Une prise en charge de l’autisme à Cuba

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Cuba, victime d’un blocus de plus en plus agressif de la part des Américains qui l’empêche de disposer de moyens financiers, réalise un travail extraordinaire avec les jeunes autistes.

Ce beau projet de coopération, démarré en 2019 par Cuba Coopération France, le Secours Populaire et l’UFM (Union française des métallurgistes), va permettre des échanges avec des professionnels, avec des familles.
Ajoutons l’importante participation de la Fondation Air France dans le financement de cette opération.

Saluons le formidable travail de toutes les équipes pédagogiques, notamment dans l’école Vilma Espin à Cienfuegos.

A Cuba, la prise en charge des écoliers atteints d’autisme a commencé dans les années 1990 avec pour objectif l’amélioration de leur qualité de vie et une meilleure intégration sociale.
La première école -dénommée Dora Alonso- a été créée en 2002.
La troisième école d’autisme a ouvert ses portes en 2011 à Cienfuegos sous le nom de Vilma Espin Guillois. Elle accueille une soixantaine d’enfants et adolescents de 3 à 17ans et est devenue un projet de développement local avec le soutien de Cuba Coopération France.
La première phase du projet a permis d’importants progrès pour l’école et ses élèves (notamment acquisition d’un bus de transport scolaire et divers équipements spécifiques, aménagement d’un local pour la formation des parents, création de supports de communication pour la sensibilisation envers les enfants autistes).
La seconde phase, en cours, propose le renforcement des capacités des enseignants au moyen d’échanges d’expériences académiques avec des enseignants français pour débattre sur les stratégies didactiques, l’emploi du temps, l’attention à la diversité, les stratégies d’évaluation, la salle de classe comme espace physique et ses ressources. Il s’agit de créer une alliance de relation et de coopération, de comprendre le processus éducatif dans les deux pays et contextes.
Les personnes autistes font souvent face à l’exclusion sociale, mais cela peut changer grâce à l’amélioration des politiques et la mise en place de services de soutien. C’est ainsi que L’école de Cienfuegos participe à l’inclusion sociale et conforte le choix de Cuba Coopération France en faveur du développement de ce beau projet.

SR

Les nuances de bleu

Auteure : Laura Brunet Portela
Publié dans Juventud Rebelde le 14 octobre 2023

L’amour, la patience et la créativité sont des éléments fondamentaux dans la prise en charge intégrale des enfants et des adolescents présentant un diagnostic de spectre autistique.

Depuis dix ans, « Peindre en Bleu » ouvre le monde de l’art aux enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux.
Auteur : avec l’aimable autorisation de l’Ecole.

CIENFUEGOS-. Anthony fait partie intégrante de l’histoire d’Angel Rojas depuis treize ans. Chaque trait du visage de ce père de famille traduit une tristesse et mille joies.

La rudesse de la période d’adaptation, qui semblait infinie, a marqué le début de la prise en charge. Il se souvient de sa détresse, parce que son petit garçon n’arrêtait pas de pleurer, et de sa démarche désespérée et hagarde à la porte de la crèche.

Le diagnostic lui a apporté une certaine paix, le soulagement de savoir, mais il avoue que sa phase de déni a également été assez longue. Accepter l’autisme et savoir comment stimuler le potentiel de l’enfant est un processus qui demande un accompagnement. Aujourd’hui encore, il est suivi par le groupe d’enseignants et de spécialistes de la Escuela Especial de Atención al Autismo Vilma Espín Guillois (ndt : Ecole Spécialisée dans le Traitement de l’Autisme Vilma Espín Guillois).

« Pour moi, c’était dur, je ne l’acceptais pas, parce qu’avoir un tel enfant est difficile. Il ne parlait pas, il ne m’avait jamais appelé papa. Mais j’ai beaucoup appris ici, j’ai été compris », raconte-t-il dans l’une des salles de classe du centre, où il se sent chez lui.

Ángel se tait pour laisser place à un sentiment évident de gratitude qui remplit ses yeux. En dix ans d’études, son fils a remporté beaucoup de petites victoires qui font de lui un adolescent jovial, solidaire et souriant qui salue même toute personne étrangère qui se présente à sa porte.

Un projet à développer

"Que puis-je dire de l’école ? Je n’ai pas à me plaindre de cette institution. C’est ici que les enfants profitent des meilleures conditions", affirme le père d’Anthony, qui a été le témoin de la transformation de l’école Vilma Espín Guillois, l’un des quatre centres du pays en charge de ce trouble du développement cognitif et le seul existant dans la région centrale.

En 2019, l’école est devenue un projet de développement local avec le soutien de Cuba Coopération France.

Ses installations se sont développées et améliorées pour répondre à la demande croissante de ces dernières années.

