Comment Cuba est devenue une puissance mondiale de la biotechnologie

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La biotechnologie est l’une des branches les plus développées à Cuba. Des médicaments uniques en leur genre dans le monde, tels que l’Heberprot-P et le vaccin CIMAvax-EGF ainsi que la création de traitements pour les maladies du système nerveux, du cancer, de l’hépatite B ou de la méningo-encéphalite ont fait de Cuba une puissance mondiale.

Scientifique du Centre de génie génétique et de biotechnologie de La Havane. Photo Desmond Boyland / Nature.

Appartenant au groupe BioCubaFarma, quelque 20 000 travailleurs de divers centres de recherche œuvrent pour une industrie qui, en raison de son coût élevé, semblerait destinée uniquement aux pays développés. Cependant, la Révolution cubaine a compris très tôt l’importance de la biotechnologie en tant que secteur fondamental pour la santé du peuple cubain et c’est pourquoi elle recueille aujourd’hui les fruits de la création d’un pôle scientifique. Près de quatre décennies d’efforts ont permis le développent d’institutions cubaines de biotechnologie, telles que le Centre de génie génétique et de biotechnologie (CIGB), le Centre de immunologie moléculaire (CIM), le Centre d’immunoanalyse (CIE) et le Centre de neurosciences (CNeuro) qui sont devenues des références internationales.

Quels sont les jalons du développement des biotechnologies dans le Cuba de la Révolution ? Comment Cuba a-t-elle réussi à mettre en œuvre l’une des meilleures industries de biotechnologie des pays en développement ? À l’occasion du soixantième anniversaire du triomphe de la Révolution, Cubadebate répond à ces questions avec la participation d’experts des sociétés de BioCubafarma.

Les origines

Première étape du processus d’obtention de l’IFN leucocytaire. Photo Bohême.

Le Dr Luis Herrera, actuel conseiller du président de BioCubaFarma, est l’un des fondateurs de la biotechnologie à Cuba et par conséquent l’un des scientifiques qui peut le mieux résumer cette époque où l’on n’était pas certain d’arriver et où il fallait travailler vite pour faire émerger la science à Cuba. Dans une interview à Cubadebate, il assure que l’origine se trouve dans la pensée de Fidel Castro qui dès le début des années 1960 avait prédit que l’avenir de Cuba était nécessairement un avenir d’hommes de science.

« Les premiers pas ont été franchis au cours des premières années de la Révolution avec la création de la ICIDCA (Institut cubain de recherche sur les dérivés de la canne à sucre, ndt), tandis que le CNIC (Centre national de recherche scientifique, ndt) était la mère d’un autre groupe d’institutions, puis du CENSA (Centre national sanitaire pour l’agriculture, ndt) », explique ce scientifique exceptionnel doté d’une longue expérience dans le domaine des biotechnologies à Cuba.

À Cuba, le secteur des biotechnologies a connu un essor décisif lorsque le Commandant en chef a créé un groupe dédié à la production d’interféron en tant que possible médicament anticancéreux. Le Dr Herrera souligne qu’après la création du « Frente Biológico » en 1981 (chargé de la planification du devenir de la biotechnologie cubaine), il a été décidé de créer le Centre de recherche biologique, avec deux structures de base, recherche et production, dédiés à la production d’interféron leucocytaire.

« Dans le domaine de la recherche, un travail important a permis la mise au point d’un dispositif de production des interférons alpha et bêta. Cela a pris plusieurs mois pour y parvenir car à cette époque nous n’avions pas suffisamment de données et le personnel était pour la plupart de jeunes diplômés », explique-t-elle. Depuis plusieurs années, elle dirige le CIGB. « Fidel a toujours été un moteur pour notre travail et sa vision et ses capacités ont fait en sorte que, dans un temps relativement court, un pays pauvre et petit a obtenu des résultats capitaux dans le domaine des biotechnologies » souligne le Dr Herrera.

Après ces premières démarches, Cuba a fondé le CIGB en 1986 et, parallèlement, d’autres centres scientifiques ont été créés, tels que le Centre de production animale de laboratoire (CENPALAB), le Centre national de biopréparations (BIOCEN) et le Centre d’immunoanalyse.

Médicaments produits à base d’interféron leucocytaire (pommade, collyre, solution injectable) livrés au Commandant en chef lors de l’inauguration du CIGB, le 1er juillet 1986. Photo Bohemia.

