LES JEUNES NE VEULENT PAS TRAVAILLER AUX CHAMPS

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Article de Fernando Ravsberg, pour "cartasdecuba" traduit par Pascale HEBERT

Des avantages pour encourager !

Lorsque la cubaine Gabriela Blanco explique qu’elle travaille dans un potager bio et qu’elle se destine à des études d’agronomie à l’Université, elle lit l’étonnement sur les visages.

G. Blanco ne sait pas très bien d’où lui vient sa vocation pour les travaux de la terre, mais elle est sûre que c’est ça qu’elle veut faire.

A Cuba, où l’agriculture se caractérise par des rendements insuffisants, il n’y a pas abondance non plus de jeunes comme G. Blanco –d’apparence menue et âgée de 20 ans seulement-, qui a laissé derrière elle ses deux ans de licence de mathématiques pour tester ses forces aux jardins maraîchers Alamar, une dynamique Unité de Base de Production Coopérative de la province de La Havane.

« J’ai commencé à travaillé ici en septembre 2012 et, au bout de trois mois, on m’a admise comme membre de la Coopérative, j’ai confirmé que ça me plait vraiment et que je veux rester ici. Le secteur agricole offre de nombreuses possibilités et de vastes champs d’investigation, une expérience très intéressante et très belle » déclare-t-elle.

L’expérience vécue par Mercedes Cepero, 18 ans, est similaire, bien qu’elle soit arrivée dans cette entreprise coopérative pour faire son stage professionnel de technicienne agricole.

« J’ai terminé mes études, maintenant je dois me former et apprendre à travailler. Je croyais que l’agronomie consistait juste à travailler avec une bêche, toujours en plein soleil, mais je me trompais » raconte-t-elle.

M. Cepero prépare aussi son examen d’entrée à l’Université pour ce mois-ci, car elle veut être ingénieur agronome. A la différence de G. Blanco, à elle on lui avait parlé de cette filière quand elle était dans le secondaire. « C’est à partir de là que mon intérêt s’est éveillé », dit-elle.

G. Blanco pense que le désintérêt des jeunes pour les professions agricoles a à voir en partie avec la société actuelle. «  Beaucoup de gens voient l’agriculture comme quelque chose qui ne nécessite pas d’études, qui n’a pas de contenu scientifique car elle consiste juste à semer et à récolter. D’autres gens voient le travail dans les champs comme quelque chose qui nécessite beaucoup d’efforts et qui produit peu de bénéfices  ». déclare-t-elle.

Aux jardins maraîchers Alamar travaillent vingt jeunes âgés de 17 à 30 ans, bien que la plupart s’en aillent dès qu’ils trouvent des emplois plus adaptés à leurs aspirations financières et qui demandent moins d’effort.

M. Cepero est plus dure lorsqu’elle juge cette inappétence pour les travaux agricoles : « les jeunes sont un peu fainéants et il veulent que tout leur tombe du ciel ».

D’après les statistiques du programme national d’agriculture urbaine et périurbaine, il y a environ 70 000 jeunes qui travaillent dans ce secteur, auquel appartient cette coopérative située dans la commune côtière d’Alamar, à quelque 15 kilomètres du centre de La Havane et dont la population est estimée à 80 000 / 100 000 habitants.

Des recherches du Centre d’Etudes sur la Jeunesse indiquent que la population jeune aspire de préférence à des postes dans le domaine de l’économie émergente, comme les entreprises et les groupes étrangers, et rejette les offres de travail liées aux services communaux, à la construction et à l’agriculture.

« La vision qui existe de l’agriculture, c’est comme si c’était une punition ; celui qui se conduit mal, va labourer la terre. Les enfants d’agriculteurs ne veulent pas poursuivre le travail de leurs parents mais s’installer à La Havane et devenir médecins  » explique Isis Salcines qui s’auto-définit comme travailleuse polyvalente de la coopérative et qui est sur le point d’obtenir son diplôme d’agronome.

Peu après avoir débuté ses études, I. Salcines a décidé de créer un cercle d’intérêt dans une école primaire proche de la Coopérative qu’on a baptisé «  gamins agro-écologiques ». Mais auparavant elle avait fait deux sondages. Dans l’un, elle avait demandé : » Que veux-tu faire quand tu seras grand ? ». Et dans l’autre elle avait formulé : «  Quand je serai grand, je veux être… » et, parmi d’autres choix, elle avait mis «  agriculteur ».

Personne n’avait indiqué cette possibilité pour son avenir. I. Salcines, fille du fondateur de la Coopérative, Miguel Angel Salcines, s’est fixé comme but de montrer, lors de rencontres hebdomadaires, la gestion agro-écologique du domaine et la nécessité de s’alimenter de façon plus saine.

A la fin du premier stage, les gamins ne laissaient pas une miette des légumes qu’ils mangeaient dans de savoureuses salades, ils savaient comment on travaille dans les champs, ils connaissaient l’importance de la production d’aliments et le traitement intégré des fléaux et des maladies.

Dans un nouveau sondage réalisé à la fin du premier atelier, 15 garçonnets et fillettes sur un peu plus de 20 avaient indiqué « agronomie » parmi les études possibles à envisager. « Cette expérience a été un stimulant. Elle m’a laissé entrevoir la possibilité que, lorsqu’ils grandiront et deviendront des hommes et des femmes, beaucoup choisissent cette profession » conclut I. Salcines.

Pour Norma Romero, ingénieur en santé végétale, la recette commence par une éducation précoce et se poursuit par l’offre de garanties pour que les personnes jeunes soient reconnues, stimulées et désireuses de rester à la campagne, par delà les difficultés.

De bons salaires, des facilités dans l’emploi du temps pour pouvoir étudier, le petit déjeuner et le déjeuner gratuits, des vêtements et des chaussures adaptés à ces travaux, parmi d’autres avantages, sont des facteurs qui encouragent « parce que dans l’agriculture, il y a de la boue, du soleil, de la poussière, des conditions vraiment dures  ». Pour nous, il est vital que les gens viennent et restent, surtout la jeunesse, dit N. Romero.

Parmi les mesures de changement du modèle économique cubain, le Ministère de l’Education a élargi en 2011 les spécialités en agronomie dans les niveaux techniques intermédiaires et il a ordonné de renforcer l’orientation pédagogique depuis les premières classes de l’enseignement primaire, en fonction des caractéristiques et des besoins de chaque territoire.

L’agriculture absorbe 20% de l’emploi total et son apport direct au produit intérieur brut national est de moins de 5% parce qu’elle a la plus basse productivité du pays. L’an dernier, le pays a dû débourser plus de 1.633 millions de dollars pour l’importation d’aliments.