La campagne cubaine se métamorphose grâce à une série de réformes de Raúl Castro.

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Un article d’ ISABELLE MASSÉ
pour le journal canadien "La Presse"
La campagne cubaine se métamorphose, grâce à une série de réformes de Raúl Castro. On la défriche, la cultive, on y plante du maïs, on y traie des vaches aux aurores. En prêtant les terres de l’État à ses habitants, le gouvernement cubain transforme à la fois les paysages de sa province et la production agricole du pays. Mais le prêt massif de terres ne rime pas avec transformation radicale du quotidien des Cubains. La Presse Affaires l’a constaté à Moron et Chambas, à 400 km à l’est de La Havane.

Diminuer le niveau des importations !

Après avoir récolté ses haricots noirs et rouges, Guillermo Gonzalez Rodriguez attendait la saison des pluies pour semer le maïs sur une des terres que le gouvernement lui a prêtées, à la suite des réformes annoncées par Raúl Castro, qui dirige Cuba depuis 2008. La campagne est directement visée par le renouveau promu par le Parti communiste de Cuba. Les mesures sont désormais considérées comme primordiales pour diminuer le niveau des importations qui représentent 80% des besoins en nourriture, soit un coût de 1,5 milliard.

Depuis trois ans, 1,3 million d’hectares ont été remis à des habitants des campagnes. Parallèlement, pour faciliter le développement agricole, Raúl Castro a ouvert, en décembre 2011, le crédit bancaire aux particuliers. La mesure vise les agriculteurs et travailleurs indépendants, les coopératives et les gens voulant effectuer des travaux de construction. Pour les agriculteurs, cette ouverture bancaire permet l’achat d’équipement, de tracteurs et autres systèmes d’irrigation.

Pour l’heure, Cuba compte environ 165 000 agriculteurs. Comme Guillermo Gonzalez Rodriguez, qui travaille pour la Coopérative de crédits et services (CCS) et qui doit remettre, chaque mois, une partie de sa production. « Je donne 80% à l’État », dit-il.

Déjà agriculteur, Guillermo n’a pas eu de difficulté à obtenir des terres supplémentaires de l’État, en 2011. « J’avais une ferme et sept petites terres dispersées à Chambas, mais j’en ai pris 6 hectares de plus de l’État pour améliorer ma condition, explique-t-il. C’est facile d’en obtenir. À l’époque, il y avait plein de terres à distribuer. On pouvait prendre jusqu’à 13 hectares, mais je n’avais pas l’espace. »

Des terres de qualité inégale

Heureusement pour cet ancien professeur d’école primaire et comptable, les terres étaient prêtes à être cultivées. Ce n’est pas le cas pour tous les demandeurs, qui se voient concéder des terres sur lesquelles pousse le marabu, une plante difficile à arracher et qui s’est répandue sur 1,2 million d’hectares de terre cubaine. « Il ne reste pas beaucoup d’espaces autour d’ici, remarque Guillermo. En fait, les terres disponibles ont toutes été distribuées. Il n’en reste plus de bonne qualité, sans marabu. »

Barbara Cervantes aurait aimé éviter le marabu. Quand cette femme dans la cinquantaine a reçu sa petite terre pour l’élevage de bovins, en 2009, elle a d’abord dû arracher la mauvaise herbe. Puis, rapidement, clôturer la terre pour le bétail, pour une question de sécurité. « L’État donne la terre, raconte-t-elle. La dimension souhaitée. Dans mon cas, j’ai obtenu une petite terre à la sortie de Moron. Pour le petit bétail et les plantations. On pensait qu’on pouvait avoir une vie différente. À l’époque, l’État donnait des aliments pour les animaux et des pesticides à bon prix. La condition ? Que la terre soit rapidement prête à produire. »

L’aventure agricole de Barbara Cervantes s’est conclue au bout de 10 mois, « pour des raisons personnelles ». Au dire de sa fille Yanelis, ce fut une expérience pénible. Pour avoir l’argent nécessaire pour démarrer la ferme, le beau-père a dû travailler dans une ferme tout près, aux aurores, pour traire des vaches. Pas les siennes. Celles du voisin !

