Omara Portuondo : “A Cuba, Michel Legrand est une légende !”

Partager cet article facebook linkedin email

La diva cubaine du Buena Vista Social Club est en forme. A 83 ans, Omara Portuondo assure encore des concerts en France. L’occasion d’évoquer ses chansons fétiches.

Elle honore son rendez-vous dans un confortable ensemble sportswear de molleton rose tendre, avec bandeau assorti : pimpante, espiègle et charmeuse, la diva cubaine porte à merveille ses 83 ans. Omara Portuondo en avait 15 quand elle monta sur la scène du Tropicana, le cabaret à ciel ouvert de la Havane, presque 30 quand elle débuta sa carrière en solo et 66 quand Ry Cooder l’invita à rejoindre le Buena Vista Social Club.

Seule femme du célèbre collectif cubain, la reine du filin et du sentimiento a survécu à ses vieux comparses (Compay Segundo, Ruben Gonzales…). Elle continue de perpétuer l’excellence du son traditionnel avec les rares anciens encore en vie tels que le guitariste Eliades Ochoa ou le trompettiste Guajiro Mirabal, mais aussi accompagnée par de jeunes virtuoses comme Roberto Fonseca. Retour en chansons sur une vie bien remplie.

La chanson de mon enfance

Veinte Anos, de Maria Teresa Vera
Récemment, la jeune Laritza Bacallau, fille d’Ernesto, de l’Orquesta Aragon, m’a invitée à chanter cette habanera en duo avec elle. J’étais très émue car c’est la première chanson que m’a apprise mon père : j’avais 4 ans et j’étais déjà naturellement attirée par les voix de femmes. Il faut dire qu’il n’y en avait pas tant que ça, des grandes chanteuses, à l’époque. C’était, comme Maria Teresa Vera, des song writers à part entière, des femmes de caractère et des voix singulières. Maria Teresa avait son émission à la radio, je ne la ratais jamais. A l’époque, la radio cubaine était la meilleure de toute l’Amérique latine.

La musique de mes débuts sur scène

El maniceiro, par Rita Montanez
Comme Maria Teresa Vera, Rita Montanez était une grande chanteuse des années 20. J’adorais sa version de la chanson de Moises Simon, c’est elle qui l’a rendue célèbre. J’ai commencé ma carrière en reprenant ses standards ou ceux de Ernesto Lecuona. Rita avait commencé la sienne de la même façon, en chantant les classiques… Elle n’était pas noire, elle était métisse et venait d’un milieu aisé, mais s’est toujours consacrée aux musiques populaires. Elle a été la première Cubaine à se produire à l’étranger, comme à Paris en 1928, sur la scène du Bal Nègre à Montparnasse.

La musique de mes années en quartet

Cuarteto d’Aida
Le Cuarteto d’Aida, un quartet féminin que nous avons formé en 1952, a représenté quinze ans de ma vie. Nous étions quatre chanteuses, dont ma sœur, Haydée, et nous avons interprété tous les grands standards cubains des années 20, tel Ya no me quieres, composé par la Mexicaine Maria Grever, ou les chansons de Adolfo Guzman, grand compositeur cubain. Les tubes les plus guincheurs du moment faisaient également partie de notre répertoire et nous avons fait plusieurs tournées aux Etats-Unis.

La chanson qui me plonge dans l’âge d’or des années 50

Guantanamera, par Joseito Fernandez
C’est peut-être la chanson cubaine la plus reprise de tous les temps et, pourtant, personne ne sait vraiment qui l’a écrite. C’est une guajira, une chanson lente originaire de la région de Guantanamo et typique du répertoire des troubadours qui sillonnaient la campagne en diffusant les nouvelles. Elle laisse d’ailleurs une large part à l’improvisation. Quand c’est Joseito Fernandez qui la chante, ça me rappelle quand je l’écoutais à la radio : il était une sorte de griot, qui racontait les informations, transmettait messages et dédicaces. Chaque jour, il reprenait le refrain de Guantanamera et changeait les couplets.

La musique qui inspira mon filin

Quisas, quisas, par Nat King Cole
Nat King Cole venait régulièrement se produire à Cuba et j’ai eu la chance de chanter avec lui au Tropicana : passionné par notre île, il était déjà une star, mais tellement humble… De façon générale, le jazz américain a beaucoup apporté à la musique cubaine. A l’époque, le jazz était ce que le rock est devenu plus tard : une façon de se rebeller. C’est sous son influence que tous les grands orchestres du moment ont introduit la percussion. Et puis il y avait Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Billie Holliday… je les aimais toutes ! Je chantais le boléro en m’inspirant de leur façon de chanter, c’est comme ça que le filin est né.

La chanson qui symbolise la France

Les Parapluies de Cherbourg, de Michel Legrand
Mon rêve a longtemps été de la chanter au côté de Michel Legrand. J’ai été stupéfaite de voir qu’en France, les jeunes ne connaissaient pas tous cet immense compositeur. Chez nous, Michel Legrand est une légende ! Une revue musicale adaptée des Parapluies de Cherbourg joue d’ailleurs en ce moment au Tropicana, à la Havane. C’est sur cette même scène que j’ai moi-même chanté Les Parapluies à la fin des années 60. Mais ce n’était pas la première fois : déjà, au sein du quartet d’Aida, chacune de nous l’avait adaptée à sa sauce.

La chanson qui m’a marquée à vie

La Vie en rose, par Edith Piaf
J’ai eu la chance de la voir chanter sur la scène du Tropicana. A cette époque, j’étais danseuse au cabaret le Sans-Souci et je n’avais jamais entendu parler de cette Edith Piaf. Elle a déboulé, toute petite, impressionnante, laissant tout le monde sous le choc. J’aimerais beaucoup reprendre l’une de ses chansons, La Vie en rose ou L’Hymne à l’amour, avec Roberto Fonseca.

La chanson qui parle de mes racines noires

Oguere, de Gilberto Valdès
C’est une maman qui essaie d’endormir son enfant pendant qu’elle fait de la couture… Avec cette berceuse, Gilberto Valdès, qui a composé la chanson, s’est calqué sur la façon dont parlaient autrefois les esclaves noirs. Oguere figurait déjà sur mon premier disque en solo, Magia Negra, et symbolise pour moi la musique africaine, qui m’a accompagnée toute ma vie.

La musique que j’ai chantée en opérette

Cecilia Valdès, par Alina Sanchez
La musique lyrique a été une autre influence très importante. Cecilia Valdès est le nom d’un roman populaire de la fin du XIXe siècle qui a été adapté en zarzuela, l’équivalent hispanique de l’opérette. L’interprétation que je préfère est celle de la soprano Barbara Llanès, actuellement soliste à l’Opéra national de Cuba.

La chanson dont j’ai été la muse

Y tal ves, par Omara Portuondo et Maria Bethania
Cette chanson, c’est Juan Formell qui l’a écrite pour moi en 1981, à une époque où son groupe Los Van Van explosait sur la scène internationale. La version son que l’on a jouée lui et moi ne lui a pas plu, alors, on ne l’a jamais enregistrée ensemble. Mais je l’ai chantée avec d’autres. J’aime particulièrement ce duo avec Maria Bethânia, d’abord parce que je suis une grande fan de musique brésilienne, mais aussi parce que Maria a su mettre en valeur cette chanson qui m’est très chère : elle a d’ailleurs toujours beaucoup dansé en la chantant.

En 2010, Omara Portuondo faisait escale à Paris et chantait pour les internautes de Télérama Dos Gardenias.
Petit concert impromptu dans un jardin printanier.