23 Cubains résidents special category à Guantanamo Bay

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Guantanamo devait fermer en 2009, selon une annonce précipitée du président Barack Obama. Cinq ans plus tard, elle « fonctionne » toujours, il y reste plus de 120 prisonniers dont le dernier « résident » britannique, Shaker Aamer, d’origine saoudienne, pourtant « lavé » de tout soupçon à deux reprises sous Bush (celui qui a ouvert le centre de détention) et sous Obama (celui qui ne l’a toujours pas fermé).

Depuis 2002, on ne compte plus les dénonciations de ce qui devint le plus grand centre de tortures systématiques au monde. Les témoignages des survivants concordent sur la description terrifiante des horreurs de Guantanamo Bay Naval Base (appelée GTMO, prononcer Gitmo), des militaires US « faisant le job » de bourreaux plus qu’expérimentés.

Pourtant, à des années-lumière de tout cela, dans le même périmètre, la base US accueille, et bien avant 2001, dans des conditions résidentielles, pour éviter de dire paradisiaques, des ressortissants cubains, ils sont aujourd’hui au nombre de 23, tous âgés, qui, un jour, au lendemain de la victoire des guérilleros castristes, à partir de 1959, n’ont pas eu à frapper à la porte de la base, elle était pour eux grande ouverte.

Un journaliste du Wall Street Journal, Michael M. Phillips, est allé voir comment vivent ces 23 Cubains. Son reportage au sujet inédit fait découvrir jusqu’où quelques civils de l’administration (magnanime) de la base déploient leur dévouement au bénéfice de leurs chers protégés. Et si cela devait se terminer un jour ? (mp) 

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23 Cubains résidents special category à Guantánamo Bay

Par Michel Porcheron

 

Ils sont encore 23, 23 Cubains et Cubaines à résider  -volontairement- à plein temps à Guantánamo Bay, la base navale US. Jusqu’à penser y finir paisiblement leurs jours. Des vieux de la vieille de l’anti-castrisme de la toute première époque et qui le sont toujours et plus encore. Lors de la « crise des balseros » de 1994, plus de 20.000 de ces émigrants clandestins ont transité par la base. Quelque temps plus tard, 15.000 pouvaient gagner les Etats-Unis. Moins de six mille étaient renvoyés dans leur pays.

 

Le petit groupe de Cubains (ils étaient 80 en 1987), probablement étranger à ce « vaste mouvement migratoire » ne changeait rien à son bail avantageux. L’accord, entre Clinton et F. Castro, du 9 septembre 1994 dit « pieds secs, pieds mouillés » leur fit une belle jambe.

N’avaient-ils pas toujours pensé qu’ils ne quitteraient jamais la Guantánamo Bay (qui abrite en permanence un peu moins de 7 000 militaires nord-américains et leur famille, vivant en quasi-autarcie).

Entrez, vous êtes notre hôte, vous êtes ici chez vous, avait entendu chacun qui aujourd’hui encore vivent en autarcie.    

     

 

 

 

Guantánamo Bay un enfer raffiné, une zone de non-droit ? Une vue de l’esprit pour ces résidants de ce qui est depuis de très nombreuses années leur seul domicile, puis leur maison de retraite raffinée d’un nouveau type, tous droits d’hospitalité compris.           

 

                                 « Cuba’Backyard Exiles »

 

(Source : d’après Michael M. Phillips/ The Wall Street Journal  , 27/01/2015, reportage,  photos de Brandon Thibodeaux pour WSJ. De larges extraits ont été traduits et publiés par l’hebdomadaire Courrier International, 5/02/2015)

 

                        Michael M. Phillips parle de six d’entre eux

 

 

En 1961, après l’échec retentissant du débarquement de la Baie des Cochons, par des mercenaires formés et financés par Washington, le Cubain Ramon Baudin, écrit le journaliste nord-américain, s’était caché dans un bus en direction de la base navale américaine de Guantánamo Bay, il réussit à passer le contrôle de police et a plaidé sa cause auprès de la sentinelle : « Bonjour, je suis en fuite. Tu peux me laisser passer ? »

Depuis ce jour, âgé aujourd’hui de 92 ans, Ramon Baudin vit là, sur ce morceau de territoire cubain, toujours occupé par les troupes yankees  qui y avaient débarqué à l’occasion de la guerre hispano-américaine de 1898. Leur victoire sur l’Espagne leur a valu l’obtention d’un bail perpétuel qui ne peut être annulé que par consentement mutuel de La Havane et de Washington. Les Etats-Unis, ajoute Michael M. Phillips, continuent d’envoyer tous les ans un chèque à Cuba « en règlement du bail du terrain, soit 4 085 dollars, une somme qui a été fixée en 1934. Et chaque année La Havane refuse de l’encaisser afin de manifester sa désapprobation de la présence américaine ».  

