Se nourrir reste un (grave) problème à Cuba

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Oui ! Il existe cet infâme blocus qui prive les cubains de leur droit à commercer avec qui leur convient, les bride dans les opérations financières que tout état gère selon ses choix… La conséquence est la pénurie de biens de consommation et surtout des fournitures tellement nécessaires à la maintenance des installations industrielles telles les centrales électriques, la maintenance des réseaux ferrés et du matériel roulant par exemple. L’agriculture n’échappe pas au phénomène. Cette terre riche peut produire plus sans aller jusqu’à l’épuisement des sols.
Mais il y a aussi des causes internes et même si le blocus n’y est pas pour rien, loin de là, la productivité est insuffisante.

GD

Le manque de productivité agricole affecte la sécurité alimentaire à Cuba

Dariel Pradas : 22 novembre 2024
Publié par IPS Cuba

Cuba importe 80% des aliments qu’elle consomme et, ceux produits dans le pays manquent d’une structure adaptée pour leur stockage, leur conservation et leur transformation.

Les clients font la queue pour acheter des produits agricoles pendant une fête populaire célébrant l’anniversaire de la fondation de la Havane. Cuba importe 80% des aliments qu’elle consomme alors que ceux d’origine nationale sont à des prix très élevés en raison de l’inefficacité de la production agricole. José Luis Banos

La Havane 22 novembre –La sécurité alimentaire est de plus en plus compromise par la hausse des prix des denrées alimentaires, du manque de variété dans l’alimentation et la baisse de la production agricole, ce qui rend difficile les efforts visant à atteindre les normes positives dans le secteur social essentiel.

« Je dépense presque tout mon salaire pour la nourriture (produits rationnés par l’état), dans l’achat de produits sur le marché agricole privé, et quelques petites choses en plus et même comme ça, je ne peux pas dire que j’ai une bonne alimentation » c’est ce qu’a confié Roberto Garcia à IPS, informaticien dans une entreprise d’Etat et résidant à la Havane.

Plusieurs études s’accordent à dire que les citoyens cubains consacrent entre 55% et plus de 70% de leur revenu à l’achat d’aliments essentiels :

  • Le salaire moyen dans cette nation insulaire des caraïbes s’élève à 4648 pesos, ce qui équivaut à 38,7 dollars selon le taux de change officiel de 120 pesos pour un dollar et à 14,3 dollars, selon le taux informel du marché des changes, qui fixe le prix de nombreux produits et services.
  • Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’Agriculture(FAO), la sécurité alimentaire à l’échelle du pays, signifie que toutes les personnes ont à tout moment un accès physique et économique à une alimentation suffisante, sûre et nourrissante, pour répondre aux besoins alimentaires et aux préférences, afin de mener une vie active et saine.

Sur l’île, y parvenir est un objectif clair du gouvernement. L’article 77 de l’actuelle Constitution, approuvée en 2019, établit le droit à l’alimentation et à la sécurité alimentaire pour tous.

Selon le programme Alimentaire Mondial (PAM), au cours des 60 dernières années, les programmes complets de protection sociale de Cuba et l’accès universel aux services de base ont éradiqué la pauvreté et la faim.

Cependant la crise économique du pays actuellement exacerbée, avec une baisse de 1,9% et une inflation de 30% à la fin 2023, minimise ces efforts et rend difficile l’accès à des plats de bonne qualité nutritionnelle à la table des cubains.

Des données de l’Institut National d’Hygiène, d’Epistémologie et de Microbiologie d’avant la pandémie du Covid-19 mettaient en évidence une forte prévalence de l’anémie chez les enfants de 6 à 23 mois dans la capitale et les provinces orientales et du centre.

Une étude publiée en 2022 par la Revue Cubaine de technologie de la santé- certifiée par le Ministère des Sciences de la technologie et de l’environnement indique que la malnutrition avait figuré pendant plus d’une décennie parmi les premières causes de mortalité sur la plus grande des îles des caraïbes.

L’enquête a mis en évidence qu’il y a eu en moyenne, entre 2011 et 2021, 48,64 décès par an dus à la malnutrition. Par ailleurs, 0,43 personnes sur 100000 habitants (la population du pays est de 10 millions) ont également risqué d’en mourir.

Les clients font la queue pour acheter des produits agricoles pendant une fête populaire célébrant l’anniversaire de la fondation de la Havane. Cuba importe 80% des aliments qu’elle consomme alors que ceux d’origine nationale sont à des prix très élevés en raison de l’inefficacité de la production agricole. José Luis Banos

Les mésaventures de l’agriculture nationale
« Produire des aliments coûte cher : les semences, les fertilisants … mais le problème majeur en ce qui concerne les prix, ce sont les intermédiaires qui les font beaucoup trop monter » a déclaré dans un entretien avec IPS Virginia Creach, petite agricultrice et propriétaire de la ferme La Mambisa dans la petite municipalité de Marianao à La Havane.

Des facteurs multiples entravent l’efficacité de l’agriculture, tel que l’érosion des sols, la salinité, l’acidité, le mauvais drainage, la faible fertilité ou la faible rétention de l’humidité. 77% des terres du pays sont classées improductives.