Au Centre d’immunoanalyse a été mis au point le SUMA (système ultramicroanalytique), technologie qui a permis à Cuba de devenir le premier pays exempt de transmission verticale du VIH (transmission mère-enfant, ndt) et le deuxième d’Amérique offrant une couverture complète de l’hypothyroïdie congénitale chez le nouveau-né, une affection caractérisée par un dysfonctionnement de la thyroïde qui conduit à un retard mental profond s’il n’est pas détecté assez tôt. Puis, en 1991, le Commandant a créé une organisation qui nécessitait un travail intense d’intégration, d’organisation et de prospective : le « Polo Científico del Oeste de La Habana » ainsi que d’autres institutions appelées à jouer un rôle essentiel, telles que le Centre d’Immunologie Moléculaire (CIM).

Parmi les principaux résultats des premières années, le Dr Herrera souligne l’obtention d’interférons, une recherche originale comme ce fut le cas pour l’utilisation du facteur de croissance épidermique dans le traitement de l’ulcère du pied chez les diabétiques et le clonage protéique de la bactérie Neisseria meningitidis.

Innovations dans la biotechnologie cubaine

« Cette industrie est composée de 34 entreprises qui constituent actuellement le groupe BioCubaFrama, aboutissement de 30 années de travail ininterrompu. Elle emploie plus de 20 000 travailleurs sur 61 sites de production répartis dans tout le pays et exportant dans 53 pays » a expliqué le Pr Rolando Pérez, directeur des sciences et de l’innovation. « Nous disposons également, a-t-il ajouté, de 700 registres de santé concernant différents produits et nous fournissons plus de mille produits au système de santé national, y compris des médicaments, du matériel médical et des kits de diagnostic. Sur le tableau de base des médicaments qui représente actuellement 761 médicaments, 64% sont produits par notre industrie ».

Siège de Biocubafarma. Photo Archives.

Selon le Pr Pérez, la biotechnologie cubaine se distingue par l’intégration et la coopération entre les centres du pôle scientifique, ainsi que ceux-ci avec des institutions telles que le ministère de la Santé publique, avec une approche en cycle fermé qui garantit la recherche et la commercialisation des produits. « Comme il s’agit de technologies onéreuses, il est naturel que ces sociétés ferment le cycle économique à l’étranger et, avec les revenus, soutienne le développement de cette industrie, ainsi que son utilisation dans le pays. L’exportation est le moyen pour l’industrie de continuer à développer et à garantir l’utilisation des produits dans le système de santé national » a-t-il affirmé.

Autre élément important, le Pr Pérez affirme que l’industrie cubaine est un important facteur d’innovation avec plus de 2 500 brevets déposés. « Sur 101 produits bio-pharmaceutiques en cours de développement, dit-il, 76 sont des produits innovants, c’est-à-dire qu’ils ont été entièrement créés par nos scientifiques, dont 20 sont potentiellement des produits phare dans leur catégorie puisqu’il n’y en a pas d’autre dans le monde pour cette maladie. »

L’Heberprot-P, un médicament cubain unique en son genre dans le monde. Photo Archives.

Heberprot-P et CIMAVAX EGF : deux promesses de la biotechnologie

L’un des produits phare de la biotechnologie cubaine est le Heberprot-P, un médicament unique en son genre dans le monde utilisé dans le traitement de l’ulcère du pied des diabétiques, qui a bénéficié à près de 290 000 patients en Amérique latine, Asie, Afrique et en Europe et qui est actuellement enregistré dans plus de 25 pays. L’approbation du registre sanitaire du Mexique a été obtenue l’année dernière et a été incluse dans le catalogue des fournitures de l’ISSSTE (Institut mexicain de sécurité et des services sociaux, ndt). Ce produit a profité à des milliers de personnes. L’entreprise Heberbiotec a donc pris des mesures pour réussir son introduction sur les marchés les plus exigeants. Aux États-Unis, ce produit débutera une phase d’évaluation clinique après la signature d’un accord entre la société cubaine Heber Biotec et la société américaine Mercurio Biotec. Le Heberprot-P a été inclus dans le programme national de prise en charge il y a dix ans et plus de 70 000 patients cubains ont été traités avec ce médicament, ce qui représente une réduction de plus de 75% des cas d’amputation si le produit n’avait pas existé.

Le vaccin CIMAvax-EGF, utilisé pour le traitement du cancer du poumon, est l’un des produits les plus performants et l’un des leaders de la coopération scientifique entre Cuba et les États-Unis.

Le vaccin CIMAvax EGF, premier vaccin thérapeutique contre le cancer du poumon avancé. Photo fichier CD.