Ramon Baudin n’est pas seul. Il vit à Guantánamo en compagnie d’un petit groupe d’exilés cubains – ils sont 23, d’après Michael M. Phillips-- qui ont obtenu la permission du gouvernement américain de rester sur la base navale. Ils n’ont pas bougé quand la base abrita une prison number one, où après les attentats du 11/09/2001 contre les Tours du World Trade Center, près de 800 personnes, soupçonnées de terrorisme, allaient y être détenus et/ou  torturés.  

En 1987, le nombre de Cubains vivant à la base n’était plus que de 80. Aujourd’hui il reste 28 « résidents spéciaux », dont 5 Jamaïcains qui ont acquis ce statut en épousant des exilées cubaines. Ce sont des civils nord-américains qui s’occupent d’eux. Selon le capitaine de la base, leurs salaires coûtent à la marine américaine 200 000 dollars par an.  

 D’après Michael M. Phillips, « ils se sont mariés, ont divorcé, ont eu des enfants. Ils ont fait la fête dans les clubs et les bars de la base. Aujourd’hui ils jouent aux dominos et écoutent la chanteuse Celia Cruz ».

Parmi ceux qui se sont exilés et réfugiés à Guantánamo Bay Michael M. Phillips écrit qu’ « à quelques rares exceptions près, les réfugiés cubains ne sont jamais rentrés chez eux. La plupart ont choisi de vivre aux Etats-Unis ». Pas tous, certains, qui forment le groupe qui vit toujours à Guantánamo Bay, ont décidé de rester sur le territoire de la base, même après avoir obtenu en bonne et due forme la citoyenneté américaine.

L’administration de la base est aux petits soins pour ces exilés d’aujourd’hui, comme pour tous ceux qui y ont séjourné dans le passé : elle leur offre le logement et les soins médicaux, ainsi que l’accès aux « infrastructures »  de la base. S’ils tombent malades, ils sont soignés à l’hôpital militaire de la base. Les plus malades sont envoyés dans des hôpitaux militaires aux Etats-Unis. Pour les autres, d’anciens bâtiments de l’hôpital ont été reconvertis en résidence médicalisée. Des chauffeurs les conduisent à leurs rendez-vous chez le médecin. Si la mort par maladie les surprend, ils sont enterrés dans le cimetière militaire, raconte encore Phillips.  

Pour ceux qui sont encore valides, malgré leur grand âge, c’est toujours un chauffeur qui les transporte jusqu’aux « infrastructures » : salle de gym, le McDo ou le supermarché. La plupart des Cubains vivent dans un lotissement construit dans les années 1960, « à la couleur pastel fanée par le soleil ».

Tout cela a un coût très élevé mais, selon Phillips, le capitaine de la base affirme ne « disposer d’aucune estimation sur le coût » de tous les services réservés aux Cubains.

Au XX e siècle et jusqu’en 59/60, des milliers de Cubains venaient travailler légalement à la base et rentraient chez eux le soir. Puis les Etats-Unis ont rompu toutes les relations avec Cuba.

« Je pensais que je ne resterais pas plus de six mois », dit à Phillips, l’un des 23, Noel West, âgé de 81 ans.

« A présent que Barack Obama a décidé de normaliser les relations avec Cuba, le sort des Cubains de Guantánamo (Bay) est remis en question. La marine américaine ignore si cet apaisement entraînera leur retour à Cuba. Pour l’instant les Cubains de Guantánamo (Bay) restent sur place, ils se sont habitués à la vie étriquée mais confortable de la base » (Phillips)

La base Guantánamo Bail.

        Baudin, Romero, West, Gayle  et les autres

« A 92 ans, Ramon Baudin est l’un des doyens des 23 résidents cubains. Il dit qu’il n’a pas le mal du pays. Mais, tous les soirs au coucher du soleil, il s’installe sur une chaise sous l’auvent de sa voiture et allume sa petite radio qui, malgré son antenne cassée, lui permet de capter une station de Caimanera, de l’autre côté des barbelés (…). Entre les bulletins d’information et les guarachas endiablées, il écoute les avis de décès de ses amis perdus de vue il y a longtemps ».