Outre l’exode des gens de la campagne vers les villes, les impayés aux agriculteurs et les structures bureaucratiques contreproductives, les ouragans, les sécheresses et autres phénomènes climatiques ont également un impact.

La pénurie de devises, exacerbée par les sanctions des Etats Unis envers l’ile, rend difficile l’accès au crédit pour investir dans ce secteur et ensuite importer des fertilisants, des aliments pour animaux, des machines modernes, des systèmes d’irrigation plus techniques, expliquent les autorités.

A la recherche d’une solution à ce problème, le gouvernement a approuvé en 2022 la Loi sur la Souveraineté Alimentaire et la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle, qui propose une plus grande décentralisation, des modèles de production durable, et de diminuer la forte dépendance aux importations de denrées alimentaires ainsi que la perte annuelle de très importants volumes de récoltes due à une mauvaise gestion.

Cuba importe 80% des aliments qu’elle consomme et ceux produits dans le pays ne bénéficient pas d’infrastructures adaptées pour leur stockage, leur conservation et leur transformation, si bien que l’offre est conditionnée à la saisonnalité, c’est pourquoi approximativement 70% des récoltes ont lieu durant les mois d’hiver.

Une cliente effectue le paiement de ses courses à l’intérieur d’un établissement d’Etat qui commercialise ses produits en devises. Dans de nombreux cas, les gens, pour pourvoir aux besoins en calories sont contraints d’acheter des denrées alimentaires sur des marchés privés qui les commercialisent en devises inaccessibles pour la population la grande majorité de la population.

Denrées alimentaires subventionnées

Une grande partie de la population se préserve de la faim grâce à un système de distribution rationnée et subventionné d’aliments que Cuba maintient depuis mars 1962, qui assure chaque mois à chaque citoyen, les produits essentiels à son alimentation.

Le gouvernement consacre plus de 2000 millions de dollars par an à l’importation de vivres rationnées qui, en raison du manque de financement et de problèmes de transport, ont souffert de pénurie et de retards dans la distribution.

Selon l’article publié en 2020 par l’économiste cubaine Betsy Anaya, alors directrice du Centre d’Etudes et d’Economie Cubaine, la consommation rationnée couvrait les recommandations nutritionnelles pour la population âgée de moins de 7 ans, mais ne garantissait pas la variété du régime alimentaire car il n’apporte pas d’aliments riches en fibre alimentaires, ni de fruits et légumes frais.

Les gens devaient alors compléter les nutriments nécessaires dans d’autres points de vente, à des prix beaucoup plus élevés. Dans le contexte actuel ils le font via des marchés privés ou d’Etat en devises, inaccessibles pour la majeure partie de la population.

Education nutritionnelle
Les habitudes alimentaires compliquent le problème de la nourriture à Cuba. De nombreuses familles n’ont pas de régime alimentaire équilibré et sain, soit pour des raisons culturelles ou tout simplement économiques.

« Les légumes frais ne doivent pas manquer à table, et les cubains n’en consomment pas. Il faut changer ces habitudes » a déclaré l’agricultrice Creach.

Le Fond des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) et le PMA, ont lancé en octobre une série audiovisuelle sur l’éducation nutritionnelle, en vue de promouvoir cette connaissance chez les jeunes et les motiver à produire leurs aliments et ceux de leurs familles en milieux scolaires et communautaires.

« Avec le projet, nous sommes allés à la campagne, avec les enfants, nous avons récolté, rapporté des produits et nous avons cuisiné avec ce qu’il y avait. Le régime équilibré et sain est essentiel pour ne pas tomber malade. Les enfants ne mangent pas de légumes mais si on les associe au processus de production, ils en mangeront », a déclaré à IPS le chef Enrique Suárez, un protagoniste de la série et propriétaire dans la capitale du restaurant Tocamadera.

Les fermes agro écologiques Finca Maria et Finca Vista Hermosa ont servi de décor aux 10 épisodes du projet, toutes deux à La Havane, qui donnent aussi une partie de leur production aux hôpitaux, maisons de retraite, écoles, maternités et à des zones vulnérables de leur communauté.

« Les politiques et programmes d’éducation à la santé et à la nutrition doivent être pertinents et sensibles aux contextes des pays et à l’évolution des besoins. Il faut être beaucoup plus attentif à la santé mentale, à la promotion de l’activité physique, au soutien des étudiants atteints de maladies chroniques et de handicaps et à des approches efficaces pour aborder le surpoids et l’obésité » a déclaré à IPS, Anne Lemaistre, directrice du bureau régional de l’UNESCO à Cuba.
Depuis des décennies l’UNESCO soutient la création de jardins scolaires et de matériel pédagogique sur l’éducation nutritionnelle.

Le PAM, pour sa part, rien qu’en 2023, a aidé quelque 760 000 personnes et a contribué au renforcement des chaines de valeur agricoles et a fourni des formations, une assistance technique et des équipements aux petits agriculteurs.