Opinion | Cuba brûle et nous regardons ailleurs
TRIBUNE de Dominique Vastel dans le Journal LES ECHOS
Les Etats-Unis maintiennent un embargo injustifiable sur Cuba et l’imposent aux autres pays via leurs lois extraterritoriales, dénonce Dominique Vastel. L’impact sur l’économie cubaine est dévastateur et la population est la première victime de cette situation.
Publié le 6 déc. 2022 à 14:00Mis à jour le 23 déc. 2022 à 13:21
Dans l’indifférence mondiale, l’embargo américain, renforcé par les effets du Covid et la guerre en Ukraine, est en train d’asphyxier la société cubaine.
La situation est pourtant préoccupante. Depuis le début de l’année nous y accompagnons les chemins de fer cubains pour la modernisation de la maintenance de leur matériel roulant. Le projet a été lancé en 2015 lors de la visite du président Hollande à Cuba. Nous avons donc pu voir, en temps réel, l’évolution du pays.
Après la détente amorcée par Barack Obama et l’ouverture de la société cubaine à l’activité privée, Cuba semblait suivre le chemin tracé par le Vietnam, parvenant à concilier son système politique avec une certaine libéralisation de son économie.
Même Stellantis n’y exporte plus
Mais le renforcement de l’embargo imposé par Donald Trump a porté un coup d’arrêt brutal à cette dynamique positive. La réinscription de Cuba sur la liste des pays terroristes et la réactivation de la loi Helms-Burton ont fait partir de nombreuses entreprises. Dernier exemple en date : les Peugeot et les Citroën ne sont plus exportées à Cuba, le groupe Stellantis ayant intégré Chrysler, entreprise américaine. Un bateau qui dessert un port cubain ne peut plus desservir un port américain pendant 18 mois ! Quand un armateur dessert Cuba, c’est souvent via Kingston en Jamaïque. Cela renchérit tellement les coûts, que souvent l’importation est abandonnée.
La pénurie de devises plonge Cuba dans la crise financière
Il y a donc de fréquentes ruptures d’approvisionnement, voire des pénuries : pétrole, matières premières, produits manufacturés, biens de consommation courante. Le manque de pièces de rechange empêche la maintenance des centrales électriques, des trains, des camions, des taxis. Plusieurs centrales thermiques sont ainsi à l’arrêt, contraignant à des délestages quotidiens. De nombreuses villes, dont la capitale, n’ont ainsi de l’électricité que de façon intermittente, par périodes de 4 ou 6 heures.
Le tourisme divisé par deux
La diminution des flux de touristes depuis le début de la pandémie de Covid aggrave encore la situation. Les perspectives pour 2022 ne dépassent pas 2 millions de visiteurs. Ils étaient 4,2 millions en 2019. La guerre en Ukraine a empêché le retour des touristes russes, qui représentaient 20 % des flux. Les activités privées liées au tourisme, désormais autorisées, sont quasiment à l’arrêt.
De nombreux hôtels n’ont pas encore rouvert.
Cette absence de visiteurs étrangers, la pression de l’embargo sur l’acquisition de devises et la dégradation continue de la balance des biens et services entraînent une forte tension sur la monnaie. Alors que le taux de change officiel entre le dollar et le CUP est de 1 pour 24, il s’effectuait en informel à 1 pour 100 au mois d’avril et à 1 pour 200 en octobre. Les produits de consommation courante sont ainsi devenus inabordables pour ceux qui ne disposent pas de devises étrangères.
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On ne peut que s’indigner de voir les Etats-Unis maintenir un embargo injustifiable pour des motifs de politique intérieure et l’imposer aux autres pays via leurs lois extraterritoriales.
Une économie au bord du gouffre
L’impact sur l’économie cubaine est terrible. La population cubaine est la première victime de cette situation. Elle souffre dans la dignité et tente de conserver sa gaieté caribéenne. Mais on le voit depuis le début de l’année, c’est de plus en plus difficile.
L’Assemblée générale de l’ONU vote régulièrement et très majoritairement la condamnation de l’embargo américain sur Cuba. Mais c’est hélas sans effet réel et l’embargo est maintenu par Joe Biden. Pourquoi une telle indifférence de la communauté internationale ? Certains pays, dont la France et ceux du Club de Paris, apportent une aide et un soutien financier importants à Cuba.
Mais cette aide financière et les votes de l’ONU resteront vains si l’étau américain ne se relâche pas. « L’économie cubaine est au bord du gouffre », indiquait récemment la direction générale du Trésor. Il y a urgence. Pour paraphraser une parole célèbre de Jacques Chirac, Cuba brûle et nous regardons ailleurs.
Dominique Vastel, président de la Serfer (Société d’études et de réalisations ferroviaires)