Le Dr Kalet León, directeur adjoint de la recherche et du développement de la CIM, a souligné, dans une interview accordée à Cubadebate, que la nouveauté de ce vaccin qui ne guérit pas le cancer est d’améliorer l’état clinique des patients et leur qualité de vie. « Il s’agit du premier vaccin thérapeutique de ce type contre le cancer du poumon avancé ayant validé son essai clinique en 2011 et dont l’application est déjà étendue avec des résultats encourageants en prolongeant la survie des patients. » Selon cet expert, l’utilisation du vaccin a effectivement prolongé la vie des patients chez qui le diagnostic d’espérance de vie avait été diagnostiqué de six mois à cinq ans. « Le cancer du poumon est une maladie dans laquelle la probabilité de survie des patients diagnostiqués à un stade avancé est très faible », a-t-il déclaré. « Le vaccin cherche donc à mobiliser le système immunitaire afin que ses composants luttent contre les cellules cancéreuses qui grandissent à l’intérieur du corps. » Pour le Dr León, le concept de ce médicament est nouveau dans le traitement du cancer. « Une étude clinique en Europe et une autre aux États-Unis avec le Roswell Park Cancer Institute sont en cours. L’année dernière, la phase 1 a montré que les patients américains reproduisaient les données relevées à Cuba et la phase 2 a été lancée. Ce médicament est l’un des produits phare de la joint-venture créée à Mariel avec les États-Unis. »

Autres réalisations cubaines dans le traitement du cancer

Centre d’Immunologie Moléculaire. Photo Analeida Puerto / Cubadebat.

Le cancer est la principale cause de décès à Cuba. C’est peut-être pour cette raison qu’ont été si importants pendant des années, les travaux du CIM consacrés à la création de nouveaux traitements pour le cancer et d’autres maladies chroniques non transmissibles, « Parce que, selon le Dr Agustín Lage, la biotechnologie est essentielle pour faire en sorte que le cancer cesse d’être une maladie mortelle pour devenir une maladie chronique. »

Selon le Pr Rolando Pérez, 15 des 20 produits innovants de la biotechnologie cubaine sont axés sur le cancer et les maladies du système nerveux central. Ce résultat met en lumière le travail du CIM. 

Fondé en 1994, ce centre était considéré dès le départ par Fidel comme une promesse de santé pour la population et une source de revenu pour l’économie. Son grand mérite fut de faire sienne dès 1980 la découverte scientifique prouvant que la technologie permettait de produire des anticorps monoclonaux comme cela avait été décrit dans le monde en 1975, explique le Dr Kalet León. « Cette découverte originale et novatrice, ajoute-t-il, a attiré l’attention des dirigeants du pays et Fidel s’est rendu à l’Institut d’oncologie. C’est ainsi que l’idée de créer un centre de recherche et de production capable de développer ce type de molécule est devenue l’une des plus importantes du point de vue thérapeutique. »

Ainsi, l’institut est né avec la technologie des anticorps monoclonaux comme base technologique et, d’autre part, l’immunothérapie du cancer.

La mise au point du processus de production de l’érythropoïétine, un produit utilisé pour améliorer le niveau de vie des patients atteints d’insuffisance rénale chronique, est l’un des premiers progrès de la biotechnologie à Cuba. « La production d’érythropoïétine par BioCubaFarma représente le meilleur rendement du pays ces dernières années car elle a permis aux patients de bénéficier d’une bien meilleure qualité de vie, et Cuba offre une couverture complète à un prix très avantageux pour tous les patients » explique le Dr León.

Concentré dans la ligne d’immunothérapie du cancer, le CIM a produit une ligne de près de 20 médicaments, dont six sont enregistrés.

Le Nimotuzumab. Photo fichier CD.

L’un des plus importants est le CIMAher (Nimotuzumab), un anticorps développé dans les années 90 qui traite les tumeurs avancées de cinq types de cancer dont ceux du cerveau, de la tête et du cou. « Le nimotuzumab est un produit innovant et unique car, s’il existe d’autres produits concernant le même problème, l’avantage de cet anticorps est qu’il est beaucoup moins toxique que les autres », précise le Dr León, ajoutant qu’il est largement utilisé pour traiter les tumeurs très fortes chez les enfants avec un impact positif de rétablissement. Une étude clinique de phase 3 conduite récemment en Inde auprès de plus de 500 patients a d’ailleurs confirmé l’efficacité de ce produit dans les tumeurs de la tête et du cou.

Toujours concernant le cancer, le vaccin thérapeutique HeberSavax contre les hépatocarcinomes et les tumeurs gynécologiques mis au point par le CIGB est en cours de phase 2 d’essais cliniques. Les premiers résultats sont très prometteurs et le vaccin pourrait être intégré dans un délai relativement bref dans la pratique médicale.

