Bernard Pivot a relu « Le vieil homme et la mer » de Hemingway, plus de 50 ans après sa première lecture

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« Le vieil homme et la mer » de Hemingway, paru en France en 1952 chez Gallimard et traduit par Jean Dutourd vient d’être publié avec une nouvelle traduction. Elle est due à Philippe Jaworski, professeur à Paris-7.

Bernard Pivot a relu « Le vieil homme et la mer » plus d’un demi-siècle après sa première lecture.

Bernard Pivot a relu « Le vieil homme et la mer » de Hemingway, plus de 50 ans après sa première lecture

Posté par Michel Porcheron

« Le vieil homme et la mer » de Hemingway, paru en France en 1952 chez Gallimard et traduit par Jean Dutourd vient d’être publié avec une nouvelle traduction. Elle est due à Philippe Jaworski, professeur à Paris-7.

Bernard Pivot a relu « Le vieil homme et la mer » plus d’un demi-siècle après sa première lecture. C’est le sujet de sa chronique « Le vieux pêcheur et les requins », publiée sur le site jdd.fr.

« L’un des plus beaux titres de tous les temps »

« D’abord », considère Bernard Pivot, « le titre est admirable. L’un des plus beaux titres de littérature de tous les temps et de tous les pays. Bien mieux que « Guerre et Paix », « Le Rouge et le Noir », ou « Les Voix du silence ».

Bien plus subtil dans l’opposition de deux éléments.

« Le Vieil Homme et la Mer » c’est, face à l’océan toujours vigoureux et redoutable, un homme au soir de sa vie, pêcheur très pauvre, fatigué et malchanceux. Hemingway aurait pu être plus réaliste, plus accrocheur : ’Le Vieil Homme et les Requins’, ou ’Le Vieux Pêcheur et la Mer’. Il a préféré élargir la perspective et l’allégorie. ­Santiago, le pêcheur cubain, c’est tout homme que ses forces et la chance abandonnent et auquel le destin réserve une dernière confrontation avec la nature. Il en ressortira brisé, vaincu, mais grandi »

Après avoir rappelé que le livre de Hemingway fut écrit en 1951, valut à l’auteur le prix Pulitzer et contribua à lui faire obtenir, en 1954, le prix Nobel de littérature, il souligne que le roman, traduit par Jean Dutourd, « a connu en France comme ailleurs un succès considérable »

Bernard Pivot estime que la préface de Philippe Jaworski , auteur de la nouvelle traduction, est « pénétrante ».

Préface dans laquelle Jaworski « évoque, entre autres aspects du livre, son écriture, ’prose lente, solennelle, subtilement ouvragée’. « Pas si solennelle que ça, plutôt noble, me semble-t-il, de la noblesse des gens de métier et de devoir », selon Bernard Pivot.

« Ma seconde lecture m’a enchanté et ému »

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« Ma seconde lecture, plus d’un demi-siècle après la première, m’a enchanté et ému »

Pourtant, écrit Bernard Pivot, « le suspense a disparu. Même les gens qui n’ont pas lu le livre savent que le pêcheur est revenu bredouille. Les requins ont dévoré l’énorme marlin qu’il avait pêché. Ne pouvant le hisser sur sa barque, il avait dû le laisser dans l’eau, amarré à un flanc du bateau revenu trop lentement au port »

Ce qui est « fascinant », poursuit-il, c’est « l’enchaînement de la dramaturgie, comment les combats se succèdent dans le temps, entre les mains en sang de Santiago, dans sa tête de pêcheur d’abord veinard, puis malheureux et floué, toujours digne ».

La nouvelle traduction du « Vieil homme… » est manifestement une occasion pour Bernard Pivot de proposer sa « fiche de seconde lecture », tant de temps plus tard. Comme s’il voulait simplement nous rafraichir la mémoire, inviter de nouveaux lecteurs à se plonger dans l’histoire de Santiago et de Manolin, sans pour autant aborder directement ce qu’apporte la nouvelle traduction de Jaworski.

« Cela faisait quatre-vingt-quatre jours qu’il n’avait pas pris un seul poisson dans le Gulf Stream ! Et puis, ce jour-là, alors qu’il n’est ­jamais allé aussi loin à la force de ses bras et des avirons, à 200 mètres de profondeur un poisson - un gros, il en est sûr, mais il ne pensait pas que ce marlin serait aussi énorme - a avalé l’hameçon recouvert de sardines. La lutte va durer trois jours et deux nuits, la barque étant entraînée toujours plus loin. Santiago n’a emporté qu’une bouteille d’eau. Il se nourrit d’une daurade crue prise à la ligne et de poissons volants. Le soleil tape fort. Il ne dort pas. Le fil tendu avec violence lui coupe les mains. Mais c’est un beau combat avec un poisson qu’il admire, respecte et auquel il parle avec déférence et amitié ».

’Poisson, dit-il doucement, à haute voix, je reste avec toi jusqu’à ma mort.’

Et, le voyant enfin émerger de l’eau, proche d’être harponné : ’Je n’ai jamais rien vu de plus grand, de plus beau, de plus calme et de plus noble que toi, mon frère. Approche donc et tue-moi. Peu importe qui tue qui.’

La tendresse qui unit le vieil homme et le jeune garçon

Dans sa « fiche », Bernard Pivot met l’accent sur « le combat qui va suivre, avec d’abord un requin, puis deux, puis un banc, qui ne laisseront du poisson magnifique que la tête et la queue, est sans grandeur (…) Santiago déteste cet affrontement barbare. Mais il lui faut préserver son bien. Et il doit au poisson qu’il a vaincu de le défendre contre des prédateurs indignes de sa beauté et de sa vaillance.

« Bien qu’il soit à bout de forces et que ses mains le fassent cruellement souffrir, le vieil homme affronte les requins, en tue plusieurs avec le harpon, puis avec son couteau ficelé au bout d’un aviron. Il leur assène des coups de gourdin. Il sait bien que le combat est perdu d’avance, mais, pour l’honneur, il ne pouvait s’y soustraire ».

Rentré épuisé dans sa cabane, le vieil homme « dort longtemps, veillé par son ami, Manolin. C’est un garçon qui l’aime, le vénère, auquel il a appris à pêcher et qui l’aide à transporter son matériel quand il ne l’accompagne pas en mer. Mais son père juge que Santiago est trop malchanceux - quatre-vingt-quatre jours sans rapporter un poisson ! - et il lui a donné l’ordre de monter sur un autre bateau. Manolin pleure parce que les mains du pêcheur ne sont qu’une plaie, qu’il a vu dans le petit port ce qu’il reste du fabuleux poisson et qu’il n’était pas avec lui pour l’aider pendant son jour de chance. La tendresse qui unit le vieil homme et le jeune garçon est l’émouvant contrepoint sur terre des violences de la mer ».

Le talent de Bernard Pivot a toujours été d’inviter à lire, avec le succès que l’on connait.

Il y réussira aussi avec sa chronique « Le vieux pêcheur et les requins ».

Après sa première lecture » « il y a plus d’un demi-siècle », Bernard Pivot livra peut être sa première chronique sur « Le vieil homme…. » à l’hebdomadaire « Le Figaro Littéraire » où il travaillait depuis 1958. Si chronique il y eut, il n’aura pas manqué d‘écrire : « ma première lecture m’a enchanté et ému ». Bernard Pivot a le goût littéraire sûr et fidèle.

* « Le vieil homme et la mer », Ernest Hemingway. Traduction Philippe Jaworski, Gallimard, 142 pages, 16 euros.