Guillermo, 60 ans, se rend aux champs tous les matins, de 6h à 11h. « Il ne faut pas trop planter, car peu de gens travaillent la terre, mentionne l’agriculteur. Ce n’est pas facile de trouver des employés. J’ai aussi de l’élevage. J’ai 22 vaches, dont 13 laitières que je traie. »

Les réformes ont transformé le quotidien de Guillermo. « Je vis à l’étroit, souligne-t-il. Mais j’ai grossi mes possessions et ma production. J’ai plus d’argent. Ça me permet de vivre. Par contre, les prix augmentent, donc les profits ne sont pas très élevés. Le prix des barbelés a doublé ; celui du fertilisant, triplé. Même chose pour le carburant et les semences. »

« Des gens ont amélioré leurs conditions de vie grâce aux réformes, poursuit Barbara Cervantes. Certains ont maintenant une voiture et un tracteur. Moron a changé depuis 2009. En général, on produit plus de lait ici et ailleurs. Et on vend dans le secteur du tourisme, parce que des gens ont acheté des vaches pour les élever et qu’on peut maintenant opérer sans passer par un intermédiaire. Ceux qui travaillent bien la terre ont augmenté un peu leur salaire. »

Médecin, Misleydys Gonzalez Buchillon, nièce de Guillermo, note une amélioration dans le système de santé, à la campagne. « Il y a eu une sorte de révolution, estime-t-elle. La qualité de vie s’est améliorée globalement. En dehors de la ville, le gouvernement a créé des cinémas et mis des matériaux à la disposition des habitants pour rénover les maisons. L’État a créé des équipes de maçons pour entretenir tout ce qui est brisé. Avant, même la nourriture était difficile à trouver. La qualité de vie s’est améliorée, disons, de 60%, mais ça ne veut pas dire qu’on peut se payer des jouets, des vêtements, des appareils électroniques ou des cellulaires ! Pas encore d’objets de luxe. »

Nouvelles coopératives

Le meilleur de la réforme en région ? « La diversification des coopératives, répond Sara Sanchez, comptable principale de l’entreprise de transport pour touristes Transtur. Avant, les coops étaient destinées seulement aux travaux à la campagne, dans l’agroalimentaire. Il n’y avait qu’une façon d’exploiter les terres et le bétail. Depuis, il s’est créé plein de coopératives. De construction, entre autres, dans lesquelles plusieurs personnes peuvent se regrouper pour travailler. L’État et le privé peuvent leur téléphoner, pour des réparations, par exemple. Et les travailleurs des coops gagnent plus qu’avant, car on a haussé les tarifs qu’ils peuvent exiger pour leurs services. »

« À l’époque, je récoltais les goyaves dans une coopérative, raconte Yasmani Rodrigue Castillano. Pour 8 heures de travail, j’obtenais 14 pesos cubains. Aujourd’hui, je reçois de 30 à 50 pesos. Grâce aux augmentations de salaire, plus de personnes de la campagne travaillent qu’avant. »

Cependant, on n’est pas prêt à dire que tout est au point. « Il n’y a pas un endroit où on peut acheter en gros ce dont on a besoin. Que ce soit des entrepôts de fromage ou de ciment. Mais ça pourrait arriver bientôt, dit Sara Sanchez, optimiste. Tout ne va pas bien encore. Il faut polir les choses. Par exemple, les paysans ramènent plein de produits achetés par l’État, mais qui risquent d’être périmés avant de passer à la population. Car les gens en transit ne sont pas efficaces. Il y a quelques semaines, Raúl Castro a rencontré tous ses ministres. Il leur a dit qu’il fallait passer à l’action et cesser de bavarder ! »

Déroutante Autoroute 1

On dirait le Far West, même si le chemin est pavé ! L’Autopista 1, autoroute sans véritable terre-plein, permet de quitter La Havane pour s’aventurer dans la campagne cubaine. Et le voyage s’amorce dès qu’on quitte la capitale ! Dépaysante ? Ses quatre voies, qui permettent de se faufiler vers le centre et l’est de l’île, ne sont pas uniquement réservées aux voitures. Il est préférable, voire impératif, de rouler dans celles du milieu.

Car à tout moment, le conducteur y croise des Cubains faisant du pouce (moyen de transport populaire à Cuba, vu le nombre restreint de propriétaires de voitures), marchant, roulant à vélo, se déplaçant en charrette ou à dos d’âne sur la voie de droite. Et pas à 100 km/h ! Et la voie de gauche est le théâtre de comportements qui feraient trembler encore plus de rage la SAAQ ! Il s’y trouve, immobiles ou sortant tout à coup d’un buisson, des vendeurs de fromage et d’ail qui espèrent que les conducteurs mettent soudainement les freins pour faire des provisions.

Lors d’un périple en voiture vers Moron, au centre de l’île, les représentants de La Presse Affaires se sont demandé pour qui il était plus dangereux de s’y aventurer... jusqu’à ce qu’ils croisent un cheval éventré au beau milieu de la route. Car il n’est pas rare, non plus, de voir des véhicules et des chevaux emprunter l’autoroute... de façon perpendiculaire. Pour soudainement effectuer un virage à 90 degrés ou pour se promener d’une terre au sud à une terre au nord de l’autoroute. De l’exotisme, loin des plages des Cayos !