Wolinski et Charb sont au ciel avec leurs havanes

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Les amateurs de cigares et pourquoi pas plutôt de havanes ont leur bible, « L‘Amateur de cigare », 20 ans révolus, la revue de référence créée par Jean Paul Kauffmann. Une revue qui parle (très bien) d’eux, sous forme de portrait, d’entretien. Ils viennent de tous les horizons, ils sont connus ou moins connus, font en général la couverture. En septembre dernier, ce fut le tour le Thierry Orosco…alors patron du GIGN.

Dans son dernier n° de mars/avril, « L’Amateur » ne pouvait pas ne pas rendre hommage à la mémoire de deux de leurs amis de toujours, de deux de ces grands amateurs, plus que jamais devant l’éternel, abattus à la kalachnikov en pleine conférence de rédaction de Charlie-Hebdo, le mercredi 7 janvier 2015. Ils s’appellent George Wolinski, dit Wolin et Stéphane Charbonnier dit Charb. Pour de mauvaises raisons, ce n° 105 est déjà dit collector.

Wolinski et Charb au ciel avec leurs havanes

  • Par Michel Porcheron
    George Wolinski dit Wolin est au ciel. Avec, notamment, sa réserve de havanes. En bonne compagnie, puisque comme on le sait Dieu est un fumeur de havanes. Avec Charb aussi et Cabu, entre autres cibles de la tuerie du 7 janvier 2015. Normal alors que « L’Amateur de cigare » s’intéresse à eux, une raison de plus. Thierry Dussard, du comité de rédaction de la bible mondiale du cigare (avec Aficionado Cigar, revue yankee) leur consacre dans le n° mars-avril, un papier intitulé « Wolinski, Charb, ça fume sec, en terrasse là-haut », en terrasse non couverte pour respecter les lois, y compris au paradis.
    Authentique amateur pro depuis des lustres l’octogénaire Wolin avait été invité à deux reprises dans les colonnes de « L’Amateur » qui a célébré ses 20 ans l’an dernier. Et Charb, amateur amateur, une seule fois, dans le numéro septembre/octobre de l’an dernier. L’occasion est à la fois triste et électrisante de reproduire quelques uns de ses propos recueillis par Jean-Pascal Grosso, dans le bureau de Charlie- Hebdo (photo de Luc Monnet). Le funeste 7 janvier 2015 laissera des traces indélébiles, pour toujours.
    « Dis-nous, Georges, maintenant que tu es bien placé pour le savoir, Dieu est-il un fumeur de havanes ? Non, ne nous dis pas qu’il s’est arrêté de fumer... Comment expliquer tous ces nuages autrement que par le Don Alejandro de Vegas Robaina que tu viens de lui faire découvrir ? », écrit d’emblée Thierry Dussard.

    Dans un premier portrait que L’Amateur lui avait consacré, en septembre 1997, poursuit Dussard, Georges Wolinski résumait ainsi son credo de gourmand de la vie : « Faire l’amour, c’est cinq minutes de plaisir, un cigare, c’est quatre-vingt-dix minutes de bonheur. » En il ajoutait que « le cigare est un trait d’union plus fort que la politique »(…) « Le cigare ne correspond pas pour moi à un statut social » , disait encore Wolinski, mais plutôt à un état d’esprit. Ce qui ne l’empêchait pas, comme tous les dessinateurs, d’associer invariablement le cigare au pouvoir. Et de se moquer du castrisme triomphant ou des touristes en goguette à La Havane, comme dans son livre Monsieur Paul à Cuba.

Et pour payer ses impôts, ajoute Dussard, l’homme aux quatre-vingt-cinq albums, qui avait également fait quelques publicités, notamment pour le papier à cigarette Rizla+, fut dans les années 1970 un des premiers caricaturistes à organiser une vente aux enchères de ses planches. « Au bénéfice de mon percepteur », avait-il déclaré. Mais le récipiendaire du Grand Prix du Festival d’Angoulême en 2005 avait aussi légué son fonds d’atelier (dix mille originaux) à la Bibliothèque nationale, qui lui avait consacré une grande exposition en 2012. Parce que le dessin de presse et la satire font partie de l’histoire de France.

(…) À l’instar de Wolinski, qui par principe ne cultivait pas l’excès et ne fumait jamais ses havanes jusqu’au bout, Charb, ce polémiste aux traits doux, avait le sens de la nuance. Il déclarait (dans son entretien paru en septembre 2014) que ce qu’il ne supportait vraiment pas, c’est « la clope. Je suis pour toutes les lois contre la cigarette. J’ai choisi le cigare : si je dois fumer quelque chose, autant fumer du bon. Le cigare, parce qu’il a une image de produit de luxe pour nantis, me fait toujours penser à cette phrase : « Rien n’est assez beau pour la classe ouvrière ! » Ce n’est pas parce qu’on est des ploucs qu’on n’a pas droit au meilleur !

