La Vieille Havane : des rues chargées d’histoire

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LA vieille ville tombait en ruines. Jardins, grilles, galeries, façades, portails, rues, places… semblaient alors condamnés à l’oubli, parce que trop anciens ou trop délabrés, ou pour ne plus être adaptés aux nouvelles conceptions qui entraînèrent une croissance démesurée de la ville, bien au-delà de ses frontières d’origine.

Sauver la ville fut alors un grand défi, qui est toujours d’actualité, depuis le démarrage, en 1937, de la restauration de l’ancien Palais des Capitaines généraux, sur la Place d’armes.

En 1937, lorsqu’Emilio Roig de Leuchsenring fonda le Bureau de l’Historien de La Havane, il ne put réaliser que quelques actions pour sauver la ville de la ruine architecturale. En effet, son enthousiasme, ses connaissances remarquables et ses idées révolutionnaires se heurtèrent au manque d’intérêt pour la préservation du patrimoine que manifestaient les gouvernements républicains et municipaux de l’époque.

• Alors que Cuba vit des transformations, et dans le cadre des mesures adoptées par le 6e Congrès du Parti communiste, le Bureau de l’Historien perfectionne ses mécanismes de gestion

YAIMA PUIG MENESES

...Cependant, la voie était tracée. Après le triomphe de la Révolution, plusieurs projets virent le jour. La vie reprit ses droits dans les rues de la Vieille ville. C’est ainsi qu’en 1981, le Bureau de l’Historien de La Havane assuma, par décision gouvernementale, un rôle de plus grande envergure : la mise en œuvre du premier plan d’ouvrages de restauration de la ville.

Comme l’indique Eusebio Leal Spengler, l’Historien de La Havane, dans son livre Para no olvidar (Pour ne pas oublier), l’impulsion du leader de la Révolution, Fidel Castro, en 1993, fut déterminante. « (…) au cœur de tant de préoccupations et de responsabilités épuisantes, il montra [Fidel] un vif intérêt pour trouver une formule qui permette de préserver le centre historique de La Havane. » En accord avec le Décret-loi signé par le commandant en chef, le Bureau de l’Historien fut doté de fonctions plus vastes.

« Depuis lors, nous avons beaucoup travaillé », a affirmé à Granma Eusebio Leal, « L’œuvre que nous avons devant nous est bien plus importante encore. Je ne suis jamais satisfait, j’éprouve sans cesse cette angoisse de ce qu’il reste à faire. C’est pourquoi le jour où nous ne faisons rien est un jour perdu. »

Si aujourd’hui les Cubains peuvent être fiers de vivre dans une ville inscrite au Patrimoine de l’Humanité, cela est dû en grande partie aux efforts de l’Historien de La Havane pour la sauver. « Cependant toute grande œuvre doit être toujours protégée par un État cultivé, qui met la culture à sa juste place, et par chance, nous avons pu compter sur cet appui », a-t-il souligné.

Un exemple d’immeuble restauré : la Maison Victor Hugo, au 311 calle O’Reilly

Ainsi, le Centre historique n’a pas seulement changé ses façades ou rajeuni ses structures détériorées : les objectifs culturels se sont conjugués harmonieusement aux intérêts économiques en fonction du développement du pays et de la restauration, ainsi qu’au travail social effectué dans cette partie de la ville, afin d’enraciner chez ses habitants le sentiment d’appartenance.

Bibliothèques, archives, écoles, cabinets d’archéologie et de patrimoine musical, laboratoires et ateliers de restauration, mais aussi hôtels, restaurants, bars et commerces, auxquels s’ajoutent des résidences pour personnes âgées sans soutien, centres d’accueil de jour pour personnes du 3e âge, centres médicaux et pharmacies ; une revue ; une station de radio, une école d’apprentissage et bien d’autres initiatives, sont le résultat de toutes les actions réalisées par le Centre historique afin d’améliorer le bien-être de la population.

Alors que Cuba vit des transformations, et dans le cadre des mesures adoptées par le 6e Congrès du Parti communiste, le Bureau de l’Historien perfectionne ses mécanismes de gestion et modernise ses modes d’action. « Cela fait partie de l’institutionnalisation de l’État, d’un projet du gouvernement visant au renforcement des institutions avec des objectifs précis permettant en premier lieu de séparer les fonctions étatiques des fonctions d’entreprises, sans négliger la complexité de l’œuvre réalisée par le Bureau », a expliqué Eusebio Leal.

Le Bureau bénéficiera de meilleures conditions pour mener à bien les projets de préservation, de conservation et de restauration patrimoniale, en utilisant des structures de directions flexibles et fonctionnelles, permettant d’améliorer la communication et le contrôle des processus.

Préserver les objectifs ayant présidé à la création du Bureau est l’un des facteurs essentiels. Des projets avec une participation importante de formes de gestion non étatique seront incorporés afin de libérer progressivement le Bureau d’activités qui ne le concernent pas.

