Entre sécheresses et déluges, Cuba tente de mieux gérer son eau

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Cuba souffre de déficiences dans l’approvisionnement en eau des populations et le traitement des eaux usées.
La solution de ces problèmes est rendue encore plus urgente par les changements climatiques et des mesures sont prises pour y faire face.
Danielle Bergeron.
Photos : Jorge Luis Baños/IPS



Canalisations en polyéthylène haute densité en cours d’installations dans une avenue au coeur de la municipalité de Centro Habana, qui va intégrer les nouveaux réseaux d’alimentation en eau potable pour les résidents de la capitale.

Si vous pouvez prendre tous les jours un bon bain et que chaque fois que, chez vous, vous ouvrez le robinet, il en sort de l’eau, commencez à vous considérer comme un privilégié. Il y a dans le monde des endroits où cette ressource vitale pour les gens et la planète devient chaque jour un peu plus rare et les prévisions pour l’’avenir sont dramatiques.

Une étude de l’Administration Nationale de l’Aéronautique et de l’Espace, plus connue sous le nom de NASA, qui couvre la période 2003-2013, indique que les plus grandes nappes phréatiques du monde s’épuisent de façon alarmante, du fait de prélèvements supérieurs aux quantités d’eau récupérées.

« La situation est assez critique », a souligné Jay Famiglietti, scientifique de la NASA, en approfondissant le sujet dans des publications spécialisées de son pays. D’après cet expert, les problèmes liés aux eaux souterraines sont aggravés par le réchauffement dû au changement climatique.

Loin de diminuer, l’impact des variations climatiques se fait sentir par une plus grande instabilité du régime des pluies, ce qui a de graves conséquences pour les nations antillaises qui dépendent essentiellement des précipitations. A Cuba et dans d’autres îles des Antilles, en particulier, les périodes de sécheresse sont devenues plus intenses.

« La disponibilité en eau décroît petit à petit à cause de la diminution des pluies, de la détérioration de la qualité de l’eau et d’une plus grande évaporation due à la hausse des températures », a déclaré Antonio Rodriguez, vice-président de l’Institut National des Ressources Hydrauliques (INRH), dans un entretien accordé à IPS.

L’ouragan Irma qui, en septembre 2017, a traversé presque tout l’archipel cubain a contribué à atténuer la sécheresse qui avait pendant trois ans assoiffé les populations et les champs du pays. L’actuelle saison des pluies qui va durer jusqu’en novembre, a commencé en mai avec la tempête Alberto et a été prodigue en précipitations qui n’ont pas encore cessé.

« Nous avons pu évaluer la réalité du changement climatique. Nous avons vécu 38 mois de sécheresse intense suivis de pluies très supérieures à la moyenne » , a résumé le dirigeant de l’organisme d’Etat en charge des eaux terrestres de Cuba.

Une équipe d’ouvriers de la Compagnie des Eaux de La Havane au travail pour remplacer le réseau d’égouts du quartier du Vedado, dans la capitale.

Les pluies intenses venues s’ajouter à la tempête Alberto qui a touché Cuba au cours de la dernière semaine de mai ont causé 18 morts par noyade et de sérieux préjudices économiques dans plusieurs provinces, mais en même temps, elles ont considérablement augmenté les réserves des 242 lacs de barrage gérés par L’INRH, qui servent à accumuler les eaux provenant des précipitations.

Mission Vie, le plan officiel, en vigueur depuis l’année dernière pour faire face au changement climatique, indique que le niveau moyen de la mer a déjà monté de 6,77 cm et qu’on pourrait atteindre 27 cm en 2050 et 85 en 2100, ce qui va entraîner la perte progressive des surfaces émergées dans les zones côtières les plus basses.

De plus, on pourrait assister à la « salinisation des nappes phréatiques ouvertes sur la mer du fait de l’avancée des intrusions salées ». Pour l’instant, « sur les 101 nappes contrôlées par l’INRG, 100 sont en très bon état », a dit Rodriguez.

Ces sources d’eau on aussi souffert de la sécheresse, mais s’en sont remises grâce aux pluies de l’ouragan Irma.

Dans ce contexte, la mauvaise utilisation de la ressource, du fait de l’état technique et du fonctionnement défaillant de l’infrastructure hydraulique provoque dans notre pays la perte d’environ 1,6 milliards de mètres cubes d’eau.

C’est en 2011 qu’a débuté un plan stratégique pour sortir de cette situation, avec 12 villes prioritaires depuis La Havane jusqu’à Santiago de Cuba, dans l’est.

Quand le programme a commencé, il y avait 58% de perte dans l’acheminement d’eau potable, aussi bien dans les réseaux de distribution qu’à l’intérieur des maisons et des établissements. A l’heure actuelle, on n’a réussi qu’à faire diminuer cette perte à 48%.

