Victor et « Les Hugo » : une somme de dix ans de travail de Henri Gourdin. Le bien nommé ?

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Somme sur la famille Hugo et sa longue descendance mouvementée, « Les Hugo » (Grasset, 478 pages) de Henri Gourdin (photo) vient de paraître. Cette saga familiale présente une dynastie pas comme les autres, marquée aussi bien par des drames que par l’éclosion de nouveaux talents artistiques (source : Le Figaro).
[Cet ouvrage, parfaitement écrit, habilement sourcé, selon des Hugoliens, ne comporte ni index, ni illustration. Mais il offre une vision originale unique du maître (litote, euphémisme)].

Dans le même temps, Michel Butor, transfuge du Nouveau Roman, publie une anthologie commentée de l’œuvre monumentale du poète, « Hugo » chez Buchet-Chastel (160 pages)

Encore un livre sur Victor Hugo ? Non sur tous les Hugo

par Michel Porcheron

Encore un livre sur Victor Hugo ? Non, sur tous les Hugo. Ceux qui l’ont précédé, à partir de ses ancêtres lorrains, et ceux qui l‘ont suivi. Cinq générations en dix-huit portraits de personnalités fortes, pittoresques, émouvantes, selon l’éditeur Grasset qui vient de publier « Les Hugo » d’Henri Gourdin, après dix ans de travail.

Il s’agit du premier livre si riche sur les Hugo écrit par un biographe. Pierre Hugo (1947), arrière arrière-petit-fils de Victor Hugo a publié en 2007 un « Les Hugo » familial (Ed. du Rocher)

Les Hugo forment une famille qui n’a pas d’équivalent.

Dans cette approche inédite d’une immense figure littéraire, indique l’éditeur, Henri Gourdin détecte et analyse d’étranges continuités dans les comportements sur ces cinq générations. Il relève les falsifications accumulées par deux siècles d’hagiographie et ouvre un débat sur la question de la célébrité.

 

 

 

 

Léopodine  Charles  François-Victor  Adèle 

Bien brève Chronologie

1823, naissance et décès de Léopold Hugo, premier enfant de Victor Hugo (1802-1885) et Adèle Foucher (1803-1868)

1824, 28 août, naissance de Léopoldine Hugo, second enfant de Victor et Adèle, qui épousera en 1843 Charles Vacquerie, elle décède la même année, morte noyée à Villequier. Elle avait 19 ans.

1826, 2 novembre, naissance de Charles Hugo, troisième enfant du couple Hugo, qui aura deux enfants, GEORGES HUGO (1868-1925) et JEANNE HUGO (1869-1941) avec Alice Lehaene. Décès en mars 1871.

Georges et Jeanne furent les seuls petits-enfants de Victor Hugo

[GEORGES épousera Pauline Ménard-Dorian ; ils auront deux enfants, JEAN HUGO (1894-1984) et MARGUERITE HUGO (1896-1984) ; d’un second mariage (avec Dora Charlotte Dorian), naîtra FRANCOIS HUGO (1899-1981)

JEANNE se mariera trois fois : avec Léon Daudet (1891), avec Jean-Baptiste Charcot (1896) et Michel Negreponte.]

1828, 21 octobre, naissance de Victor, dit François-Victor, quatrième enfant de Victor et Adèle. Décès en décembre 1973.

1830, 24 août, naissance d’Adèle, seconde fille de Victor Hugo et Adèle, leur cinquième enfant. Décès en avril 1915, à Saint-Mandé. Elle avait été internée par son père.

Aujourd’hui la sixième génération compte neuf Hugo, nés entre 1949 et 1958. Ils sont donc sexagénaires ou presque et …bien vivants, tous. Ils se connaissent et se fréquentent, se concertent sur des questions comme le patrimoine, les droits d’auteur et le partage de biens communs.

(Selon Henri Gourdin, « Les Hugo » page 386)

VH avec ses deux petits-enfants

« Victor, Léopoldine, Jean et les autres »

Tel est le titre du Dossier / Retour sur la saga familiale et la descendance mouvementée de Victor Hugo, à travers les destins de ses descendants, par Thierry Clermont (Le Figaro Littéraire)

