Sans « fantômes » à l’angle historique de la 23ème et de la 12ème.

Opinion

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Nous sommes peu habitués, nous les Français, à la dénomination des rues et avenues dans une partie de La Havane. Et le carrefour de la 23ème (avenue) et de la 12ème (rue), non loin de l’immense cimetière de Colon (au centre duquel se trouve la Nécropole Christophe Colomb), est pourtant un lieu historique, sans fioritures mais tellement présent dans l’histoire cubaine et l’esprit de la majorité des Cubains.
En effet, c’est dans ce carrefour que fut organisé en mars 1960 un hommage à la centaine de victimes du cargo français « La Coubre », coulé dans le port de La Havane sans doute par les services secrets U.S., quelques mois après l’entrée des troupes révolutionnaires. Et c’est là que le photographe Alberto Korda prit 2 clichés historiques du célèbre et iconique Che Guevara.
De cette mémoire, restent « des fantômes », ces esprits « puristes » qui ont du mal à suivre les évolutions du « socialisme à la cubaine ». Ricardo Ronquillo, journaliste à Juventud Rebelde, à l’occasion de l’anniversaire de l’invasion ratée par la Baie des Cochons, exprime dans l’article ci-dessous un point de vue sans aucun doute partagé par de nombreux Cubains et Cubaines.

Sans « fantômes » à l’angle historique de la 23ème et de la 12ème.

Auteur : Ricardo Ronquillo Bello Publié dans Juventud Rebelde le 15 avril 2023

Si proclamer le caractère socialiste de la Révolution était presque téméraire dans la Cuba d’avril 1961, induit par une guerre qui n’était froide que par calcul, il n’est pas facile d’être cohérent avec cette proclamation 62 ans plus tard.

En cette année 2023, à l’aube de tant de revers d’origine et de nature différentes - y compris les obsessions politiques les plus anciennes et les plus ancrées - ce que nous devons proclamer, c’est la capacité de renouvellement, de rectification, de régénération et de changement du socialisme cubain.

Aujourd’hui, nous pouvons mieux mesurer la grandeur de cette victoire éclair du peuple cubain face à l’attaque mercenaire qui allait suivre la déclaration du caractère socialiste de la Révolution, tout en raisonnant clairement que la Baie des Cochons n’a été qu’un chapitre extraordinaire d’une invasion inachevée et d’une victoire plus forte et déterminante que nous nous devons encore de remporter.

Nous n’avons plus jamais connu d’agression militaire de cette ampleur, même s’il était pour le moins immature d’ignorer qu’en réalité c’est précisément cette ampleur qui a changé, ainsi que la forme et même le contenu des attaques.

Depuis lors, l’impérialisme mise davantage sur une défaite symbolique que sur une défaite réelle dans sa confrontation avec Cuba.

Les bombardements multiples et étendus qui ont suivi le bombardement physique et très bien ciblé de ces jours glorieux ont visé, avec des armes et des tactiques de différents calibres, y compris les infos et communications d’aujourd’hui, l’érosion systématique de l’idéal proclamé lors de cette formidable manifestation. [...]

De même que les formes de l’assaut ont changé - sans renoncer à la fausseté et à la tromperie de leurs méthodes et de leurs emblèmes - et même les moyens de le faire, le peuple cubain doit se préparer à les affronter avec la même dignité, car 62 ans plus tard, rien ne pourra être réalisé sans la force, la volonté et l’espoir de ce 16 avril inaugural.

Il convient de répéter que seule l’énorme mystique que la Révolution a éveillée en son temps a rendu possible le miracle de cette acclamation. Le travail précoce de la justice révolutionnaire, qui revendiquait lors de ces secondes historiques des siècles de lutte, a contribué à ce que la pensée radicale des représentants les plus éminents de la direction, en particulier de Fidel, s’implante dans le peuple.

Le socialisme a incarné l’idée du bien de l’Apôtre cubain, point de référence essentiel de l’idéal politique national.

La Révolution menée par la génération du centenaire de la naissance de José Martí avait franchi son étape la plus radicale, en plaçant le socialisme comme la voie de la restauration sociale, morale, politique et économique nationale. Ce faisant, elle a commis l’erreur de l’introduire comme projet à l’Ouest du monde, au nez et à la barbe même du leader du capitalisme mondial. [...]

Ce n’est qu’avec le renouvellement profond, clairement défini depuis le 6e Congrès du Parti Communiste et mené aujourd’hui par les continuateurs de la direction historique, que nous pourrons surmonter l’idéalisme, les maladresses, les erreurs graves et les reculs paralysants.

Si le vieux capitalisme mondial le fait, comment un socialisme historiquement naissant pourrait-il ne pas le faire ? lui dont l’un des principaux problèmes - reconnu par Fidel lui-même - est d’avoir cru que quelqu’un savait comment le construire, avec les copies déformées qui en ont résulté.

En décembre 2010, devant l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire, déjà en plein effort pour "changer tout ce qui doit être changé dans notre socialisme", mais non sans de très fortes résistances toujours présentes, Raúl Castro, son très emphatique promoteur, a souligné la leçon historique selon laquelle la construction du socialisme doit se faire en fonction des particularités de chaque pays.

Il a donc insisté sur le fait que nous n’avions plus l’intention de copier qui que ce soit, parce que cela nous a valu suffisamment de problèmes de le faire et parce que, en outre, nous avons souvent mal copié...

Raúl n’a pas hésité à souligner que notre fermeture d’esprit, notre incompétence et nos illégalités nous ont conduits au bord d’un gouffre dont nous constatons chaque jour qu’il nous faut beaucoup de temps et d’argent pour nous en éloigner.

Les principales bases de la résolution des problèmes structurels de notre modèle de socialisme sont même suffisamment avancées : les orientations économiques et sociales du Parti et de la Révolution, une nouvelle conceptualisation de ce modèle, ainsi qu’une Constitution adaptée, suivie d’un exercice législatif sans précédent et de grande envergure qui ouvre l’horizon d’une institutionnalisation et d’une constitutionnalité reconstruites.

L’un des dangers qui nous guette est le décalage flagrant entre le changement de conception proposé et la manière dont il est estompé à la base de la société, alors qu’il devrait être concrétisé.

Comme le Président de la République, Miguel Díaz-Canel Bermúdez, et le Premier Ministre, Manuel Marrero Cruz, l’ont signalé dans de nombreux forums, on a parfois l’impression d’être confronté à une "ingestion" de dispositions et de mesures qui ne parviennent pas à apporter les changements et, ce qui est plus urgent, les solutions à la multiplicité des problèmes accumulés.

Dans des moments aussi décisifs que ceux-ci, nous devons adopter, comme jamais auparavant, la vision de l’exercice politique de Fidel, qui a toujours placé le temps comme catégorie centrale du changement.

Dans une interview accordée à Juventud Rebelde, la vénérable Miriam Ofelia Ortega Suárez a rappelé que le leader historique de la Révolution "écoutait, essayait de comprendre et réalisait des actions rapides, surprenantes et uniques". Celle du 16 avril fut l’une d’entre elles.

C’est avec la même détermination que nous devons nous opposer à tout ce qui entrave la volonté révolutionnaire de changement du socialisme cubain. C’est la meilleure façon d’effrayer les fantômes qui hantent l’angle historique de la 23ème et de la 12ème.