Quand le design s’engage

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Cette publication présente le travail et la ligne de pensée d’Enganche, un groupe de designers cubains qui se caractérise par une production à la fois innovante, esthétique et respectueuse de l’environnement. Et cela, en dépit des difficultés et restrictions que connaît le pays. Elle souligne, par ailleurs, leur souci de sensibiliser chaque Cubain à la cause environnementale.

Le groupe Enganche aspire à être une référence dans l’éco-design. Juventud Rebelde s’est entretenu avec la créatrice de cette initiative sur les défis et les efforts que cela implique.

Auteur : Cortesía de la entrevista

Publié le samedi 5 novembre 2022

Publié par : Lourdes Benítez Cereijo

Pour Mariana Vila Acosta, diplômée en Design Graphique, la nature et tout ce qu’elle offre a toujours été un sujet important. Depuis ses années d’université, elle rêvait de former un groupe dont ce serait l’idée directrice, même s,i à ce moment-là, elle ne savait pas sur quoi se focaliser. En 2020, aux côtés de son mari Ernesto Aguiar Lopez, diplômé en Dessin Industriel, elle lance l’initiative qui porte le nom d’Enganche.

Le groupe Enganche aspire à être un référent dans l’éco design.
Cortesía de la entrevista

Ils ont débuté avec la création de cartes thématiques en carton et d’emballages assemblés sans colle, avec l’idée d’une ligne de produits respectueuse de l’environnement. A partir de là, sont nés d’autres projets. Ils ont décidé de se lancer dans une aventure exigeante mais noble, en essayant de faire toute la différence à partir du design durable et de l’écoconception.

« L’éco-design essaie de limiter au maximum l’impact négatif sur l’environnement, sans nuire à la qualité du produit ou du service. Il vise à réduire la pollution et la consommation d’énergie, d’eau et de matières premières, du début de la production à la fin de son cycle de vie. La conception durable garantit l’équilibre entre la croissance économique, la protection de l’environnement et le bien-être social, en protégeant cet équilibre à long terme sans épuiser ses ressources.

Notre objectif est d’appliquer ces concepts aux produits et aux services, en plus de créer de la culture sur le sujet, de les concrétiser et d’amener les gens à les connaître, de leur en montrer les avantages. Nous voulons les sensibiliser à la nécessité d’un monde mieux conçu. Le design, c’est enseigner et cultiver le goût du bien fait ; c’est aussi l’utile, la créativité et la fonctionnalité… »

Emballages pour des pots de différentes dimensions.

  • « Enganche » (Attelage), comme son nom l’indique, invite à s’associer et renvoie à l’un de ses principaux services, celui de la conception et de la production au moyen d’assemblages de contenants, ce qui peut déboucher aussi sur la conception des meubles, de luminaires, entre autres. Pour son logo, on a recherché la simplicité parce qu’elle définit son travail et on a choisi l’initiale en forme de feuille d’arbre pour transmettre une image de la nature, de la vie et de l’environnement, le bleu comme évocation de la mer et du ciel, et le vert comme allusion à la terre et à la végétation, en plus de la dimension écologique.

« Il a été, pour nous, bien clair dès le début que ce que nous allions faire le serait avec des matériaux plus respectueux de l’environnement. Nous avons progressivement avancé et intégré davantage de services qui vont des arts graphiques au dessin industriel. En 2021, nous sommes devenus travailleurs indépendants, nous avons présenté notre projet qui a été validé. »

Dans un contexte où le design gagne de plus en plus d’espace et de visibilité avec des approches attrayantes et innovantes, comment faites-vous pour que votre projet fasse la différence ?

  • « Je considère que le design ne doit pas être vu uniquement sous l’angle du beau et de l’esthétique. Il faut en connaître la fonction, l’objectif et le besoin auquel il répond. Il faut sensibiliser au design, le mettre à la portée de tous : de l’agriculteur, du scientifique, de la ménagère, du charpentier, de l’enseignant et leur en montrer les processus pour qu’ils en comprennent le résultat.

 Ce que nous faisons et notre manière de le mettre en pratique sont bénéfiques tant d’un point de vue environnemental que social et économique. Par exemple, en réutilisant, nous donnons une seconde vie à un objet ou à un produit, ce qui permet de faire des économies en lui donnant une autre fonction ou en continuant à l’utiliser après une réparation. En recyclant, nous transformons un matériel, qui aurait été jeté, en un produit nouveau.

