Deux papes ou deux presses ?

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La pupille insomne du septembre 2015 pour José Manzaneda et traduit par Chantal Costerousse.

L’incroyable couverture du voyage papal entre Cuba et les Etats Unis

222 médias de 31 pays ont couvert la visite du pape François à Cuba (1). Comme pour les deux précèdentes visites papales (2) une légion de journalistes ( plus de mille) est arrivée, cherchant l’image, la déclaration....qui se convertirait en nouvelle internationale : la condamnation du régime cubain par le pape.

Mais une fois de plus ils sont restés sur leur faim. (3)

Démonstration de la frustration de ces médias : les titres du journal « El païs », qui, plutôt que reflèter ce qui se passe à Cuba a mis en évidence ce qui n’a pas eu lieu : « le pape n’émet aucun message critique contre les Castro » (4) « le pape évite toute référence aux dissidents pour son premier discours à Cuba » (5) « les silences de François » (6) ou « le pape n’a jamais pensé rencontrer les dissidents cubains » (7).

Mais ces médias ne sont pas contentés de convertir la non information en information. Ils ont, de plus, manipulé sans pudeur les déclarations des protagonistes.

« El païs » a falsifié le message d’un défenseur connu de la révolution cubaine, le frère dominicain brésilien Frei Betto (8). « à Cuba il peut y avoir un choc entre austérité et consommation » titrait-il en concentrant toute l’information sur une brève refléxion de Betto sur les dangers d’un tourisme massif des Etats Unis dans l’île qui a occupé à peine quelques minutes lors d’une large conférence de presse.

Pour connaître tout ce que « El Païs » a censuré pour ses lecteurs, nous devons avoir recours à la presse cubaine qui a publié la dite réflexion du théologien (9), mais qui reflète aussi d’autres déclarations beaucoup plus centrales : par exemple que « le peuple cubain est fier de défendre sa révolution » dont les valeurs sont similaires « aux valeurs évangéliques » de « solidarité et de partage des biens » ou que la reconnaissance du désastre de l’embargo de la part des Etats Unis est comparable à sa « déroute au Vietnam » (10).

Le journal espagnol « El Mundo » a fait de même avec les paroles du chanteur cubain Silvio Rodriguez. Silvio Rodriguez : « nous aurions dû nous rapprocher avant des Etats Unis » (11)faisait le titre d’une interwiew qui désignait Cuba comme coupable de l’éloignement politique des Etats Unis durant toutes ces années.

Mais si nous lisons l’interwiew réalisée par écrit, selon l’habitude du chanteur pour éviter les manipulations, nous découvrons que ce qu’a déclaré Silvio fut toute autre chose « le rapprochement avec les Etats Unis aurait dû avoir lieu avant » il n’a donc pas désigné de coupables de manière explicite. Quel que soit le cas, la position du chanteur est bien connue. Il y a quelques jours sur son blog « second tour » il rappelait les alphabétiseurs cubains assassinés par les bandes payées par la CIA et comment il
a dû apprendre à manier les armes pour se défendre « de ses politiques et de ses militaires » ( en référence à ceux des Etats Unis) (12).

D’autres médias sont arrivés à déformer les propres paroles du pape. Dans le quotidien argentin « Clarin » nous avons lu que « lors de sa première messe à Cuba, le pape a critiqué les idéologies »(13). bien qu’il n’ait pas précisé de quelles idéologies, « Clarin » était là pour faire la clarté : nous lisons « la définition du pape a résonné fortement pour avoir été dite dans un pays comme Cuba, avec un régime qui donne à l’idéologie marxiste (qui sacralise l’état) une grande importance ».

Quelques jours après, le pape se rendait aux Etats Unis. Croit on qu’un de ces médias a titré de façon condamnatoire que « le pape n’a émis aucun message critique
sur le gouvernement des Etats Unis » pour la répression policière qui est responsable de deux morts par jour dans ce pays (14), pour la participation de son armée dans des conflits armés dans 74 pays (15) ou pour les dizaines de milliers de personnes qui meurent chaque année pour ne pas avoir accès à un service de santé public et universel ? Croit-on qu’ils nous ont parlé « des silences de François » parce « il a évité toute référence aux dissidents » prisonniers aux Etats Unis, comme Oscar Lopez Rivera, Mumia Abu-Jamal, Leonard Peltier (17) ou Bradley Manning(18) ? Que croyez vous vous ?