Pas d’amnésie.

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Par Iroel Sanchez, La Pupila Insomne, 30 août 2022

Dans son blog, Iroel Sánchez s’insurge contre le manque de mémoire et de recul de quelques compatriotes qui émettent des critiques injustes, mais intéressées, sur la gestion de la crise énergétique par les autorités cubaines.
Pascale Hébert.

Iroel Sanchez est éditeur, journaliste et analyste politique cubain

Ce que nous sommes en train de vivre à Cuba est très dur ; chercher des coupables dans ces circonstances est une tentation plus que logique, bien que pas toujours juste. Aucune gestion n’est parfaite et encore moins celle qui s’effectue sous une guerre sans quartier qui a des effets non seulement économiques, mais aussi politiques et psychologiques, ce qui fait que n’importe quelle erreur voit ses conséquences démultipliées. S’en servir pour se justifier n’est pas non plus une option, cela ne peut pas avoir de sens pour nous qui savons comment notre peuple, guidé par Fidel, a affronté et surmonté les circonstances les plus difficiles. La seule option possible c’est d’exposer la vérité en face à ce peuple invincible, comme on est en train de le faire, d’après moi.

Cependant, quand je vois un Cubain résidant sur cette île demander en endossant le rôle de procureur cybernétique pourquoi nous n’avons pas réparé les centrales thermoélectriques en 2021, je me regarde, je me vois et je me tâte* et, encore en vie tout comme lui, je recherche le taux de mortalité dû au Covid ici et je constate qu’il est la moitié de celui du reste des pays d’Amérique et je me souviens que, sans recettes fournies par le tourisme et par les envois d’argent depuis l’étranger, avec toutes les sources de devises coupées par ce génocidaire de Trump et ce suiveur de Biden, Cuba a dépensé tout l’argent qu’elle avait, et celui qu’elle n’avait pas, pour faire que lui, moi et nos proches et nos amis, nous ayons le double de probabilités de survivre à la pandémie que n’importe quel habitant d’une autre nation de ce continent, en préservant les emplois et les salaires, ce qui a généré un énorme déficit fiscal qu’il faut combler d’urgence, de même qu’il faut remédier aux effets indésirables d’un ordonnancement (NdT : monétaire) dont on reconnaît aujourd’hui qu’il présentait des erreurs dans sa conception.

Et ceux-là mêmes qui sont heureux parce que quelqu’un dit ce qu’ils veulent entendre nous ont, durant cette même année 2021, refusé jusqu’à de l’oxygène et nous ont offert des vaccins alors que nous étions déjà tous vaccinés mieux que personne ; et bien que tout cela ne nous ait pas coûté un centime ni à ce quelqu’un ni à moi, cela a bel et bien coûté, même si cela ne se voit pas, à cette économie assiégée qui n’a pas pu réparer à temps les centrales thermoélectriques. Et je partage bel et bien mon électricité et mes coupures de courant avec lui, tout comme je partagerai la destination des bombes avec les « opposants » qui croient que les missiles arrivent avec une adresse, un numéro de carte d’identité et une affiche bien lisible qui dira « seulement pour les communistes », si un de ces jours, grâce à des opinions comme la sienne, ceux d’en face se trompent et nous croient suffisamment divisés pour ne pas pouvoir nous défendre.

Mais si cela n’arrive pas, et grâce au fait que Facebook n’est pas Cuba et que son peuple n’est pas ce que l’empire paie pour nous montrer sur les écrans, ce moment difficile passera tout entier, comme sont déjà passés d’autres moments non moins difficiles, je partagerai à nouveau avec lui médecins et vaccins, mais pas le respect ni l’affection, car comme l’a dit le Maître** : « La pauvreté passe ; ce qui ne passe pas c’est le déshonneur ».

NdT :

*Renvoie à la célèbre première strophe du poème TENGO, de Nicolás Guillén : « Cuando me veo y toco,/ yo, Juan sin Nada no más ayer/ y hoy Juan con Todo/ y hoy con todo/vuelvo los ojos, miro/me veo y toco/y me pregunto cómo ha podido ser.

**José Martí