Tania González Fonseca, directrice de l’institution, a souligné qu’il y a quelques années encore l’effectif ne dépassait pas une cinquantaine d’élèves, mais qu’aujourd’hui il y en a déjà 75 qui viennent de toute la province. Bien que seulement 30 d’entre eux soient présents quotidiennement, les autres bénéficient, au moins deux fois par semaine, des soins spécialisés dispensés par cette structure collective dans le cadre de ce que l’on appelle la modalité combinée. Les enseignants se déplacent aussi au domicile de ceux qui ne peuvent pas se rendre à l’école pour des raisons physiques ou de santé. (Dans un premier temps, j’avais traduit par formule mixte mais dans la fiche projet est employé le terme de modalité combinée)

La maîtrise des activités quotidiennes les prépare à la vie.
Photos : avec l’aimable autorisation de l’Ecole

La première phase du projet a permis de dégager environ 20 000 euros pour la réparation du bâtiment et l’achat de fournitures et matériel scolaires, de produits d’hygiène corporelle et d’ustensiles de cuisine, tels que des cuiseurs de riz, des marmites à haricots, des filtres à eau, etc.

"Au cours de cette première étape, nous avons également obtenu une navette pour aller chercher et ramener les enfants à leur domicile. En outre, nous organisons des activités complémentaires et planifions des excursions avec les familles. Tout cela rentre dans un cadre pédagogique qui nous permet de repenser les codes des relations sociales, du comportement et de la communication, car la plupart de ces enfants n’ont pas de langage verbal", a expliqué Mme González Fonseca.

Grâce aux ressources matérielles disponibles, le quotidien de ces enfants est stable, varié et inaliénable, comme l’exige leur situation. Mais le sourire, le bisou et le réconfort de l’enseignant l’emportent sur tout le reste.

Au bon endroit

Sur chaque tête, Ana Liz Calvo Taño dépose un baiser tandis qu’elle présente avec force de détails chaque élève. Elle va d’une classe à l’autre, prodiguant caresses et compliments, que les élèves lui renvoient.

Des pouces levés pour dire qu’ils vont bien et en retour un hochement de tête espiègle et complice. Elle rencontre aussi des visages renfrognés, sans envie de répondre, mais elle insiste et obtient un sourire.

D’autres sont plongés dans leurs mondes de couleurs, de personnages griffonnés et de bourdonnements. Elle s’immerge aussi dans leurs univers et tente de se connecter à ce qu’ils aiment.

Un petit garçon, qu’elle berce à son bureau, lui dédie une chanson inspirée par l’ambulance en jouet qu’il tient dans ses mains. Il la chante de façon si mélodieuse et si juste que c’est un plaisir de l’entendre.

-Voyez comme il chante bien” souligne l’enseignante, fière de son talent, mais c’est quand il le veut bien.

Ces enfants sont très particuliers, affectueux, mais il faut savoir les guider, ne rien leur imposer, et surtout avoir beaucoup de patience et d’amour pour eux.

Depuis plus de dix ans qu’elle enseigne dans cette institution, Mme Calvo Taño a appris à abandonner les plans et les modèles. Elle pense qu’ils ne sont que des guides pour qu’aucune once de savoir n’échappe au groupe.

«  A l’extérieur, tout le monde dit que c’est un très beau travail. Mais les parents eux-mêmes parlent des forces nécessaires au quotidien pour savoir comment éduquer et s’occuper d’un enfant autiste. Et c’est difficile. C’est pourquoi on ne peut être ici que si l’on aime le métier. J’aime mon travail », reconnaît l’enseignante de Cienfuegos.

Dans l’école peinte en bleu, la couleur d’identification de l’autisme, on ressent la patience et la sérénité, peut-être comme témoignage de son fonctionnement.

Arianna Gil Rodríguez parle de l’institution de Cienfuegos sans faire de longues pauses, juste quelques-unes pour respirer, tant elle est reconnaissante de l’engagement du centre et du personnel envers des enfants comme José Alejandro Zurita, son fils de six ans.

« Quand on te diagnostique un autisme, c’est comme si une bulle t’éclatait à la figure, et tu ne sais pas comment réagir tant tu as peur. On se sent parfois seul. Mais grâce au soutien que l’école nous a apporté et aux discussions que nous avons eues, nous avons pu prendre confiance en nous", reconnaît la jeune mère.

« C’est un soulagement pour les parents qui ont des responsabilités professionnelles de savoir que leurs enfants sont dans un lieu où ils sont compris et où leurs décisions sont respectées", a déclaré Gil Rodríguez, un travailleur de la Centrale Thermoélectrique Carlos Manuel de Céspedes, la plus performante du pays.

Ainsi, lorsque quelqu’un arrive en souffrance, le programme de l’enseignant doit pouvoir s’improviser et être varié. Dans ce cas, toute couleur, texture, forme, image, son, odeur ou objet peut générer une nouvelle leçon.

« Ils ont la capacité de te surprendre au moment où tu t’y attends le moins. C’est incroyable ce qu’ils peuvent accomplir et chacune de leurs réussites nous apporte une grande satisfaction", a déclaré Mme Calvo Taño.

Dans les téléphones portables de presque tous les assistants, spécialistes et enseignants, les photos de famille se mêlent aux photos et vidéos de chaque prouesse de leurs élèves.