Mais depuis 2013, un plan intégral de fourniture et d’assainissement est en cours. Il va au-delà de la suppression des pertes durant l’acheminement.

Grâce à ce qui a été réalisé de 2015 à 2017, le taux de couverture concernant les égouts a augmenté de 0,6% et 1,6 millions de personnes ont bénéficié de l’approvisionnement en eau .

A l’heure actuelle, environ 11% des habitants du pays -qui en compte 11,2 millions- ont de l’eau en permanence chez eux et 39% en ont à certains moments de la journée. Les 50% de foyers restants n’accèdent à la ressource que par périodes qui peuvent les priver d’eau jusqu’à une semaine.

« J’habite dans le centre de Santiago de Cuba et nous avons deux grands réservoirs en hauteur et une citerne. L’eau nous arrive par le réseau de distribution à peu près une fois par semaine, ce qui nous suffit tout à fait, même pour prendre une douche quotidienne.  », a raconté à IPS dans cette ville une employée de l’entreprise téléphonique Etecsa qui a demandé à rester anonyme.

Deux employés de la Compagnie des Eaux de La Havane travaillent au remplacement des réseaux d’alimentation en eau et à l’installation de compteurs dans les maisons, afin de mesurer la consommation d’eau potable, dans une rue centrale du quartier du Vedado, de la municipalité Place de la Révolution de la capitale cubaine.

Le déficit historique en eau dans cette ville et dans d’autres de la partie orientale du pays s’est atténué grâce au transfert de ressources à partir de régions qui en ont davantage, mais en cas de sécheresse, les cycles d’alimentation en eau ralentissent.
« C’est pour cela que chez moi, on fait très attention à l’eau », a-t-elle déclaré.

Une étude a montré que des 58% d’eau qui se perdent, 20% sont le fait des foyers.
D’autres priorités visent à améliorer le traitement des eaux usées. « Même si plus de 96% du pays est couvert par un service d’assainissement, seuls 36% de la population a accès au tout-à-l’égout. Pour le reste, il s’agit de fosses septiques ou d’autres types de traitements » a reconnu le vice-président de l’INRH.

Alexander Concepción Molina, employé de la Compagnie des Eaux de La Havane surveille le processus de thermofusion d’une conduite en polyéthylène haute densité qui fait partie de l’installation des nouveaux réseaux de distribution d’eau potable dans le quartier de Peñas Altas, à Playa Guanabo,une des municipalités qui composent la capitale cubaine.

Parmi les défis à relever, il a aussi mentionné la faible couverture hydrométrique.
« Nous avons réussi à doter d’intruments de mesure de la consommation 100% du secteur d’Etat et tous les grands consommateurs, mais pour le secteur résidentiel, ce type de contrôle ne concerne qu’un peu plus de 23% de la population. Entre 2015 et 2017, 227 000 compteurs ont été installés, mais le plan prévoit une couverture intégrale », a dit Rodriguez.

« Le fait de mesurer la consommation entraîne sans aucun doute une baisse de celle-ci et nous permet d’évaluer l’efficacité de notre système » a-t-il ajouté.

A l’instar d’autres services, la fourniture d’eau à domicile est subventionnée par l’Etat et coûte très peu cher. « Nous sommes quatre et nous payons 5,20 pesos par mois (moins de 0,25 cents de dollar) », nous a raconté Maria Curbelo, qui habite le quartier havanais du Vedado.

Le programme hydraulique national qui se poursuivra jusqu’à 2030 comprend les travaux de distribution, d’assainissement, de mise en réserve, de transfert et d’hydrométrie ainsi que l’équipement nécessaire pour les investissements et l’entretien.

« Nous travaillons également à la construction d’usines de désalinisation de l’eau de mer », a dit Rodriguez.

Ces projets n’incluent pas seulement les travaux pour pouvoir fournir de l’eau à la population, mais aussi tout ce qui est nécessaire à l’agriculture, à l’infrastructure hôtelière et au programme de logements.

Rodriguez a expliqué que pour mener à bien ce programme, on dispose de financements à la fois de l’Etat et de l’extérieur, ce qui a rendu possible la fourniture d’eau subventionnée à domicile.
« Nous avons bénéficié de crédits extérieurs provenant entre autres d’Arabie Saoudite, du Koweit, de l’OPEP, de l’Agence Espagnole de Coopération et de dons chinois. », a-t-il précisé.

Il s’agit de prêts à taux réduits avec un report d’échéance à cinq ans, à 2 ou 3% d’intérêt et payables sur 20 ans, toujours avec la garantie de l’Etat cubain.


http://www.ipsnoticias.net/2018/06/sequias-diluvios-cuba-busca-manejar-mejor-agua/