Souvenirs d’un maquereau français à La Havane (3ème épisode)

Ou Vie et mort d’Alberto Yarini, le « Roi de San Isidro »

Partager cet article facebook linkedin email

Nous poursuivons la lecture des mémoires d’un ancien souteneur français ayant vécu à La Havane, au début du 20ème siècle.

La bande de souteneurs français a quitté Paris pour venir s’installer à La Havane où opèrent déjà des maquereaux cubains, espagnols et italiens.

Un nouveau personnage apparaît dans cet épisode : Alberto Yarini.

Pour lire ou relire l’épisode précédent
Pour lire ou relire le premier épisode

Troisième épisode : Alberto Yarini

Un jeune type, Alberto Yarini, a commencé à prendre de l’importance à San Isidro. Il était issu de la famille Yarini Ponce de Leon qui était très respectable.
Le père, Cirilo, était chirurgien dentiste et professeur à l’Université de La Havane.
La mère, Juana Emilia, était une grande pianiste qui avait même joué pour Napoléon III aux Tuileries.

Alberto Yarini Ponce de Leon

Alberto avait étudié aux USA. Il parlait parfaitement le rosbif et s’exprimait dans un espagnol plutôt recherché. Mais, tout ce qu’il avait dans le citron ne l’empêchait pas d’être tannant quand il parlait.

Il n’était pas grand, 1,70 m environ, mais il était beau mec et il le savait. En fait, il était très amoureux de lui-même et il passait une grande partie de son temps à frimer, vêtu de costards taillés sur mesure, à la terrasse du Louvre, le bar de l’hôtel Inglaterra.

Quand il était dans le monde de sa famille, il était éduqué, parlait doucement et savait écouter les anciens et les gens bien placés.

Par contre quand il se retrouvait à San Isidro, il se transformait en un dur à qui il fallait parler à voix basse et montrer le plus grand respect.

Il possédait plusieurs maisons de passes dans le quartier : rue Paula où il vivait avec 5 ou 6 filles. Et puis rue San Isidro ou Compostela où il y avait pareil, 5 ou 6 filles.

Le mec avait une double vie, maquereau et fils de bonne famille, et tout le monde le savait. On l’appelait le Roi de San Isidro ou le Coq.

Rue Galiano vers 1910

Le matin, il prenait son petit déjeuner chez ses vieux, rue Galiano.
Dans la journée, il se réunissait parfois avec les membres du parti conservateur et certains soirs, il allait à l’Opéra ou dans d’autres endroits fréquenté par les rupins. Cela lui a aussi permis de rencontrer quelques dames de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie, sans que leurs maris le sachent.

Il faisait peur aux durs les plus durs de San Isidro. Il pouvait passer d’un état de tranquillité à une furie démesurée qui l’entraînait à cogner brutalement le responsable de sa colère.

Par exemple, un jour, il briffait au restaurant Cosmopolitan avec quelques amis dont un ancien général Noir de la Guerre d’Indépendance, Florencio Salcedo. Il a esgourdé, à une table voisine, des Ricains qui se moquaient du Noir en regrettant qu’il ait le droit de fréquenter les mêmes endroits que les Blancs.
A la fin du repas, Yarini a demandé à ses amis d’aller prendre un verre dans une autre salle. Il s’est levé et a exigé que le Ricain présente des excuses.
Comme l’autre a refusé, il lui a balancé une série de bourre-pifs en lui fracturant la mâchoire et quelques dents.
Il se trouvait que le type était Corner Tarler, le représentant de la délégation nord-américaine à Cuba et qu’il était accompagné par le Capitaine Granville Fortescue, chargé d’affaires des USA à La Havane. Rien que ça !

Restaurant Cosmopolitan vers 1910

Ce sont les baveux du parti conservateur qui lui ont sauvé la mise. Il faut dire que compte tenu de sa position familiale, le type avait des relations bien placées. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir un sens de l’amitié assez particulier...

A suivre !

Épisode suivant
Lexique des termes utilisés par Marcel Caron