Souvenirs d’un maquereau français à La Havane (2ème épisode)

Ou : Vie et mort d’Alberto Yarini, le « Roi de San Isidro ».

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Les mémoires d’un ancien souteneur français ayant vécu à La Havane, au début du 20ème siècle, ont récemment été retrouvées. Leur lecture donne le sentiment qu’elles ont été dictées à une tierce personne qui a su conserver la façon de parler du personnage.
Bien que le langage utilisé puisse choquer, il nous a semblé intéressant de partager, avec nos lecteurs, cette histoire totalement authentique, sous la forme d’un feuilleton de six épisodes. Nous vous présentons le second épisode : l’installation de nos souteneurs français à La Havane.
Nous avons aussi joint un court lexique de quelques termes argotiques utilisés par Marcel Caron.

Pour lire ou relire le 1er épisode

Second épisode : L’installation à La Havane

A l’arrivée, on s’est installés, tout naturellement, dans le quartier San Isidro, près du port.

San Isidro vers 1910

Il faut dire que le gouvernement américain avait décidé, en 1906, que l’ensemble du quartier San Isidro serait une zone de tolérance où la prostitution pourrait s’exercer dans des maisons closes, en dehors du regard des honnêtes gens. Cependant, n’allez pas croire qu’il n’y avait que des claques dans le quartier. Il y avait aussi toute une population de prolos (ouvriers du tabac, dockers ou employées de maison).

La Havane au début du 20ème siècle ça pouvait sembler joli, à condition de ne pas s’écarter des beaux quartiers. Parce que tout autour, c’était la misère et c’était pareil dans tout le pays.

10 000 indépendantistes étaient morts au combat et environ 300 000 civils avaient disparu dans les camps de concentration mis en place par le général espagnol Weyler, pendant la guerre d’Indépendance.
De nombreuses femmes se retrouvaient seules pour faire vivre leur famille.

Seulement 10 % d’entre elles avaient la possibilité de travailler pour des salaires misérables. Alors plusieurs milliers de mères, de filles, de veuves sont allées se mettre sous la protection d’un souteneur, un « chulo » qui, après leur avoir acheté des belles fringues et des belles godasses, les mettait au tapin dans une maison de passes. Elles devaient accepter tous les clients, même les plus cradingues, les plus ivres, les plus répugnants. Quand elles osaient dire un mot, les coups dégringolaient tout de suite. En plus, ils leur piquaient presque tout leur pognon. Même les toubibs en profitaient pour leur faire payer les consultations plus chères, sans parler des flics qui passaient eux aussi à la caisse.

Ne va pas croire que je te fais mon numéro d’humaniste. Moi aussi, j’en ai croqué. C’est pour te dire qu’il n’y a que les caves pour imaginer des histoires romantiques entre les barbots et les béguineuses.

Les prix chez Madame Yvonne (tarifs réduits pour policiers et militaires).

On avait installé nos filles dans des maisons en insistant bien sur le fait qu’elles étaient tenues par des Françaises, comme celle de Madame Yvonne. Les michetons parcouraient les rues du quartier, en jetant un coup d’œil en passant, pour choisir celle avec qui ils allaient passer un moment de bonheur tarifé.

On n’avait pas peur de la castagne et, comme nos petites françaises faisaient des trucs que les bonnes épouses cubaines refusaient, on a vite eu une clientèle de bons bourgeois qui au retour à la maison, se faisaient parfois engueuler par leurs régulières qui les attendaient avec une bassine en métal à la main pour leur en mettre un coup sur la cafetière en leur disant d’aller faire ce genre de gymnastique avec leur propre mère. La Cubaine, ça ne rigole pas quand on la prend pour une cruche.

En peu de temps, nous avons mis la main sur tout le trafic relatif à la traite des Blanches. Évidemment, nous le faisions avec l’accord des autorités que nous arrosions comme il fallait.

Nous nous étions alliés avec les proxos italiens pour faire le poids face aux maquereaux cubains, qui s’étaient alliés aux Espagnols. Les souteneurs cubains, les « chulos », se surnommaient les Guayabitos (les beaux gosses). Ces mecs n’ont jamais douté de rien, c’est même cela qui les rendaient dangereux.

A suivre !

Pour lire l’épisode suivant
Lexique des termes utilisés par Marcel Caron