Cubaineries

Chronique de Jacques Lanctôt

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Je suis à Cuba pour une petite semaine de dépaysement, avec mes deux plus jeunes enfants. Pour mon fils âgé de 11 ans, c’est un retour aux sources. Il n’y était pas revenu depuis un an et il en a profité pour revoir quelques amis qui grandissent et changent comme lui. Mais il n’a pas perdu ses vieilles habitudes de jouer dans la rue une petite partie de foot avec les voisins

Jacques Lanclôt

Cuba, la terre de ces « mille mélange raciaux » .

J’en ai profité pour revoir mon ami Jean-Guy Allard, ce Québécois anciennement journaliste au Journal de Québec qui vit à La Havane depuis une bonne quinzaine d’années. Il a été, comme moi, traducteur à l’hebdomadaire Granma Internacional, section française.

Bel exemple d’intégration réussie. De temps en temps, on le voyait à la télévision cubaine pour commenter l’actualité car il est devenu un spécialiste des terroristes cubains vivant à Miami qui rêvent de détruire Cuba et d’assassiner ses dirigeants, comme Richard Bain se proposait de le faire avec ceux du Parti québécois. Il avait ses entrées dans les services secrets cubains, dont ce général à la retraite Fabian Escalante Font, ancien chef de la Sécurité cubaine et spécialiste des opérations de la CIA à Cuba (il a déjoué quelques tentatives d’assassinat de Fidel Castro) et de l’histoire morbide qui entoure l’assassinat de JFK, à Dallas, en 1963.

Je parle à l’imparfait car Jean-Guy n’en mène pas large en ce moment. Il souffre d’arthrose grave. Il est maintenant presque toujours alité et se déplace péniblement en fauteuil roulant. Il a, par conséquent, ralenti ses activités tout en ne se résignant pas à passer l’arme à gauche.

Comme il a toujours sa résidence permanente, il a vendu sa petite voiture Peugeot (ici le prix des autos, même usagées, est extraordinairement élevé), et a pu s’acheter un bel appartement plus ou moins pour le même prix dans un immeuble du quartier Vedado, au septième étage, où il peut apercevoir la mer pas très loin et sentir l’air salin. Même s’il s’ennuie du Québec, pas question de revenir ici. Chez lui, c’est maintenant Cuba où il continue de suivre assidûment les actualités politiques de l’île et du continent. Il n’a plus rien du « Canadien errant ».

À part ça, Cuba est toujours la même, la terre de ces « mille mélange raciaux » dont parle l’écrivain Leonardo Padura, et qu’on peut apprécier à peu près partout sur l’île. Comme je l’écrivais il y a quelques années, ici, Galiciens à la peau blanche, Noirs emmenés violemment de différentes régions d’Afrique ou Haïtiens fuyant l’esclavage, fiers Mulâtres, Chinois et Arabes - hélas ! il ne reste que très peu d’Amérindiens et on les trouve majoritairement dans la région de Trinidad - se sont donnés rendez-vous, en différentes vagues migratoires, pour fonder la « cubanité » profonde, une fois l’esclavage banni. Une « cubanité » qui n’est certes pas monoculturelle, mais qui n’a rien à voir avec le multiculturalisme que Trudeau junior veut nous imposer au Québec, ni avec le cosmopolitisme candide de certains bien-pensants.

Bien sûr, il existe, ici et là, encore quelques poches de résistance où le racisme est latent, mais ce sont des exceptions honteuses, une preuve que le sous-développement culturel, lié de près au sous-développement économique, a la vie dure. Ici, à Cuba, le mot xénophobie n’existe pas. Et il ne viendrait à personne de dire, comme on l’a dit récemment au Québec pour nier l’identité québécoise, que les Cubains, de toute façons, sont tous des immigrants et qu’il n’y a rien là ! Les Cubains forment un peuple trop fier pour cela. Qu’on soit noir (10,1 % de la population), blanc (65 % de la population), mulâtre (24,9 %), ou « achinado », tous sont unanimement, fièrement et joyeusement Cubains.

C’est pour cette raison qu’on ne sent aucune tension raciale à Cuba. La culture cubaine a su cimenter toutes ces diversités et intégrer les particularismes sans les nier. Cette culture est suffisamment forte, en musique, en littérature, en cinéma, en arts visuels, en danse, et même en sport, pour être exportée et pour briller partout où elle se manifeste. Et je me mets à rêver qu’un jour, ce sera notre tour, Québécois.

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