François-Michel Lambert « Seule une réponse commune de l’UE bloquera l’offensive américaine »

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Cuba. Le président du groupe d’amitié France-Cuba à l’Assemblée nationale, François-Michel Lambert, alerte quant aux conséquences de l’activation du titre III de la loi Helms-Burton. L’universalisation des sanctions contre Cuba s’apparente à la plus grande guerre économique de l’histoire, selon le député.

Entretien pour le quotidien l’Humanité.

Le président Donald Trump a donné son feu vert à l’activation, le 2 mai, du titre III de la loi Helms-Burton. Cette clause autorise des Cubains exilés, ou nationalisés états-uniens depuis, à saisir les tribunaux des États-Unis en vue de récupérer des biens fonciers dont ils estiment avoir été privés au lendemain de la révolution cubaine de 1959. Les entreprises étrangères sont également concernées par cette offensive économique, dont l’objectif est d’asphyxier La Havane.

Quels vont être les impacts de l’activation du titre III de la loi Helms-Burton sur l’économie cubaine ?

François-Michel Lambert En raison de ma double nationalité, je me sens lié au peuple de Cuba. Ses 11 millions d’habitants sont plus que des otages. Ce sont des victimes physiques et psychologiques de cette guerre commerciale. Le titre III va renforcer le blocus. Cela veut dire ne plus avoir accès à des ressources vivrières, et parfois vitales, comme dans le domaine de la santé. L’accès à des matériaux productifs sera extrêmement restreint. Les États-Unis espèrent un soulèvement des Cubains contre les autorités. Ils feraient bien de se méfier : on le voit au Venezuela, malgré des années de pression, cela n’a pas eu l’effet escompté.

Vous avez déclaré que les conséquences de cette décision s’apparenteraient à « la plus grande guerre économique de l’histoire de notre humanité ». Sur quoi se fonde votre affirmation ?

François-Michel Lambert L’administration américaine, sous le pilotage du président Donald Trump, joue au capitalisme de type Far West. Il n’y a pas de règle, à part survivre. L’utilisation d’outils comme les lois extraterritoriales vise à détruire des entreprises, essentiellement européennes, pour prendre leur place. Des règles de partage et d’acceptation communes du jeu économiquevont voler en éclats. Les entreprises françaises et européennes ont déjà dû s’acquitter de plusieurs dizaines de milliards d’euros d’amendes avant même l’activation du titre III. Désormais, nous parlons de plusieurs centaines de milliards d’euros de risques cumulés pour les entreprises et l’économie européenne car la loi Helms-Burton, qui date de 1996, va prendre toute sa puissance. Derrière les milliards d’euros d’amendes possibles, ce sont des centaines de milliers d’emplois qui peuvent disparaître. Nous sommes face à une culture de la domination par la force.

Concrètement, comment cela pourrait se traduire pour les entreprises françaises ?

François-Michel Lambert Il peut y avoir des actions très ciblées contre des entreprises telles que Pernod-Ricard. En coopération avec Cuba, elle détient la marque Havana Club. Elle utilise du foncier et des outils sur lesquels le titre III peut agir. L’objectif de cette clause n’est pas tant de permettre aux plaignants de récupérer les outils productifs que d’obtenir des dédommagements avec intérêts sur les soixante dernières années. Je laisse à chacun le soin d’imaginer les sommes que cela pourrait représenter. Si Pernod-Ricard n’acquitte pas ces dédommagements, il sera interdit de marché américain. Il faut mesurer la portée de cette interdiction pour le deuxième groupe mondial de spiritueux et de champagne qui, comme par hasard, est attaqué par un fonds vautour américain depuis deux mois. D’autres entreprises, notamment espagnoles, qui utilisent du foncier dans le secteur du tourisme, sont également concernées. Des grands groupes économiques auront alors à arbitrer entre leurs biens touristiques aux États-Unis ou à Cuba.

Aucun président des États-Unis n’avait jusqu’alors activé le titre III. Faut-il resituer cette décision dans le cadre de la guerre économique qu’entend livrer Washington à la Russie et à la Chine ?

François-Michel Lambert La guerre n’est pas liée à la Chine et à la Russie. Les États-Unis veulent écraser l’Europe. La faiblesse de l’Union européenne (UE), la dispersion des politiques nationales en lieu et place d’une politique commune unique, est une formidable opportunité pour mettre la main sur cet espace qui pèse 25 % du PIB mondial. Je le redis : douter de cette ambition, c’est déjà mettre un genou à terre.

Que peut faire l’Union européenne pour contrer cette guerre économique ?

François-Michel Lambert Il faut se protéger et proposer un autre modèle de commerce. Le député Raphaël Gauvain (LaREM) va rendre un rapport intitulé « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». Il s’agit d’unbouclier qui reprend une loi de 1968 de protection qui n’a jamais été vraiment mise en œuvre. Cette législation doit être reprise au niveau européen. Le rapport contient également une réponse au « Cloud Act » de mars 2018 (cette loi permet aux agences de renseignement américaines d’obtenir des informations des entreprises stockées sur les serveurs des opérateurs de télécoms et des fournisseurs de services de Cloud computing – NDLR). L’objectif est de puiser dans ces données pour trouver des éléments qui alimenteraient une action en justice. Par ailleurs, j’ai proposé à mes collègues, ainsi qu’au député rapporteur Raphaël Gauvain, la tenue d’un colloque à l’automne à l’Assemblée nationale avec des parlementaires européens, des représentants de la Commission européenne et de nouveaux eurodéputés. Seule une réponse uniforme, commune, permettra de bloquer l’offensive américaine.

François-Michel Lambert

Président du groupe d’amitié France-Cuba de l’Assemblée nationale

Entretien réalisé par Cathy Dos Santos