« LES HUGO ont toujours eu, c’est à leur éloge, un sentiment de famille très fort et très tenace. » Léon Daudet, fils d’Alphonse, l’auteur du Petit Chose, savait de quoi il retournait : il avait épousé Jeanne Hugo, petite-fille du poète, en 1891. Autant l’œuvre de Hugo est prolixe et démesurée (« Une force qui va »), autant sa descendance est protéiforme et vivace dans les milieux de l’art au sens large, jusqu’à aujourd’hui. Cet héritage parfaitement assumé par une petite dizaine de générations a également permis de prolonger et de nourrir la gloire et la légende de l’auteur des Contemplations, légende forgée de son vivant par Hugo lui-même, et même de veiller sur l’œuvre de leur aïeul, et bien sûr aux droits qui y sont associés. Comme le pointe Henri Gourdin dans cette somme, fruit de dix ans de travail, les Hugo sont viscéralement attachés à leur nom et même à leurs prénoms. En grimpant dans leur arbre généalogique, on découvre de nombreux Joseph, Charles, François-Victor, Léopold, et plusieurs Adèle...

Parmi les cinq rejetons d’Adèle Foucher et de Victor Hugo, fils supposé du général d’Empire Joseph Léopold Sigisbert Hugo, trois personnalités émergent : Léopoldine, François-Victor et Adèle, nés entre 1824 et 1830.

Sa légende a exhaussé celle de son père : en disparaissant tragiquement, à dix-neuf ans, noyée dans les eaux de la Seine avec son mari, Charles Vacquerie, Léopoldine a inspiré à l’écrivain un de ses plus beaux poèmes’ qui s’ouvre par le célèbre : « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne... » Comme le dit Henri Gourdin, celle qu’il chérissait entre toutes est devenue « le symbole de l’innocence sacrée de l’enfance, de la pureté virginale, du destin tragique de son père ».

La délaissée du clan

Le nom de François-Victor Hugo est associé à ses nombreuses traductions de Shakespeare : plus d’une vingtaine, plus tard réunies dans la « Pléiade ». Mort prématurément à quarante-cinq ans, il n’aura pu mener à bien son chantier : l’intégrale de l’auteur anglais. Un siècle et demi plus tard, ses traductions font toujours référence, y compris celle des Sonnets.

Benjamine de la fratrie, Adèle fut la mal-aimée, la délaissée du clan, l’idiote de la famille, la fugitive, « L’Engloutie », à tel point que de nombreux exégètes et scoliastes hugoliens l’ont laissée dans l’ombre. Elle est réapparue, magnifique, dans le film de Truffaut, L’Histoire d’Adèle H., sous les traits de la merveilleuse Isabelle Adjani, en 1975. Quelques années auparavant, son volumineux Journal de l’exil avait été en partie exhumé. Mais rien n’y fit : la légende de la folie d’Adèle a continué de courir, légende mise à mal par son biographe Henri Gourdin, témoignages à l’appui. Elle mourra en 1915, à quatre-vingt-cinq ans. Balzac avait dit d’Adèle : « Elle est la plus grande beauté que j’aurai vue de ma vie. »

Plus près de nous, le plus illustre des arrière-petits-fils de Hugo fut Jean Hugo (1894-1984). Peintre, illustrateur, décorateur, il fut proche de Maritain, de Cocteau (rencontré grâce à son cousin Charles Daudet, fils de Jeanne Hugo), de Radiguet, de Satie, de Louise de Vilmorin, dont le recueil L ’Alphabet des aveux avait été rehaussé de ses dessins. Il avait travaillé avec Diaghilev, Stravinsky, Dreyer. Son épouse était la peintre Valentine Gross, son amante, la comédienne Marie Bell. Ses indispensables Mémoires ont paru dans les années 1980-1990 : Souvenirs. Le Regard de la mémoire et Carnets (1946-1984).

Arrière-arrière-petit-fils de l’écrivain, Pierre Hugo, né en 1947, a publié en 2007 au Rocher un livre sur la saga de cette famille pas comme les autres, « Les Hugo ». C’est lui, suivi par d’autres héritiers, qui s’était en vain opposé à la publication de la suite des Misérables signée par François Cérésa (Cosette, ou le Temps des illusions et Marius, ou le Fugitif)… Thierry Clermont

Coups de gourdin sur Victor H.

Si le texte de Thierry Clermont est de facture plutôt « light », sans être académique, d’autres critiques sont franchement plus directs, ils n’y vont pas de main morte, tout en vantant les grands mérites et la valeur de l’ouvrage de Henri Gourdin.