Tous virtuoses du trait, tel Honoré, ou Tignous, conclut Thierry Dussard. Et Cabu, le maître absolu, qui avait gardé à soixante-seize ans l’innocence espiègle du Grand Duduche, et le mordant du Beauf qui fumait parfois le cigare et sévissait chaque semaine dans Le Canard. Jean Cabut, carte de dessinateur de presse n° 21991, le seul matricule qu’on lui ait connu. Car ils n’avaient ni Dieu ni maître, hormis l’humour et le dessin.


Dans l’entretien de septembre avec Jean-Pascal Grosso, Charb (en septembre 2012, une fatwa afghane avait été lancée contre lui suite à la publication de caricatures du prophète Mahomet dans Charlie Hebdo) commentait sa vie sous protection policière.

Charb : (…) Le plus bizarre, c’est dans la vie privée. Jamais auparavant je n’aurais envisagé de partir en vacances avec la police... Mais ça a ses avantages : lorsque je fais mon footing, je suis accompagné de gens bien entraînés. L’Amateur de cigare (ADC) : Eh bien, elle est sympa, la police ! Charb. : Celle-là, oui. Les autres, je ne sais pas. C’est vrai que se retrouver du côté de la loi et de l’ordre, quand il s’agit de la liberté d’expression, ça peut paraître curieux...

A la question comment se porte Charlie Hebdo aujourd’hui, Charb, 47 ans, répondait : « Moralement, bien. Financièrement, c’est moins brillant, comme pour tout le reste de la presse. Et il y a peu de chances que les choses s’améliorent vu la disparition des kiosques et la situation globale. Nous allons proposer une édition numérique en septembre, en sachant que ce n’est pas ça qui compensera la disparition des points de vente.

L’ADC : L’irrévérence, est-ce devenu un sport « à risques » ?
Charb. : C’est devenu plus compliqué, mais pas du fait de la loi, ni même des attaques dont nous pouvons être victimes. Nous subirons toujours des pressions, des violences, etc., mais face à la pression médiatique ou judiciaire, on s’en sort toujours. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, en France, la presse est plus souvent confrontée à l’autocensure ou à la crainte de la polémique qu’à la censure d’État.

Photo de Luc Monnet

L’ADC : Qui sont vos « ennemis objectifs » ?
Charb  : Avant, dans les années 1970, c’était plutôt l’État et l’armée. Aujourd’hui, ce sont les religions. Bien qu’il nous arrive encore d’être attaqués par l’armée.
Jean Paul Grosso lui faisant remarquer qu’il a « une belle photo de Staline » au-dessus de son bureau, Charb dit que « c’est un trait d’humour... Charlie Hebdo est un journal qui réunit toutes les gauches possibles et imaginables. Ça donne une ambiance plutôt libertaire. Après, chacun dans la rédaction a ses opinions. Moi, je suis minoritaire, je vote communiste.

L’ADC : j’ai lu vos Fatwas [« Les fatwas de Charb : Petit traité d’intolérance » publié en septembre 2009 aux Ed. les Echappés, suivi d’un volume 2 en septembre 2014), il y a un côté « vieux con de gauche » malgré vos seulement quarante-sept ans...
Charb  : C’est totalement assumé. Je me fous à la fois de ma gueule et de la gueule des gens intolérants. On a tous un petit fond taliban face à ces détails du quotidien qui nous insupportent. C’est pour se moquer de nous, de moi, que j’écris en prenant le ton des extrémistes. Je mène mon djihad contre les valises à roulettes ou les dictons.

L’ADC : Fumez-vous avec Wolinski ?
Charb : Oui, à la Fête de l’Humanité. Je ne m’y connais pas aussi bien que lui en cigares, loin de là, mais je privilégie le cigare cubain. Je suis allé à La Havane où j’ai pu visiter les fabriques. J’y ai rencontré les gens qui les fabriquent, des personnes simples, qui ne se prennent pas le chou. Je suis sensible à cette tradition-là.

L’ADC : Pour finir, votre dessinateur de droite préféré ?
Charb : Il y en a encore ? Je ne sais pas... Plantu ?

(les extraits de l’Amateur sont publiés avec l’autorisation de la revue)

Philippe Lançon toujours indisponible

Ce numéro de L’Amateur propose un bonus d’intérêt : un recueil des chroniques, subtiles et profondes, de Philippe Lançon « Chroniques d’un non-fumeur » est offert aux abonnés de la revue.

Philippe Lançon, journaliste à Libération et à Charlie-Hebdo signe en effet sa chronique dans « L’Amateur » depuis janvier 2008. Grièvement blessé lors de l’attentat du 7 janvier dans les locaux de Charlie, Philippe Lançon, l’un des quatre rescapés de la tuerie, « se remet peu à peu mais devra subir de nombreuses opérations », indique L’Amateur qui a demandé à Jean-Pierre Perrin, journaliste à Libération, « et son plus proche voisin dans la salle de rédaction, de nous parler de lui ». (mp)

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