Par ailleurs, le processus de perfectionnement devra garantir que les sources de financement conservent l’objectif pour lequel elles ont été adjugées en harmonie avec la mission du Bureau de l’Historien, qui sera de proposer, diriger et contrôler les politiques de l’État et du gouvernement en matière de préservation, de conservation et de restauration patrimoniale, et de préserver le développement culturel, social, physique et économique, de façon durable dans la zone prioritaire, et où la communauté en sera l’acteur et le bénéficiaire.

D’où la création de l’Organisation supérieure de direction d’entreprises du Centre Historique, subordonnée au Conseil des ministres qui sera dirigée par le Bureau de l’Historien. Cette organisation devra s’assurer que le système d’entreprises atteint les objectifs productifs, économiques et de développement prévus dans les plans, lui permettant de générer les ressources financières dont le Bureau a besoin pour accomplir sa mission.

SANS RENONCER À SES RÊVES

« Le Bureau a dirigé un projet important, à savoir la récupération de plusieurs métiers artisanaux. Dans les écoles-ateliers de La Havane sont formés actuellement environ 500 élèves, et des écoles semblables existent à Trinidad, à Santiago, à Camagüey et à Cienfuegos.

« C’est le Collège universitaire, où sont étudiées les modes de gestion et de direction du patrimoine culturel, qui dirige cette formation. Cette institution se trouve aujourd’hui sur l’emplacement d’une des premières universités du pays, fondée en 1728, qui fut complètement détruite. Par décision de l’État, l’espace fut cédé pour restituer l’édifice perdu et reprendre l’enseignement au niveau universitaire.

« Dans le cadre de l’actualisation du modèle économique cubain, il existe déjà deux coopératives de forgerons, formées par des jeunes diplômés issus des écoles-ateliers. D’autres coopératives devraient être créées dans d’autres métiers », a signalé Eusebio Leal.

Concernant les travaux menés dans les réseaux électriques, du gaz, de l’approvisionnement en eau et des égouts, ainsi que dans celui des communications du Centre historique, l’Historien de la ville a signalé que plusieurs organismes sont concernés, comme le ministère de l’Industrie de base et des communications et l’Institut national des ressources hydrauliques.

« Le Bureau de l’Historien n’aurait pas pu garantir la durabilité de ces travaux complexes de réhabilitation avec ses propres ressources », a-t-il affirmé.

À ceci s’ajoute le difficile travail de dépollution de la Baie de La Havane, où les pélicans sont de retour, ainsi que d’autres espèces qui avaient disparu de cette zone depuis des années.

Il a expliqué également que, en s’appuyant sur les expériences accumulées au cours de ces dernières années, il a été décidé de constituer le réseau de villes patrimoine composé par les sept villes déclarées Patrimoine national en 1981 : Baracoa, Bayamo, Trinidad, Sancti Spiritus, Santiago de Cuba, Puerto Principe, aujourd’hui Camagüey et La Havane. « Dans ces villes ont surgi des projets de restauration importants qui nous ont permis une plus grande intégration et par conséquent un travail plus efficace. »

Engagés en ce moment dans des travaux de restauration en profondeur dans la Havane coloniale, le Dr Eusebio Leal nous a commenté l’œuvre monumentale réalisée au Capitole national. « L’achèvement des travaux est essentiel : les édifices ne sont pas responsables des événements qui s’y sont produits : le Capitole est une œuvre fondamentale de l’architecture et de l’Histoire de notre Patrie. »

« Dans le Capitole, l’Histoire de la nation cubaine et sa prouesse pour conquérir sa liberté est inscrite dans le bronze, l’or et le marbre. N’oublions pas que là se discuta la Constitution démocratique de 1940 ; là, s’entendit la voix des représentants les plus authentiques du peuple et là, eut lieu un grand débat, même si cette Constitution fut violée par la tyrannie qui usurpa le pouvoir démocratique du peuple et décréta la dissolution du Parlement. Ramener l’Assemblée nationale dans l’espace du Capitole a une finalité capitale, au-delà des préjugés qui peuvent encore exister sur la soi-disant ressemblance avec le Capitole aux États-Unis : le contenu des deux édifices est complètement différent. »

« La Havane est un joyau », disait le général d’armée Raul Castro à la réunion du Conseil des ministres. La Vieille Havane, c’est notre Histoire. On peut la vivre non seulement à travers son architecture, mais aussi dans ses quartiers, ses rues, dans la singularité de ses gens. Qu’importe les difficultés matérielles que nous traversons en ce moment, nous devons penser à sauver ce qui reste, une histoire féconde et un vaste mouvement culturel, a signalé le président.

Parmi les œuvres fondamentales de restauration que termine en ce moment le Bureau de l’Historien, soulignons la réparation du Théâtre José Marti, du Grand théâtre de La Havane, la Promenade du Prado et la construction de nouveaux hôtels, notamment dans la Manzana de Gomez. Des travaux qui se poursuivront dans les prochaines années afin de redonner toute leur splendeur à de prestigieux espaces qui furent autrefois le cœur palpitant de la ville.

Ainsi, la nation poursuit ses rêves. Sauvegarder, protéger, créer constituent des principes fondamentaux pour que les rues de la Vieille Havane soient aussi une façon de voir et d’aimer l’Histoire.