pour l’Empresa de Telecomunicaciones de Cuba (Etecsa), exprime clairement sa volonté d’aider la population en ces temps difficiles.
"Honnêtement, je n’ai pas eu de problèmes de comportement quand il s’agit de s’arrêter et les gens sont corrects, ils respectent le véhicule... De temps en temps, ils claquent les portières un peu fort, mais chaque cas est différent", a-t-il déclaré.

Son collègue Ramón García Pineda, également conducteur d’Etecsa, a exprimé sa pleine intention de contribuer à la mesure, mais il a ajouté que certains passagers se comportent de manière négative pendant le trajet : "J’ai eu plus d’une fois des problèmes avec des personnes qui fumaient ou mangeaient à l’intérieur de la voiture ou qui utilisaient un langage inapproprié en élevant la voix, des attitudes qui sont désagréables. Si je vous aide, il faut au moins que vous me respectiez", a-t-il déclaré.

Yosvany Provenza Romero, chauffeur à la blanchisserie « 28 de Enero » à Alamar, a déclaré que l’un des plus grands problèmes est l’attitude des personnes qui utilisent le service pour aller juste un ou deux arrêts plus loin, un trajet qui peut parfaitement être exécuté sans avoir besoin de transport, en prenant la place d’autres passagers avec des destinations beaucoup plus éloignées.

Nous savons déjà que la mesure de contrôle des véhicules de l’État ne va pas résoudre la crise actuelle, mais elle constitue une ouverture et comme l’a dit l’étudiante Gabriela, il y a au moins une solution, qui implique la compréhension, la communication, l’empathie entre les passagers, les conducteurs et les inspecteurs, parce que c’est un problème qui nous affecte tous.