En limitant, nous dépensons moins de ressources, nous simplifions l’utilisation et nous réduisons les dépenses énergétiques de production, il y a moins de gaspillage et c’est mieux pour notre porte-monnaie. Nous essayons d’amener ces principes dans tous les domaines. Je signale que peu de designers se penchent sur ces sujets et il est important qu’à partir de la connaissance du design, ils puissent être beaucoup plus développés. C’est en cela que notre proposition se démarque. »

Dans les circonstances économiques actuelles, les entreprises sont aussi des initiatives extrêmement exigeantes, en plus d’être des alternatives de croissance professionnelle, d’emploi et de rémunération. Quelle difficulté représente, pour un jeune, de prendre cette voie et de réussir ?

  • « Le chemin n’est jamais facile mais, avec amour et persévérance, on y arrive. La situation que nous vivons est complexe, mais elle ne peut nous arrêter, nous nous réinventons comme beaucoup d’autres entrepreneurs. Etre créatif est fondamental ; avec les restrictions que nous connaissons dans le pays, il faut faire beaucoup avec presque rien, il faut faire quelque chose à partir de ce qui est nécessaire. C’est pourquoi nous essayons d’optimiser les rares ressources dont nous disposons et d’obtenir que le résultat soit de qualité, fonctionnel et, bien sûr, visuellement réussi. La réussite c’est savoir résister et ne pas abandonner, malgré les circonstances ».

Quelles ont été les difficultés majeures auxquelles vous avez dû faire face pour concrétiser chaque idée et en quoi avez-vous progressé ?

  • « Le plus difficile a été de trouver des matériaux. On a déjà créé dans le monde des matériaux biodégradables compostables, faits de noyaux d’avocat, de café, de chanvre, de bambou, de bagasse de canne, de balle de riz, entre autres, qui, en plus d’être totalement naturels, sont dégradables et n’impactent pas l’environnement. C’est positif et innovant.

 Cuba n’est pas en reste, des recherches ont été réalisées, mais on n’a pas pu les mettre totalement en pratique car c’est complexe. Bien que l’on puisse développer des produits à partir de ces recherches, il est nécessaire que l’industrie et d’autres acteurs économiques puissent les valoriser. Par conséquent, nous n’avons pas pu développer cette idée pour le moment, je pense que ce pourrait être très intéressant et très important pour le pays.

Par ailleurs, nous avons réussi à participer à plusieurs évènements avec des entrepreneurs et des établissements dans le but, en plus des échanges d’expériences et de collaborations, de faire connaître le design à d’autres secteurs. Tout cela nous a conduits à concevoir des projets et à concrétiser notre mode de pensée. Nous avons également pu créer notre site Internet, un support de promotion très important, sur lequel il est possible de consulter nos produits et nos services, en plus d’en apprendre un peu plus sur nous. Il nous reste encore à développer une autre gamme de produits avec d’autres matériaux, mais avec de la persévérance, on arrive à tout ».

Dans le cadre de cet aspect du design contemporain cubain, comment voyez-vous cette activité dans le pays ?

  • « Le design cubain a toujours été une référence mondiale, depuis les affiches jusqu’à à la publicité. Au fil du temps, la culture du design s’est un peu perdue, même si actuellement on commence à en voir quelques retombées. Les nouveaux acteurs économiques perçoivent l’importance d’une marque et sont à la recherche d’un créateur qui les conseille. De nombreux confrères font des choses très intéressantes et séduisantes. J’ai récemment relu un entretien avec Mirta Muñiz, une référence dans la publicité à Cuba, dans lequel elle disait que la créativité et le talent sont les ressources les plus importantes. En effet le design doit être vu comme une discipline restauratrice, une immense solution. Il faut le voir comme une science et lui accorder toute l’importance qu’il mérite ».

D’après votre travail, comment vous intégrez-vous aux changements dont a besoin la Cuba du futur ?

« -Le design cubain doit être en constante harmonie avec le milieu dans lequel nous vivons, avec la nature et tout ce qu’elle nous offre, afin de la protéger et participer à la solution pour un monde qui souffre de la constante pollution environnementale. On estime qu’en 2025 il y aura sur la planète près de sept millions de tonnes de déchets ; et on s’attend à ce que la situation s’aggrave en 2070. Il faut agir dès maintenant et le design est une composante fondamentale.

