Omar Sy va redonner vie à « Chocolat ». Entretien.

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« Chocolat », le film de Roschdy Zem sort dans les salles le 3 février. Qui d’autre qu’Omar Sy pouvait tenir le rôle du premier artiste noir de la scène française ? Grâce à son talent bien sûr, mais chez cet immense comédien, il y a de plus « quelque chose » de Chocolat. S‘il est le plus accessible des acteurs français, il s’exprime peu dans la presse. L‘hebdomadaire ELLE vient de publier un entretien avec Omar Sy, qui s’exprime avec sincérité, chaleur. Et le sourire, même pour parler de choses graves.

Omar Sy redonne vie à « Chocolat ». Rencontre.

(Source : extraits de ELLE, Rencontre avec Omar Sy © Abaca /20 janvier 2016)
Bluffant, touchant, engageant, l’acteur revient avec un nouveau film et nous a offert un moment charmant. Depuis Intouchables , ses films touchent juste. Avec « Chocolat », Omar Sy redonne vie au premier clown noir de France…. L’occasion de parler de choses graves. Sans perdre le sourire.

Son plus gros carton à ce jour, c’est « Intouchables » d’Éric Toledano et Olivier Nakache (20 millions d’entrées). Un mot auquel il ne faut pas se fier : Omar Sy est le plus accessible, le plus sympathique et le plus charmant des acteurs français. Il s’exprime peu dans la presse mais quand il se prête au jeu, il le fait avec une telle sincérité, un tel bon sens que les Français le lui rendent bien.
Un sondage du « Journal du Dimanche » vient de nouveau de le placer deuxième personnalité la plus aimée, derrière Jean-Jacques Goldman et devant Simone Veil. Est-ce parce qu’il a clamé quelques semaines après les attentats du 13 novembre qu’il fallait arrêter de dire « français musulman » ou « Français d’origine sénégalo-mauritanien » ? Omar Sy se définit comme « Français ». Un point, c’est tout. Et il aime son pays. Il l’aime profondément, même s’il a pour l’instant fait le choix de vivre à Los Angeles où il travaille beaucoup [il vient de terminer « Inferno », de Ron Howard, avec Tom Hanks, ndlr].
Alors, quand on le rencontre dans ce haut lieu du cinéma français qu’est le siège de la Gaumont, à Neuilly, on est émue. Le sourire franc, le rire gourmand, Omar Sy parle avec chaleur de « Chocolat », son dernier film, l’histoire incroyable et poignante d’une star oubliée du cirque et du music-hall à qui Omar Sy « redonne vie ».
Pour ELLE, il revient sur le destin incroyable de cet artiste dont il se sent l’héritier.

ELLE. Être artiste, c’est laisser une trace. Or, lorsque vous avez remporté le césar du meilleur acteur pour « Intouchables », on a dit que vous étiez le premier artiste de couleur en France à connaître un tel succès. C’était faux…
OMAR SY. Complètement faux. J’ignorais l’existence de Chocolat. Il a fallu que l’on me propose le scénario pour que je découvre qui il était, quelle était sa trajectoire. Apprendre qu’il avait régné un temps sur le Tout-Paris mais qu’on l’avait oublié m’a bouleversé. Je suis heureux de rétablir cette vérité grâce au film.

ELLE. Avez-vous l’impression d’être un héritier de Chocolat ?
Omar Sy. Oui, comme tous les artistes aujourd’hui. On est tous les héritiers de ceux qui nous ont précédés.

ELLE. Chocolat a formé un duo avec Foottit, ici interprété par James Thierrée, l’un des petits-fils de Charlie Chaplin. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Omar Sy. Nous venons d’univers très différents. Avec sa formation de circassien, il a une maîtrise du langage corporel. Moi, je suis davantage dans le verbe. Notre travail était complexe. Mais ce qui nous unissait, c’était la volonté de faire fonctionner notre duo. James m’a décomplexé sur mon rapport au corps. Et je pense lui avoir appris à travailler dans la détente.

