Une époque de fondation

Partager cet article facebook linkedin email

La naissance de l’ICAIC (L’Institut cubain des arts et de l’industrie cinématographiques), le 24 mars 1959, a répondu à bien des attentes et a contribué, symboliquement, à définir l’orientation que prendrait la politique culturelle révolutionnaire.
Un article de Graziella Pogolotti paru dans Cubadebate.
Traduction :Christine Druel


Affiches de films cubains

La Révolution est arrivée au pouvoir, avec un immense soutien populaire, libre de tout engagement qui puisse la lier aux injustices de la politique du passé. Elle n’en avait qu’avec le peuple et avec une histoire d’indépendance mutilée, faite d’injustice et de déception d’un projet limité à une lutte contre l’emprise coloniale qui s’est prolongée pendant le XXème siècle, au cours duquel s’est construit un imaginaire propice aux rêves et aux espoirs.

Quand on arrive aux 60 ans de cette victoire et que l’on regarde en arrière pour évaluer le parcours semé d’embûches, le point de départ apparait comme une période de formation. La naissance de l’ICAIC, le 24 mars 1959, a répondu à bien des attentes et a contribué, symboliquement, à définir l’orientation que prendrait la politique culturelle révolutionnaire.

Les premières salles de cinéma s’étaient ouvertes pour nous presque immédiatement après l’apparition de cette nouvelle invention. Perçue à travers l’œil de la caméra, l’apparente représentation de la réalité ouvrait les fenêtres sur un Univers de rêve.

Au début, l’image mythique de ses jours importants venait d’Europe. Ensuite, avec la Première Guerre Mondiale, son centre émetteur s’est déplacé vers Hollywood et a très vite séduit une immense majorité. Quand le cinéma parlant a détrôné le muet une catégorie de spectateurs plus aptes à suivre le cours de la narration en espagnol est apparue.

La distribution commerciale a, alors, servi de base a une production venant de Mexico sur fond de corrido et avec le profil machiste de certains de ses personnages les plus connus, ainsi que d’Argentine, à la suite du succès du tango. C’était, sans aucun doute, l’expression artistique qui par sa portée sa capacité novatrice et communicative définissait de façon décisive la culture du XXème siècle.

Nous les Cubains nous appartenions à cette partie de l’humanité condamnée, par manque de soutien industriel et par notre dépendance à la condition de simples destinataires d’histoires racontées ailleurs. Les écrans montraient un vaste univers, étranger, pour l’essentiel. Nous avions besoin de nous retrouver dans notre voix, nos images, notre harmonie et nos conflits.

La génération née dans les années 30 était peuplée de cinéphiles et de candidats au métier de cinéaste. Les cinéclubs sont apparus et le cinéma a investi l’université d’été de la Havane. Le thème invitait à l’étude et à la formulation d’une pensée théorique. Dans l’attente de pouvoir se réaliser, les deux se sont progressivement développés au cours des années 50.

La révolution a apporté les moyens nécessaires. Il fallait une production rapide et efficace. Seul Tomás Gutiérrez Alea y Julio García Espinosa avaient suivi un apprentissage à Rome. Les nouveaux cinéastes, réalisateurs, chargés de la photographie, ingénieurs du son, producteurs et toute l’équipe cachée derrière le résultat final, se sont formés dans la foulée, à travers la réalisation de documentaires et de longs métrages de fiction.

Un intense débat intellectuel s’est aussi développé progressivement, nourri par l’échange entre théorie et pratique, l’analyse des tendances qui dominaient la contemporanéité, par la relation entre les nouveaux langages et la création artistique, et par les défis qu’imposait un processus décolonisateur.

Ils ont étudié des secteurs peu explorés de notre réalité, ils se sont attaqués à la construction d’un récit historique, ils ont posé d’un point de vue critique les problèmes, qui compromettaient le développement d’un projet socialiste. En outre, ils ont élaboré une pensée originale au sujet de la relation entre l’œuvre et son destinataire, considéré comme acteur dans une dialectique de création et jamais comme consommateur passif d’un message didactique et abrutissant. Ils ont refusé de sous-estimer ceux qui, potentiellement critiques, occupaient un fauteuil dans une salle obscure ou qui se formaient dans des régions lointaines sans électricité où ce spectacle arrivait pour la première fois.

Essentiellement engagés dans les idées de la Révolution, ils se sont interrogés sur le dialogue entre culture et société dans le but d’orienter les recherches dans la même direction sans recourir à des moyens simplistes, sans se soustraire aux défis de la complexité et sans nuire à la qualité artistique.

Le soixantième anniversaire de l’ICAIC coïncide avec le centenaire de la naissance de Santiago Alvárez, innovateur des expressions communicationnelles de l’information et du documentaire. Dans le premier cas nous étions habitués à recevoir une information ennuyeuse, un résumé anodin de la succession des évènements.
Santiago a proposé aux spectateurs une approche engagée et critique de la réalité, avec le recours au montage et à une démarche ménageant un contraste entre image et son. L’outil artistique de la contemporanéité s’est mis au service de la détermination à sortir le spectateur de la somnolence, de stimuler son intelligence et sa sensibilité et l’amener à découvrir par lui-même le contexte qui se cache derrière les évènements les plus significatifs du moment. L’aventure de la connaissance est fondée sur le plaisir du travail fait avec rigueur et sans concession.

Le cinéma cubain s’est lancé dans l’étude de l’architecture complexe de l’Île. L’Amérique latine entendue comme grande patrie, a été son référent immédiat. Il a établi un lien organique avec les cinéastes qui émergeaient dans notre secteur élargi. Avec ces principes il a participé à la formation d’un public qui, encore aujourd’hui, six décennies plus tard, fait pencher sa préférence pour l’œuvre de nos créateurs.


http://www.cubadebate.cu/opinion/2019/03/24/tiempos-de-fundacion/#.XKn8qZgzaM8