Situation économique et réformes en cours

2e partie de l’intervention de Stéphane Witowski à l’AG de CCF

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Nous publions ci-dessous la seconde partie du texte de la conférence de Stéphane Witkowski, à l’issue de notre AG le 15 octobre 2022. Elle est consacrée à l’évolution de la société cubaine, le rôle de l’Internet dans l’île et la stratégie d’influence des Etats-Unis d’Amérique.
Merci encore à notre ami, membre de la Présidence d’Honneur de notre association pour cette conférence qui apporte un éclairage particulièrement utile sur la situation économique de Cuba, les réformes en cours dans un temps où circulent malheureusement de nombreuses fausses nouvelles.
RG

É

AG – CUBA COOPERATION – 15 OCTOBRE 2022 – Intervention de Stéphane WITKOWSKI – Seconde partie de l’article (suite et fin)

  • Dans ce contexte, la société cubaine évolue et se transforme profondément. Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être avancés. Pour beaucoup de Cubains, dont le niveau de formation est élevé, et notamment dans la tranche d’âge 20 – 50 ans, le décalage est croissant entre leur potentiel intellectuel et les faibles débouchés professionnels adéquats et les salaires correspondants dans l’île. Cette perception, voire une forme de frustration, a peut-être été aiguisée par le déferlement de vagues touristiques depuis une trentaine d’années (jusqu’à la crise de la pandémie). La multiplication des échanges a sans doute contribué à cette prise de conscience. La tentation de l’exil – confirmée par des chiffres récents - et l’exode des cerveaux conjugués avec une faible natalité et un vieillissement de la population constituent un autre défi de taille pour les dirigeants du pays. Ce contexte risque de renforcer le clivage générationnel dans le pays et de nombreuses conséquences en découlent pour le pays. Cuba devrait compter la population la plus âgée du Continent à l’échéance 2025.
  • L’influence d’Internet, le rôle des réseaux sociaux et l’informatisation accélérée de Cuba constituent aussi l’un des facteurs majeurs d’évolution, voire de transformation du pays.
  • La politique d’informatisation accélérée du pays - devenue une priorité d’État - est une volonté clairement exprimée par le Président Miguel DIAZ-CANEL. Ingénieur électronicien de formation, féru lui-même de nouvelles technologies et d’Internet, il met l’accent sur son plan de modernisation qui passe par l’accès généralisé de la population aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’Université des Sciences Informatiques (Universidad de las Ciencias Informaticas, UCI) forme des ingénieurs et des chercheurs de très haut niveau, avec pour objectif d’informatiser le pays et développer l’industrie du logiciel. Elle est fréquentée par près de 11 000 étudiants.
  • Les municipalités et les provinces ont développé des sites qui permettent de s’informer et de communiquer avec les responsables. Parmi les secteurs jugés prioritaires, figurent les domaines de l’éducation, la culture, la santé, les sports, le tourisme, l’industrie et les principaux pôles productifs. Deux axes nouveaux ont été identifiés : le commerce et le gouvernement électroniques. Désormais, la plupart des formalités administratives, y compris pour obtenir des prestations sociales, devront être faites en ligne (cartes d’identité, certificats de naissance, mariage, décès, permis de conduire et autres…) dans tout le pays.
  • A la faveur de la pandémie, les autorités ont aussi compris que cette crise, du fait du confinement, pouvait accélérer l’informatisation de la société, par l’utilisation accrue d’Internet à domicile (via le développement du télétravail). Comme on le sait par ailleurs, les chercheurs et scientifiques cubains ont travaillé sur cinq projets de vaccins (Mambisa, Soberana +, Soberana 1, Soberana 2 et Abdala) dont deux opérationnels et l’essentiel de la population cubaine a été vaccinée. Dans un pays en crise, la performance mérite d’être saluée !
  • La révolution de l’Internet sur les mobiles à Cuba introduit une nouvelle donne sociétale et politique avec des enjeux économiques et technologiques. Elle s’inscrit dans « l’institutionnalisation de la Révolution de 1959 », ses valeurs et ses principes, mais pose de nombreux défis. Petit clin d’œil de l’Histoire : à l’origine, l’Internet avait été créé par l’armée américaine ! Devenu l’outil majeur de la mondialisation de l’information, l’Internet est devenu la langue d’Ésope, « la meilleure (la circulation des idées) et la pire des choses (manipulations médiatiques et infox) » ! Il est partie prenante des relations de l’île avec les États-Unis. La diplomatie cubaine, dont le professionnalisme et la réputation sont connus dans les enceintes internationales, doit tenir compte de cette donne.
  • Après une brève parenthèse de détente lancée par Barack OBAMA et Raul CASTRO (2014 – 2016), la présidence de Donald TRUMP (2017 – 2021) a gelé les relations cubano-américaines et aggravé la politique de sanctions. Depuis l’élection de Joe BIDEN, c’est en effet le statu quo, hormis quelques assouplissements, introduits au printemps, concernant les procédures d’immigration, les transferts d’argent et les liaisons aériennes, hormis, aussi, une petite minorité très active à Miami… Appuyée par des moyens financiers conséquents, la frange la plus radicale des militants activistes anti-castristes de Miami, dont certains étaient à la manœuvre lors de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, s’est lancée dans une forme de « subversion » depuis près de trois ans : tirs contre le siège de l’Ambassade de Cuba à Washington, cocktails Molotov lancés contre l’Ambassade de Cuba à Paris, actes de sabotage, jets d’explosifs contre des bars et restaurants de La Havane et infiltrations, plus subtiles, dans des milieux artistiques et musicaux et, y compris, des manipulations par des réseaux sociaux très actifs.
  • Cette « offensive » du « soft power » américain, déjà préconisée par Barack OBAMA lors du rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, coïncide avec une émancipation de la société cubaine depuis une quinzaine d’années. Cette stratégie d’influence sur Internet, mûrement réfléchie et financée par les États-Unis, vise les laboratoires d’idées, les revues numériques, les blogs, les leaders d’opinion, les universitaires et certains milieux professionnels. Le bouillonnement intellectuel, déjà très intense, perceptible dans les cercles intellectuels, artistiques et universitaires, trouve une résonnance particulière avec l’explosion des blogs et des réseaux sociaux sur Internet. À cette première complexité s’ajoutent des contraintes technologiques (les inconvénients liés à l’embargo à cause des transmissions qui contournent l’île, hormis le câble tiré du Venezuela) et des coûts financiers (les abonnements et les communications demeurent encore trop élevés).
  • Face au chantier des réformes déjà en cours ou à venir, le gouvernement cherche à répondre à cette nouvelle donne multidimensionnelle, politique, sociétale, économique, technologique et géopolitique. A la croisée des chemins et cherchant à conserver les « acquis et les idéaux de la Révolution de 1959 », il cherche à consolider sa voie, originale et singulière, sans calquer un modèle extérieur. Comme le disait très justement Pierre de CHARENTENAY, jésuite et ancien rédacteur en chef de la revue Études, « Cuba est un système unique sur lequel il faut prendre garde de ne plaquer aucune analyse toute faite ».
  • Je vous remercie.

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