Baudin a d’abord travaillé comme caddie sur le terrain de golf de la base, puis il a repassé des uniformes à la blanchisserie pendant des années. La plupart de ses amis sont morts maintenant. Baudin se réveille tous les jours à 3 h 30 pour « méditer », puis avant le lever du soleil il se promène dans les rues et « discute avec les fantômes de ses amis exilés ».

Un autre de ces « réfugiés » spéciaux rencontrés par Phillips s’appelle Ramon Romero, aujourd’hui septuagénaire. Avant la Révolution, il raconte qu’il accompagnait son grand-père faire la tournée des côtes en bateau. Ils s’arrêtaient tous les jours à la base US pour vendre des fruits et des légumes. S’estimant « menacé » par la Révolution, le grand-père a fait en sorte que son petit-fils puisse pénétrer  dans la base. “Je n’en suis plus parti”, déclare Ramon Romero, qui au cours de sa « carrière », a occupé plusieurs fonctions : gardien, pompier et responsable de l’entretien.

Il a pris sa retraite en 1998. « Il a construit un ponton dans les mangroves derrière sa maison et y passe des heures à pêcher le maquereau. Partager le quotidien de la communauté des exilés ne l’intéresse pas. “J’aime la solitude”, confie-t-il à Phillips.

Le capitaine de la base est confronté à la question du devenir de ces Cubains « quand ils seront trop vieux et dépendants ». « Je n’envisage pas de les contraindre à quitter l’île, car nous leur avons fait une promesse. Mais il faudra peut-être en passer par là ».”

Phillips indique qu’ « il n’existe apparemment pas de trace écrite de la promesse » faite par l’administration Kennedy aux exilés cubains. « Les grandes lignes de cet accord ont été transmises d’un commandant de la base à l’autre et renforcées par une loi de 2006 autorisant la marine américaine à “offrir une protection” aux résidents cubains, notamment à “assurer leurs besoins élémentaires, comme le logement et les soins médicaux”.

Phillip Gayle, 80 ans, est un autre de ces Cubains, qui avait fui son pays alors que son fils avait 3 ans. Il s’est marié trois fois depuis son arrivée à la base, en 1965. Il partage aujourd’hui une chambre avec sa troisième épouse, Felicita Gayle, 95 ans, dans la résidence médicalisée.

Gloria Martinez a 81 ans, raconte aussi le journaliste américain, elle a survécu à un cancer du foie, après avoir été soignée à l’hôpital militaire de Washington, et, si elle est restée à la base, c’est « parce qu’elle y avait un emploi garanti à vie ». Son mari, décédé en 1998, était sergent dans l’armée cubaine et s’est battu dans les années 1950 contre les insurgés menés par Raúl Castro. En 1959, le mari de Gloria Martinez a obtenu un travail à la base pour construire un bowling. Un jour de 1961, il n’est pas rentré. Elle a attendu un peu puis l’a rejoint. Elle a rapidement trouvé du travail à la base et a passé sa vie à couper les cheveux des marines. Leurs deux enfants, nés à la base, ont maintenant la quarantaine et vivent aux Etats-Unis.

 Aujourd’hui elle ne veut pas quitter la base, territoire cubain. Ses sœurs vivent à Guantánamo, côté cubain, de l’autre côté des barbelés, à une heure de voiture, un trajet encore interdit. “Ici je suis proche des miens, dit-elle. Même si je ne peux pas les voir.”

A force de parler de « Guantánamo » tout court, on aurait tendance à oublier qu’à quelque 20 km au nord de Gitmo se trouve la ville de Guantánamo qui compte 243.606 habitants. Pour tout savoir sur cette ville  (en espagnol) :  http://www.ecured.cu/index.php/Guant%C3%A1namo_%28municipio%29

L’original en anglais du reportage de Michael M. Phillips (2050 mots, avec 20 photos et 2 vidéos) :

 http://www.wsj.com/articles/cuban-refugees-fled-to-the-u-s-naval-base-in-guantanamo-bay-a-half-century-agoand-never-left-1421427942?KEYWORDS=guantanamo      (mp)