Biotechnologie pour les troubles cérébraux

Un produit très prometteur est actuellement testé par le CIGB, avec des données cliniques très importantes dans le traitement de l’ischémie cérébrale. Selon le Pr Rolando Pérez, un essai clinique impliquant des hôpitaux de tout le pays est planifié en vue de l’enregistrement éventuel du produit au niveau national. « Les patients présentant un infarctus cérébral ont un risque de décès élevé au cours de la première année. Avec ce médicament, les patients traités connaissent une rémission et un rétablissement complet » a déclaré le Pr Pérez.

Développé par le CIM, le Neuroepo est un autre produit innovant. Ce médicament, qui est un dérivé injectable de l’érythropoïétine humaine recombinante, s’est avéré avoir un effet neuroprotecteur. Il est en phase d’essai clinique dans le traitement de la maladie d’Alzheimer et d’autres maladies neurodégénératives.

Les vaccins

Comme l’explique le Dr Luis Herrera à Cubadebate, l’une des réalisations les plus importantes de la biotechnologie cubaine concerne la production de vaccins. « Le CIGB a mis au point un vaccin recombinant contre l’hépatite B en 1990 et a pratiquement réussi à faire disparaître cette maladie à Cuba » a déclaré l’expert.

Pour sa part, le Pr Rolando Perez a souligné qu’en réponse à une épidémie de méningite à méningocoque B qui a sévi à Cuba dans les années 1980 et qui a causé de nombreux décès (y compris des enfants), le vaccin VA-MENGOC-BC a été mis au point par l’Instituto Finlay. L’épidémie a ainsi pu être stoppée et, lorsqu’il a été commercialisé pour un problème similaire au Brésil, le vaccin a permis de faire rentrer plus de 300 millions de dollars dans le pays. « Il s’agit du premier produit ayant un impact social aussi important sur la santé du peuple cubain et sur les exportations du secteur », a déclaré le professeur.

Le Pentavalent est un autre vaccin à avoir eu un impact sur le système de santé publique à Cuba. Il protège en une seule dose contre des maladies telles que la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, l’hépatite B et la grippe de type B.

« Ce vaccin était très important car il a énormément contribué à l’élaboration d’une couverture universelle de cet ensemble d’antigènes. Le VA-MENGOC-BC est ajouté aux 5 composants en tant que vaccin séparé. Ce produit était un exemple de coopération puisque le Biocen, l’Instituto Finlay, l’Université de La Havane et le CIGB y ont participé », a déclaré le Dr Herrera. L’enregistrement du vaccin contre le pneumocoque (qui produit la pneumonie et la méningite à pneumocoques) est attendu en 2019 après la fin de l’essai clinique au niveau du pays.

Biotechnologie agricole

Les réalisations de la biotechnologie ne sont pas seulement palpables pour la santé du peuple cubain, mais aussi pour un autre des principaux secteurs de l’économie et de l’alimentation : l’agriculture et l’élevage.

« Le travail avec le ministère de l’Agriculture a fait un bond en avant ces dernières années car nous avons compris que nous pouvions appliquer certaines technologies déjà développées pour traiter les maladies des plantes et du bétail et nous travaillons ensemble à renforcer le système de surveillance épidémiologique dans l’agriculture », a expliqué le Pr Rolando Pérez. À cet égard, il a précisé que les milieux de culture pour le diagnostic microbiologique produits par le Centre national de biopréparations (Biocen) sont utilisés en agriculture pour la détection de microorganismes pathogènes.

Ainsi, parmi les principaux vaccins vétérinaires, il en existe un contre la tique et un autre contre le choléra porcin. Ce dernier est nouveau, car il réduit la transmission verticale de la mère à l’enfant.

Pour l’alimentation du bétail, Le Pr Pérez a déclaré que les travaux en cours portaient sur des semences améliorées par la technologie de l’ADN recombinant et qu’il existe déjà des variétés de maïs et de soja réalisées à Cuba grâce à de telles techniques de génie génétique.

Lorsqu’on lui a demandé comment Cuba était devenue une puissance mondiale de la biotechnologie, le professeur a répondu qu’il s’agissait d’une combinaison de plusieurs facteurs. Il y avait d’abord la vision claire de Fidel concernant l’avenir du secteur dès le début des années 1980 et la volonté d’investir dans la biotechnologie à un moment où cela aurait pu sembler un luxe. Puis il y eut l’approche à cycle fermé de la recherche, de la production et du marketing et, surtout, la présence d’un précieux capital humain. Tout cela a permis de consolider un secteur qui a aujourd’hui un impact sur les aspirations sociales et économiques du pays.