Azary Estévez González est une de ces images récurrentes. « Ce n’est plus la même enfant », dit sa mère, Nair González López, « car même si elle n’est pas totalement maîtresse de son comportement, elle a beaucoup changé. Nous avons réussi à la faire travailler de manière plus autonome, à lui faire prendre son repas de midi toute seule. Si vous me demandez si elle est au bon endroit, je dirais oui sans aucun doute, parce que c’est merveilleux de voir l’amour et l’affection avec lesquels chaque professeur s’en occupe ».

Sans leur lâcher la main

« Le défi consiste à doter les élèves des outils de connaissance, de communication et de compréhension qui les préparent à la vie », déclare Mme Calvo Taño, en référence à l’esprit de cet enseignement.

En outre, cette affirmation s’accorde très bien avec le fonctionnement de la « petite maison de l’économie domestique », un espace où ils peuvent reproduire les routines ménagères, apprendre à suivre des consignes usuelles et devenir responsable de leur habillement et hygiène corporelle.

Les élèves qui suivent déjà des cours de formation professionnelle participent à un projet visant à leur apprendre à cuisiner le riz. Bien que cela semble être une action simple et quotidienne, cela leur demande beaucoup d’attention et de savoir-faire.

"Ce n’est pas dangereux, cela s’apprend et ils travaillent ainsi sur une activité qui nécessite une succession de compétences dans un ordre précis. D’un point de vue pédagogique, c’est très utile", se réjouit Mme Calvo Taño.

La prise en charge personnalisée est vitale pour une réussite de l’apprentissage.
Photos : avec l’aimable autorisation de l’Ecole

Les photos d’Anthony, de Wilmer et Darío devant la marmite fumante de leurs premières rations de riz font le tour des réseaux sociaux. "Ils adorent cuisiner et ont besoin d’aide, mais ils veulent aussi être indépendants. C’est pourquoi nous ne leur apportons que l’assistance dont ils ont besoin", ajoute-t-elle depuis la petite cuisine.

Le jardinage et les travaux manuels figurent également sur la liste des activités qui développent l’autonomie des enfants et leur contact avec l’environnement. Les enseignants combinent la collecte de matériaux de récupération avec la production d’outils pédagogiques pour que d’autres puissent continuer leur apprentissage.

"Dans un sens, les parents sont très exigeants, ils aiment qu’ils fassent de nouvelles choses, car cela les prépare à la vie", explique Hilda Rosa González Arística, professeur de jardinage et de travaux manuels.

Thérapies spéciales

L’art est un moyen d’échapper au mal être. C’est pourquoi il est devenu une boussole pour ces gamins depuis longtemps.

« Peindre en bleu  » est un projet destiné à ceux qui commencent à découvrir d’autres univers. Mario Cruz Moscoso, artiste plasticien à Cienfuegos, est l’un des pilotes de cette initiative, dans laquelle il n’y a pas de modèle. Chacun est ce qu’il veut être et l’exprime en couleurs.

M. Cruz Moscoso raconte qu’il a commencé avec des personnes atteintes du syndrome de Down il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, il travaille avec des enfants diagnostiqués autistes, en acceptant de sortir de sa zone de confort.
Ana María González Barberis, enseignante au centre, constate de nombreux changements depuis que les enfants participent à l’Atelier Graphique de la Perle du Sud.

"Cela les aide à modifier les conduites agressives dont certains d’entre eux font preuve, en particulier les plus jeunes. Ils ont acquis beaucoup d’aisance dans l’organisation des couleurs, des formes et des textures. C’est un processus compliqué et très long, mais nous y sommes parvenus", a déclaré Mme González Barberis.

L’équithérapie et la delphinothérapie sont des activités régulières qui s’inscrivent dans le programme hebdomadaire que l’école suit à la lettre. Tous les lundis et mercredis, un groupe d’élèves se rend dans ces lieux, où la rééducation et d’autres actions de la journée sont également transférées.

"Nous cherchons mille façons de rendre nos enfants heureux, et parfois ils ne le sont pas avec les choses qui ravissent normalement un enfant ordinaire. C’est pourquoi tout signe de joie de la part de José Alejandro est une bénédiction pour nous. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour il monterait à cheval, mais grâce à l’école il a essayé et il s’avère qu’il adore. L’école Vilma Espín m’a rempli d’alégresse, pour tout ce qu’elle a fait pour mon fils", a déclaré Gil Rodríguez, conscient de la joie de son petit garçon.

Des histoires comme celles d’Anthony, d’Azary ou de José Alejandro se tissent chaque jour dans les classes de cette école.

Avec les enfants, les enseignants et les assistants ont créé des liens éternels qui viennent du cœur.

Il n’est pas rare d’entendre des anecdotes d’enseignants qui ont conduit les enfants à la porte d’un bloc opératoire pour soigner d’autres pathologies, parce qu’ainsi ils se sentaient plus en sécurité et calmés. Ils les ont aussi accompagnés à des consultations de suivi médical ou sont allés les voir chez eux quand ils étaient grippés.

Guider les enfants et adolescents autistes dans la vie, développer leur autonomie et nourrir leur potentiel est sans aucun doute la tâche de spécialistes expérimentés, mais c’est surtout la mission de ceux qui savent leur donner de l’affection.