« Dans un essai qui égrène, chapitre par chapitre, l’histoire de chacun des membres de la famille Hugo, celui consacré à Victor n’est pas piqué des vers. Attention, démolition » (Le Parisien)

« Dans son gros livre, Henri Gourdin, biographe sans concession, en l’occurrence trop bien nommé, c’est comme s’il réglait des comptes personnels avec le grand poète national » (La Croix)

« Dans « Les Hugo » , Henri Gourdin règle son compte à la légende édifiée par Victor à la gloire de Hugo. Et dont pâtit cruellement sa famille. C’est peu de dire que cet étonnant biographe déteste l’objet central de son enquête. Henri Gourdin ne peut pas voir Victor Hugo en peinture » (Le Canard Enchaîné)

Henri Gourdin/ Bibliographie

« Les Hugo » prolonge et approfondit les travaux de Henri Gourdin autour des filles de Victor : « Adèle, l’autre fille de Victor Hugo » (Ramsay, 2003) et « Léopoldine, l’enfant muse de Victor Hugo » (Plon, 2008). H. Gourdin est également l’auteur de biographies d’Olivier de Serres, de Jean-Jacques Audubon (Actes Sud), d’Eugène Delacroix et d’Alexandre Pouchkine (éditions de Paris-Max Chaleil)

Exposition à Paris et un livre familial

Avril sera « hugolien en diable », selon Th. Clermont, avec deux expositions à Paris et A Paris, la Maison Victor Hugo de la Place des Vosges, propose depuis le 14 avril et jusqu’au 18 septembre, une exposition intitulée « Les Hugo, une famille d’artistes ». Le musée consacre tous ses espaces aux œuvres des membres successifs de la lignée, jusqu’à aujourd’hui. On voit les photos de Charles, une sélection d’œuvres de l’artiste et décorateur Jean Hugo, les gravures de l’étrange neveu Léopold…L’exposition rendra hommage à Adèle, dont les compositions seront jouées en public pour la première fois.

Hautevllle House est toujours dans l’actualité, à travers le regard de deux descendants de l’écrivain, Marie, peintre et Jean-Baptiste Hugo, photographe, sur la célèbre demeure, sous la forme d’un ouvrage « Hauteville House, Victor Hugo décorateur » (Ed. Paris Musées, 160 p).La fille de Marie, Laura, a sélectionné des écrits intimes de la famille Hugo et de leurs proches pour mettre « en mots » détaillant les apports du décorateur Victor Hugo

A Guernesey, où l’écrivain s’était exilé entre 1855 et 1870, un festival littéraire, pictural et musical a rendu hommage à Hugo, du 2 au 10 avril. On a notamment put entendre le chanteur québécois Alain Lecompte, qui a mis en musique une trentaine de poèmes de l’auteur des Travailleurs de la mer.

Dans son Dossier, Thierry Clermont présente « Hugo, par Michel Butor » (Buchet Chastel)

Sous le regard de Michel Butor

« Il en fait trop ; non seulement le théâtre, mais le roman, non seulement les invectives, mais les chansons, les petites épopées, mais le promontoire du songe ; non seulement la littérature mais le dessin. Il finira par nous prendre toute la place ! »

C’est par ces mots que Michel Butor (quatre-vingt-dix ans cette année) présente son florilège de textes puisés dans l’œuvre gigantesque et protéiforme de Victor Hugo : romans, poèmes, pièces de théâtre, critiques...

Dans ses 160 pages, il a pris le parti de nous faire découvrir des œuvres moins connues, une vingtaine en tout, qu’il nous présente. Comme il le dit, « le grenier hugolien regorge de surprises ».

Exeunt donc Booz endormi, Hernani, Le roi s’amuse, L’Homme qui rit... et bienvenue à Quatre-vingt-treize, au Rhin, à son long poème posthume Dieu et à ses essais critiques sur Molière, Shakespeare ou Rabelais. À propos du créateur de Pantagruel, Hugo avait écrit : « Pendant que Luther réforme, Rabelais bafoue le moine, bafoue l’évêque, bafoue le pape, rire fait d’un râle. Ce grelot sonne le tocsin. Hé bien, quoi ! J’ai cru que c’était une ripaille, c’est une agonie ; on peut se tromper de hoquet Rions tout de même. » Notons que Michel Butor a tout de même glissé dans son livre quelques passages, moins célèbres, de Notre-Dame de Paris ou des Misérables.

Ajoutons la présence bien venue d’un cahier d’illustrations en fin de volume. Par le passé, l’auteur de La Modification s’était penché sur Rabelais, Ezra Pound, Chateaubriand, Giacometti, Alechinsky et tant d’autres. Son Hugo, agréable et rafraîchissant, facilitera un retour aux sources hugoliennes. Hector Bianciotti n’appelait-il pas Butor « l’essayiste magistral » ?

(mp)

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