Aujourd’hui et demain

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Un nouvel article de Graziella Pogolotti, traduit par Christine Druel et mis en forme par Yves Flageul.

Réflexions, analyses, conseils, dont certains pourraient s’appliquer, à la situation dans notre pays.

RG

Aujourd’hui et demain

Un couple porte des masques pour se protéger du coronavirus à Barcelone, en Espagne, le 13 mai 2020. Photo : Reuters.

Il nous faut gravir une pente raide. Le faire, disait José Marti dans son journal de campagne, rapproche les hommes et favorise donc l’apparition et le développement de valeurs solidaires, un des héritages qu’il faudra préserver dans l’après pandémie. Marti a également compris, qu’alors que l’avenir est en germination, dans le présent coexistent les vestiges du passé dans ce que la tradition a de plus précieux et dans la sombre transmission de vices acquis. C’est pourquoi il aspirait à construire la future République au cœur des combats de la forêt.

Soudaine et ravageuse, la pandémie a envahi le monde interdépendant. Dans le bref laps de temps écoulé elle nous laissé des enseignements que nous sommes obligés d’assimiler, parce que pour la première fois l’Humanité toute entière s’est trouvée au bord de l’effondrement. Nous avons observé la nature agressée. Les animaux récupèrent les espaces perdus et l’air devient plus pur. Le changement climatique, accéléré par la prévalence de la notion de progrès matériel au profit de quelques-uns, peut cesser et peut-être perdre un petit degré si la volonté politique des Etats place la sauvegarde de l’espèce avant le désir de profit.

D’autre part, l’euphorie néolibérale a révélé son véritable visage. Dans l’immédiat après-guerre, période de la montée des idées de gauche, les politiques publiques ont favorisé le renforcement des systèmes de santé. Dans certains cas, comme en Grande Bretagne, les travaillistes ont nationalisé la médecine. Avec le temps, on a imposé des critères de rentabilité et conduit à la précarisation des services. La doctrine néolibérale a porté un coup fatal et la privatisation des services s’est amplifiée. Face à la pandémie les hôpitaux se sont effondrés. Aux Etats Unis et dans une grande partie de l’Amérique Latine la situation a pris un tournant plus dramatique. Aujourd’hui nous savons tous que les statistiques officielles ne reflèteront jamais le nombre réel de disparus. Le monde est face à un choix décisif. La crise humanitaire accélère une crise économique de grande ampleur et des conséquences imprévisibles. Les forces répressives préparent un après inquiétant.

Les Etats Unis et le Brésil voient émerger des groupes de nature ouvertement fasciste dont les images de crânes rasés, les tenues vestimentaires symboliques et l’agressivité contre les pouvoirs de l’Etat sont le reflet.

Dans les pays d’Amérique Latine, où face à l’explosion de la pandémie s’était manifesté un véritable soulèvement anti néolibéral, la distanciation sociale a interrompu les manifestations et les gouvernements tournent le dos aux accords passés. En Colombie, base des opérations contre le Venezuela, les assassinats de leaders sociaux et d’anciens guérilleros se poursuivent. Au lendemain de la pandémie les peuples vont se trouver face à de nouveaux défis. Avec le chômage et la paralysie de l’économie parallèle, la pauvreté s’est amplifiée.

Notre perspective est autre. Ce qui nous attend c’est un panorama économique difficile, aggravé par le durcissement du blocus et par la répercussion de la crise internationale. Nous avons, cependant, tiré de la lutte contre la pandémie des enseignements utiles. L’information a circulé avec rapidité, transparence et efficacité. La rigueur des hautes instances gouvernementales s’est affirmée dans le concret du quotidien. La réussite d’une stratégie politique visant à garantir un système de santé universel, gratuit, et totalement structuré, et à encourager le développement de la science au moment où nous sortions tout juste de l’analphabétisme, s’est confirmé.

La recherche scientifique avait révélé des succès en matière de création de produits pharmaceutiques à forte valeur ajoutée. A cette occasion, l’union du savoir et de l’expérience a gagné en notoriété en contribuant à la recherche de solutions dans la sphère publique. La nécessité d’une action interdisciplinaire à laquelle on a intégré les sciences sociales est une évidence pour tous. Dans la transition du maintenant à l’après, leur participation devra être encouragée, à long et moyen terme, afin d’aborder les problèmes qui subsistent dans notre réalité tels que les dites indisciplines sociales de toute nature
. Dans le contexte actuel on a remarqué l’absence de prise de conscience du risque, ce qui soulève de nombreuses questions qui ne trouveront pas de réponses dans une approche impressionniste.

Le concept générique d’« indiscipline sociale » renvoie à un grand éventail de comportements, dont certains sont à la limite du délit, avec le non-respect des règles de vie en société et une conception erronée de l’estime de soi à travers le défi du risque ; d’autres trouvent leurs racines dans des habitudes acquises par des générations influencées par l’habitat et que le changement de logement n’a pas immédiatement permis de surmonter. On ne peut imposer la discipline par le seul exercice de l’autorité. Elle se développe de l’intérieur vers l’extérieur grâce à un ensemencement précoce de convictions liées à la formation citoyenne. Le foyer est la cellule de base de la société. Mise à part une tendance à la protection excessive, les enfants doivent assumer dans la pratique, à la hauteur de leurs possibilités, leurs droits et leur corrélat nécessaire : leurs devoirs. Ce qui se passe à l’école doit s’en rapprocher. Par ailleurs, dans la lutte acharnée pour la survie, nous avons dû retarder la solution à des problèmes urgents dont l’un découle des conditions de logement. La participation conjointe d’urbanistes, d’architectes, de sociologues et de psychologues, en raison de l’interdépendance entre les facteurs objectifs et subjectifs, sera nécessaire pour faire face à ce lourd fardeau. Il faut casser la routine dans la façon de penser, et faire tomber les murs qui séparent les acteurs des différents domaines de la science.

Pour orienter l’après, le pays dispose d’un nombre considérable d’experts dans les différents domaines du savoir. Ce bien constitué mérite d’être utilisé au maximum de son potentiel. Il existe probablement des résultats de recherches à sauvegarder. Je me souviens particulièrement des travaux sur les dérivés de la canne à sucre à haute valeur ajoutée de l’Institut Cubain de Recherches sur les dérivées de la canne à sucre (ICIDCA).

Pour gravir la pente raide, il est urgent de comprendre l’ampleur du défi afin de rassembler les efforts et les volontés et engager les nouvelles générations dans cette tâche commune.

http://www.cubadebate.cu/opinion/2020/05/20/el-ahora-y-el-despues/#.XvOT1igzaM8