AFFAIRE DES « 5 CUBAINS » : « ON NE PEUT QUE DONNER RAISON À CASTRO »

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Dans l’écrin d’un thriller d’espionnage, le cinéaste Olivier Assayas signe un film autour des « Cuban Five », ces « exilés » à Miami condamnés pour espionnage dans les années 1990. Et met en lumière le rôle sordide du FBI.

Déjà dans « Carlos », Olivier Assayas avait montré une facette jusqu’alors inconnue de son talent en suivant le parcours du terroriste vénézuélien. Si « Cuban Network » se rapproche de cette précédente œuvre, il tient davantage du film d’espionnage, à travers le destin d’une partie des « Cuban Five ». Rencontre.

Cette histoire est une sorte de prolongement de la guerre froide. D’ailleurs, le livre de Fernando Morais qui a un peu été mon point de départ s’appelle « les Derniers Soldats de la guerre froide ». Aujourd’hui, la situation entre Cuba et la Floride a une dimension d’absurdité. Les Cubains de l’exil tiennent la Floride, l’un des États clés du fonctionnement politique des États-Unis. C’est un Swing State (État au vote indécis qui peut faire basculer l’élection présidentielle – NDLR). Et que l’on soit de gauche, de droite, démocrate ou républicain ou ce que vousvoulez, on est obligé d’avoir la bienveillance des Cubains de Miami si on veut avoir une chance d’être élu. Du coup, tout le monde est piégé par cette espèce de guerre fossile.

Le FBI surveille les uns et les autres. Il est évidemment obligé, de par la situation politique de la Floride, d’être extrêmement complaisant vis-à-vis des activités, y compris illégales des groupes cubains. Il essaie d’éviter les incidents diplomatiques, parce que c’est mauvais pour tout le monde, avec des hommes infiltrés, de façon à être avertis et à pouvoir interrompre les opérations terroristes. Mais, quand il arrête les mercenaires, les terroristes, il les relâche au bout de 24 ou 48 heures. Il n’y a jamais de poursuites judiciaires.

On n’est pas à un paradoxe près. L’ambiguïté et l’ambivalence du discours politique américain font partie de ce qui est intéressant dans cette histoire. Mon point de vue sur le terrorisme a toujours été que c’est la continuation de la diplomatie par d’autres moyens. Beaucoup d’États s’en servent, y compris les États-Unis, quand ça les arrange.

Le hasard et les circonstances ont fait les choses. Nous avons pu, à un moment donné, aller à Cuba, nous poser la question avec l’Icaic (Institut cubain des arts et de l’industrie cinématographiques – NDLR) et une productrice indépendante cubaine pour, éventuellement, tourner ce film à Cuba. Dans un premier temps, la réponse a été non. Mais nous avons pu échanger. Par la suite, le processus un peu long et compliqué est remonté jusqu’au plus haut niveau de l’État. Cuba est revenue vers nous et a dit oui. Tout cela était contemporain d’une fenêtre où il y avait un sentiment d’assouplissement des relations entre les États-Unis et Cuba. Cela n’a pas duré longtemps. Certains n’étaient pas très solidaires de notre projet. Donc, le tournage est devenu plus tendu, mais nous avons pu continuer dans des conditions d’entière liberté.

Mais quinze jours ou trois semaines après notre départ, les liaisons directes entre les États-Unis et Cuba ont été interrompues. Des choses qu’on n’avait plus vues depuis une vingtaine d’années – c’est-à-dire des coupures d’électricitédans la journée – sont revenues. Aujourd’hui, selon un processus long et tortueux, les Cubains sont contents du film et l’ont présenté au Festival de La Havane devant un public massif. Il y a eu trois projections et 1 400 personnes sont venues, y compris les protagonistes de l’histoire qui, initialement, étaient distants, voire méfiants.

René Gonzalez, le personnage interprété par Edgar Ramirez dans le film, occupe aujourd’hui une place importante dans la société cubaine. Il n’a pas été l’un de nos soutiens les plus fervents. Je pense qu’il redoutait que le film puisse faire du tort à sa carrière politique, que les choses puissent être déformées par quelqu’un qui connaît mal la réalité cubaine, moi en l’occurrence. Mais, au résultat, il est content du film et me l’a fait savoir.

Cuba est un pays où le temps s’est arrêté. Les passions sont identiques. Quand on fait du cinéma, on parle à beaucoup de gens. Une équipe de tournage est comme une sorte de coupe de la société locale. Mais on rencontre aussi beaucoup de comédiens de générations différentes, des vieux, des jeunes, des enfants. Pour la génération post-révolutionnaire qui a vécu les années les plus glorieuses du régime, ces enjeux sont encore incandescents. Et puis, il y a des jeunes qui aimeraient bien que tout se fluidifie.

Par exemple, des jeunes gens de Miami veulent retrouver leur famille à Cuba. Ceux qui vivent à Cuba voudraient pouvoir éventuellement avoir aussi un futur en dehors de l’île. C’est littéralement impossible du fait de la disparité des salaires.Quand on est acteur, il est inimaginable de se transporter où que ce soit ailleurs pour faire son métier avec ce qu’on gagne à Cuba. Mais une chose est certaine. Si les Cubains ne sont pas prêts aujourd’hui à revivre la période spéciale des années 1990, ils n’ont pas non plus envie d’être une colonie américaine et qu’on leur ramène les casinos et la mafia. Ils ont une certaine fierté de leur identité et de leur histoire.

J’ai découvert cet entretien donné à Lucia Newman, la spécialiste du dossier cubain sur CNN. Il résume l’histoire. Ça produit un effet de réel qui saute à la figure. Je m’étais déjà servi de ce procédé dans « Carlos ». Il y a une sorte de réalité parallèle, celle du cinéma qui se construit. Et puis, tout à coup, l’incursion du réel est une manière de réveiller les spectateurs en leur disant : « On n’est pas en train de vous raconter une histoire, ce sont des faits. »

Je ne vous cache pas que je ne suis pas un admirateur de Castro. J’appartiens à une gauche antitotalitaire et patati et patata (sic)… Mais, dans le cas des Cuban Five, il est impossible de ne pas donner raison à Castro et, surtout, de ne pas avoir une forme de compassion vis-à-vis de ces agents qui ont été lourdement punis en luttant contre une forme de terrorisme toléré par les États-Unis. C’est même révoltant.

Cela s’est très bien passé. Nous l’avons notamment montré au Festival du film de New York, dans une très grande salle. La réaction a été extrêmement chaleureuse. Aujourd’hui, Netflix a racheté le film et va le distribuer aux États-Unis. Il va y avoir seulement un certain nombre de semaines de sortie en salles et, après, il sera directement en streaming comme pour le film de Scorsese, celui de Noah Baumbach, « Marriage Story », ou « Roma », l’année dernière. Initialement, personne ne voulait du film, ni Netflix, ni qui que ce soit d’autre. Tout le monde avait la trouille des polémiques qu’il produirait dans la communauté exilée cubaine. Il y a eu d’ailleurs, dans l’indifférence générale, des tweets d’insultes de la part de gens qui n’avaient pas vu et ne voulaient pas voir le film.

Les difficultés qu’on a eues pour le financement du film tenaient aussi au fait qu’on jouait avec le feu. Comme avec « Carlos », je voulais faire un film sur un sujet historique très fort que les Américains ne pourraient jamais faire. Il y a une satisfaction à cette idée, surtout à l’ère Trump. Sur le scénario, Netflix ne nous a pas suivis. C’est seulement après la reconnaissance du film, le soutien de la presse, qu’ils se sont dit, on y va.

Entretien réalisé par Michaël Melinard

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