ELLE. Raconter le passé peut parler du présent. « Chocolat » met le doigt sur le racisme qui est loin d’avoir disparu…
Omar Sy. C’était il y a cent ans… Bien sûr, des traces perdurent. Mais ce qu’il est important de rappeler, c’est qu’il y a des changements dans le bon sens. Par exemple, l’histoire d’amour entre Chocolat et Marie, qui était blanche, déjà mariée et mère de deux enfants, était d’autant plus exceptionnelle qu’elle a divorcé et l’a accompagné jusqu’au bout. Maintenant, c’est plus courant. Donc on avance un petit peu…

ELLE. Dans le film, le summum de violence raciale est atteint quand chocolat et Foottit doivent participer à une campagne d’affichage pour Félix Potin, Chocolat découvre alors que son effigie est un singe. Comment avez-vous vécu cela ?
Omar Sy. J’étais préparé. Mais il s’agit du passé, une telle représentation serait aujourd’hui interdite. Ceux qui les dessinent le font sciemment, dans le seul but de provoquer. Je pense notamment à l’ignoble caricature simiesque de Christiane Taubira. C’est malsain et hors la loi. Alors qu’au début du siècle dernier on ne voyait pas le mal.

« Moi, je suis Français, un point c’est tout ! »

ELLE. Lors d’une interview télévisée, vous vous êtes insurgé contre le fait qu’on renvoie les Français à leur origine…
Omar Sy. Il faut arrêter de dire « Je suis Français musulman ». Moi, je suis Français, un point c’est tout ! Ces adjectifs nous désunissent, nous, Français. On est en train d’avoir le même raisonnement que tous ceux qui nous menacent aujourd’hui. Arrêtons les catégories qui nous divisent. Moi, j’ai grandi dans une France de la diversité. J’ai appris quelques mots de portugais, d’arabe, d’hébreu… Aujourd’hui, je suis quelqu’un d’ouvert parce que toutes ces cultures m’ont bercé. Cette France que j’ai connue m’a nourri et a fait de moi un homme. Je me souviens qu’on était heureux d’être ensemble et de profiter de nos différences plutôt que d’en souffrir. J’ai peur que mes enfants ne connaissent jamais cela.

ELLE. Pour vous, que signifie être français ?
Omar Sy. L’ouverture d’esprit, la liberté, la capacité de rêver. Rêver à un idéal intellectuel, un idéal de vie, avoir envie de voir plus grand. Grâce à la France, au succès que j’ai remporté, j’ai pu tenter l’aventure et me dire un matin : « On va aux États-Unis. On essaie un truc ! » C’est mon côté français qui me donne envie d’aller de l’avant. Tout à coup, le voyage que mes parents ont fait depuis l’Afrique pour me donner la vie que j’ai eue prend tout son sens.

ELLE. Aimeriez-vous soutenir un homme ou une femme politique ?
Omar Sy. Non. Ce n’est pas mon métier. Je sais que l’on m’aime, que l’on m’écoute. Et je ne veux influencer personne. Un choix politique est un choix personnel. On est seul dans l’isoloir.

ELLE. Pensez-vous que vous incarnez un espoir pour les jeunes ?
Omar Sy. Je ne vis pas ma vie pour être un exemple. Je n’essaie d’être un exemple que pour quatre personnes : mes quatre enfants. Sinon, je vis ma vie normalement. Je suis de nature optimiste et je me bats pour le rester. Il faut garder espoir. Encore une fois, l’espoir est un sentiment très français.

ELLE. Dans « Samba », vous interprétiez un sans-papiers. Dans « Chocolat », le clown vient de Cuba et c’est un ancien esclave. Il semble qu’un engagement se dessine dans votre parcours ?
Omar Sy. Si relater des faits réels, c’est être engagé, alors, oui, je suis un acteur engagé.

(ELLE, posté par mp)