Huiles et encres. Les premiers visiteurs et recteurs de l’Académie

Lettres de Cuba

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Dans les différents circuits artistiques du pays, l’immersion française a laissé l’empreinte du développement et de la modernisation. Les arts plastiques ont été spécialement ébranlés à l’aube du XIXe siècle. Des manifestations telles que la peinture et la gravure ont été favorisées, premièrement avec l’ouverture d’une académie et, deuxièmement, avec la création d’environ dix-huit presses d’imprimerie et de lithographie à La Havane, lesquelles ont impulsé l’enseignement, la création et la diffusion d’un savoir-faire qui avait été mésestimé jusqu’alors.

Il est essentiel de connaître la mentalité de l’époque et de ses circonstances pour comprendre l’ampleur qu’a atteint la peinture française durant cette période. La peinture, qui n’oublie pas les passionnants dessins navals du gascon Dominique Serres (1722-1793) quand il a interprété fidèlement le visage de La Havane quand la ville a été prise par les anglais. Commence alors, à partir de la plastique, une sorte de lien affectif entre deux cultures qui, quand elles se sont découvertes, ne se sont jamais séparées. Dominique Serres n’a pas été une étincelle au XVIIIe siècle, il a été le souffle qui a prédit et a ouvert les portes à une nouvelle aurore.

Et c’est ainsi qu’est arrivé Jean Baptiste Vermay, recommandé par Goya, se convertissant, avec la direction de l’Académie, en notre premier guide officiel. Il sera un maître constant, inculquant jusqu’à sa mort la poétique davidienne chez les jeunes générations.

Dans la vaste histoire du notable peintre, on souligne, avant son arrivée sur le sol américain, l’honorable poste de professeur de la fille de Joséphine de Beauharnais, la première épouse de Napoléon Ier. Ce dernier lui a accordé une médaille en 1808 pour sa peinture, « Mary Stuart, reine d’Écosse, recevant la peine de mort ratifiée par le Parlement ». Certaines de ses premières œuvres, dont l’historiographie a seulement été en mesure de sauvegarder son nom sont « La naissance d’Henri IV », « Gabrielle de Vergy », « Pierre Fourey est acquitté de l’accusation qui pèse sur lui », « La découverte du Droit Romain », « Diane de Poitiers et Marguerite de Navarre recevant Clément Marot » ou « La Reine Isabelle ». Toutes ces pièces de thèmes historiques, présentées dans les salons d’art entre 1812 et 1814, montrent le lien étroit de Vermay avec les représentants de la couronne.

Le peintre a apporté jusqu’à Cuba le raffinement et le « bon goût » du milieu des courtisans. Dans son « Portrait de l’homme » (1819), l’artiste tente de rompre avec le regard frontal du sujet représenté, plaçant sa vision en dehors des cadres de la toile. La palette obscure fait des lignes imperceptibles qui transmettent au récepteur une sobriété presque étouffante. La position croisée des mains soutenant un livre suggère la distinction et la personnalité de l’individu.

Le « Portrait de la famille Manrique de Lara » possède le même thème, un échantillon de la fusion des éléments propres de la culture française avec des motifs typiques de l’île tropicale. Ainsi, les vêtements exquis et l’ensemble coûteux de la vaisselle de cette illustre famille contrastent avec le perroquet exotique qu’exhibe l’homme sur sa main droite. En plus de l’idéalisation des personnages, l’auteur parvient à capturer une réalité qui attire de plus en plus sa sensibilité.

Des témoignages du contexte se soulignent également dans ses trois œuvres destinées au Templete, à la demande du gouverneur général de l’île de l’époque, Don Francisco Dionisio Vives et budgétisé par l’évêque Espada. « La première messe » et « Le premier Cabildo » datent de 1826, alors que « l’inauguration du Templete » est de 1828. La fresque initiale montre le frère Bartolomé de Las Casas officiant la cérémonie inaugurale à côté de l’historique ceiba. Vermay recréé également l’entourage possible du prêtre et des soldats espagnols qui ont assisté à la cérémonie.

Pour la deuxième peinture, l’intérêt de l’artiste pour refléter mimétiquement cet événement l’a conduit à se documenter dans les Archives des Indes de Séville, selon une déclaration de l’éminent peintre Esteban Valderrama dans le livre La pintura y la escultura en Cuba…, ce qui implique que cette œuvre est plus fidèle que la fresque précédente. Enfin, dans le troisième, il a décri d’une manière approfondie la messe offerte par Espada en commémoration de la première de ce type réalisée à Cuba. Derrière les figures statiques se trouve, en toile de fond, une maison rustique flanquée par les palmiers royaux d’origine. Le créateur a personnalisé chacun des participants, y compris lui, dans le grand groupe des personnalités illustres de l’époque.

Pour son travail laborieux, Vermay a reçu d’importants honneurs lesquels nous soulignerons la nomination de Peintre de la chambre royale par Ferdinand VII et Membre Émérite par la Société Patriotique de La Havane. En arrivant sur les côtes cubaines il ne se serait jamais imaginé traducteur, avec Zárraga del Hernani, de Victor Hugo ou écrivain de poèmes en castillan. La vérité est que même le poète de Niagara, avec lequel il possédait une grande amitié, lui consacrerait ces quelques vers poignants à sa mort :

Vermay repose ici : le feu pur

De l’enthousiasme éclaire son front :

Une âme était franche et ardente,

De l’artiste le cœur et la tendresse.

Il était peintre : semé sur notre sol

Il a laissé de son art le puissant germe

Et dans chaque poitrine douce et généreuse

Amour profond, embarras et chagrin. (1)

Note :

1- Jorge Rigol. La Academia. Juan Bautista Vermay . Dans : Apuntes sobre la pintura y el grabado en Cuba. De los orígenes a 1927. Maison d’édition Letras Cubanas. La Havane, 1982, p. 102.

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