L’économie actuelle reste linéaire : on utilise et on jette ; ce qui génère une quantité effrayante de déchets. Cuba n’est pas en reste, bien que le comportement soit à la réutilisation et au recyclage, mais ce n’est que par nécessité et non par conviction. Il faut donc commencer par un changement de mentalité, s’engager dans une économie circulaire, créer une infrastructure matérielle qui accompagne ces changements, mais en faire une utilisation intelligente sans générer des dépenses inutiles.

Malgré son jeune parcours, Enganche a réussi à avoir un impact avec ses propositions de design d’identité, d’intérieur, d’application, de pages Web, d’emballages, de campagnes publicitaires, d’évènements ; et des opportunités de croissance ont vu le jour grâce aux travaux réalisés avec des entités telles que la Empresa Comercializadora del Inder (Ecinder), la Fondation Antonio Nuñez Jiménez, l’entreprise importatrice Multiservi S.A. et la maison d’édition Extramuros. Dans le secteur privé, le groupe a collaboré avec des MPME telles que JR Soluciones, la coopérative Tarecolandia et l’entreprise Millennials Beauty Salon, pour n’en citer que quelques-unes ».

Emballages porte-manteaux pour vêtements.

« D’autres travaux que nous pouvons mentionner sont la conception de meubles de salles de bain, comme un pour lequel le client avait une porte en bois dont il n’avait pas l’utilisation et quelques morceaux de marbre dont il allait aussi se débarrasser. Il en est sorti un mobilier totalement fonctionnel, esthétique et moderne avec des matériaux possiblement voués à une fin peu souhaitable. Quant à la création d’emballages nous avons travaillé avec du carton Kraft, un matériau totalement biodégradable qui nous a permis de confectionner des emballages pour des bagues et mêmes pour des pots de fleur, sans la moindre utilisation de colle, seulement à base d’assemblages. A cela s’ajoutent d’autres initiatives pour des extérieurs et intérieurs qui essaient d’utiliser des matériaux comme les palettes et les ampoules LED, qui sont 80% plus économiques que l’éclairage conventionnel ».

Parmi les travaux les plus innovants que réalise le groupe figurent les solutions de réalité virtuelle. Bien qu’elles n’aient pas été mises en pratique pour les clients, les premières étapes sont déjà franchies. Ce secteur peut aussi avoir un socle durable. Mais, comment parvenir à ce que ces services, qui sont clairement technologiques, puissent être mis en application sous cette forme ? Les outils peuvent être utilisés dans n’importe quel secteur, créant une expérience pour l’usager, par sa capacité à recréer l’expérimentation immersive la plus proche de ce que serait une situation réelle. C’est une manière plus directe d’interagir avec l’environnement ; on peut donc, d’un point de vue durable, réduire les ressources utilisées pour planifier des activités dans le monde réel et développer des stratégies d’urbanisme.[...]

Comment évaluez-vous le chemin parcouru jusqu’à maintenant ?

Nous avons avancé sur de nombreux aspects d’un point de vue professionnel. Le parcours a été positif et a connu un développement. On a gagné en expérience et dans la création de nouveau projets qui nous ont permis de mettre en application notre philosophie de travail, en plus d’introduire le design dans de nouveaux domaines. Nous avons eu un accueil favorable de la part des clients, mais en général les personnes qui nous approchent sont sur la même ligne de pensée, en lien avec la durabilité et les questions environnementales. Nous aimerions que davantage de personnes appréhendent ces questions et prennent conscience de leur importance et de la manière de les mettre en pratique dans leurs entreprises ou leur quotidien.

Bien qu’il préfère la conception des espaces, des contenants et des emballages, Enganche rêve de travailler sur des projets permettant de travailler des matériaux nouveaux. Nous aspirons à ce que les gens viennent nous chercher et à aller vers eux à travers l’enseignement. Nous voulons montrer que d’une porte abimée peuvent émerger d’autres produits tout aussi fonctionnels et esthétiques et nous voulons qu’on nous choisisse pour cela. Si nous agissons tous en faveur la nature, nous protégeons notre maison, qui est celle de nous tous. C’est sur cela que nous parions. Nous aspirons à être une référence en matière d’éco-design à Cuba.

Mariana Vila et Ernesto Aguiar, fondateurs du groupe Enganche.

Bain en matériaux réutilisés.

https://www.juventudrebelde.cu/cuba/2022-11-05/cuando-el-diseno-engancha