Oui, le "saint local" Irán Millán Cuétara, a fait des miracles !

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Publié dans Juventud Rebelde le samedi 13 juin 2020
Par José Luis Estrada Betancourt

En Amérique latine, il n’existe aucune autre ville fondée au XIXème siècle qui ait été déclarée Patrimoine Mondial à part Cienfuegos. Mais la Perle a commencé à étinceler avec force et à être remarquée dans le monde grâce à l’architecte Irán Millán Cuétara, à son équipe de valeur et leur travail constant et plein d’abnégation.
Notre association à l’honneur et le grand plaisir de travailler avec Millán dans plusieurs projets que nous conduisons ensemble...Voir sur notre site les nombreux articles que nous avons consacrés à ceux-ci et le compte-rendu des cérémonies du 200e anniversaire de la ville à laquelle nous avons participé en avril 2019 à la tête d’une très importante délégation

Irán Millán Cuétara détient le Prix National du Patrimoine Culturel pour l’ensemble de son oeuvre.

Il est sans conteste le Directeur du Bureau du Conservateur de la Ville de Cienfuegos mais Irán Millán Cuétara préfère qu’on l’appelle le Conservateur car, insiste-t’il, c’est cela qui a réellement été son travail quotidien, le sujet qui l’a passionné pendant tant d’années. La plus grande surprise pour Juventud Rebelde est de découvrir celui qui, les yeux fermés, peut décrire les éblouissantes couleurs des édifices de la Perle du Sud ? Les plus précieux recoins par où s’infiltre le soleil jusqu’aux tonalités que prend la mer à certaines heures du jour. Il est né à Mariel bien qu’il y ait vécu peu de temps.

Qu’aucun lecteur ne croie qu’après avoir obtenu son diplôme d’architecte, il irait tout de suite dans la Villa Fernandina de Jagua (N.d.T. : Premier nom donné à la ville par ses fondateurs). Rien de tout cela : tout d’abord, il déménagera avec sa famille pour San Cristobal puis ensuite pour Artemisa, recherchant un lycée où sa sœur pourrait étudier jusqu’au moment où vint la nécessité de déménager sur le territoire qui fut fondé le 22 avril 1819 par des colons français menés par Don Luis de Clouet et dont le Centre historique porte avec fierté le titre de Patrimoine Culturel de l’Humanité.
« Après 59, mon père commença à travailler avec le Ministère des Industries, raison pour laquelle il fut envoyé comme superintendant général pour diriger l’usine Inpud : Une des premières grandes œuvres de la période révolutionnaire. Plus tard, il fut nommé Directeur de la construction de la centrale thermo électrique de Cienfuegos. C’est comme cela qu’à l’âge de 14 ans, j’ai atterri dans cette ville magique.

Aujourd’hui chef-lieu de province, Artemisa est le territoire qui m’a le plus marqué dans mon enfance et n’était à cette époque-là qu’un village. La Havane, où nous ne pouvions visiter que sporadiquement, constituait notre seule référence de ville. De sorte que lorsque nous nous trouvâmes à Cienfuegos, il nous semblait que nous avions « atterri » à Paris. La rue San Fernando, de nuit, pleine d’enseignes lumineuses, nous a marqués pour toujours », confesse celui qui depuis le plus jeune âge s’est vu projetant des constructions.

« J’en ai eu la conviction avant de venir habiter à Cienfuegos lorsque j’étais au collège à Artemisa. Avec Leonor, une camarade aujourd’hui disparue, nous avons suivi un cours dirigé de Dessin Technique qui était alors payant. Ensuite, nous nous sommes inscrits à un cercle d’intérêt en arts plastiques parce que nous étions sûrs de notre futur… ».

Pourquoi cette assurance ?
« Ce fut ce que j’ai vu chez nous : mon père comme constructeur civil avec sa petite équipe qui réalisait des projets. D’autre part, comme mon frère aîné, j’avais des facilités pour le dessin, ce qui me motivait. Dès petit, j’ai commencé à lire et à chercher des informations parce cette carrière me passionnait. Une fois installés à Cienfuegos (je vous parle de l’année 1965-1966), nous avons rejoint un cercle d’intérêt en Architecture que nous avons repris au lycée.

Pour moi, ce fut une bénédiction que nous arrivions dans le Quartier Electrique ou des Techniciens, construit par le Micons (N.d.T. : Ministère de la Construction) pour regrouper les architectes diplômés à La Havane qui sont venus accomplir leur service social. Il y avait dix maisons et nous habitions l’une d’elles. Néanmoins, ils m’ont tous donné facilement les informations pour accéder au cercle d’intérêt. Je te dirais que j’ai même aidé à dessiner et faire l’étude des couleurs de la nouvelle pizzeria de Cienfuegos. Ils me laissaient participer pour l’intérêt que je montrais. De certains, j’ai hérité de leur bibliothèque ou leur table d dessin. Je me sentais déjà un architecte avant même d’avoir commencé l’université.

Lorsque nous avons terminé le lycée en 1968, nous fûmes plusieurs à nous inscrire en architecture a la CUJAE (N.d.T. : Cité Universitaire José Antonio Echeverría, aujourd’hui dénommée « Université Technologique de La Havane José Antonio Echeverría ») qui était le seul lieu où l’on pouvait étudier cette spécialité. Nous étions des centaines en première année, si nombreux qu’il était difficile de tous entrer dans cet immeuble de sept étages. Je te parle d’une époque où beaucoup de professeurs avaient quitté le pays tout comme des architectes de renom ce qui obligea, par exemple, de développer le sytème de formation d’enseignants mais dans le même temps, il en est resté qui étaient brillants : Antonio Quintana, Mario Giona, Mario Cyula, Manuel A. Rubio… A travers eux, nous nous sommes nourris du meilleur de l’architecture cubaine d’avant et d’après la Révolution. Beaucoup étaient les auteurs des livres que nous lisions et leurs noms figuraient sur les plaques des édifices que nous admirions. Nous ressentions une grande fierté mais aussi l’engagement qui s’en dégageait.

L’exigence de ces professeurs était énorme parce qu’ils avanient de l’autorité, du prestige, des connaissances ce qui fit que peu d’entre nous purent continuer leur carrière. Il y avait une matière dans laquelle tout se faisait à main levée et celui qui n’y arrivait pas pouvait arrêter ses études. Dans mon cas, je pouvais compter sur une préparation antérieure qui me permit d’en sortir haut la main. Mon talon d’Achille se trouvait dans les matières en relation avec le béton armé, les structures, Calcul I, Calcul II et Calcul III… Une punition, j’en ai bavé… mais j’ai réussi à terminer et à me diplômer après cinq belles années avec beaucoup d’effort.
Pendant que j’étudiais l’architecture, ma fiancée qui était de Cienfuegos, est venue avec moi à La Havane avec l’envie de devenir psychologue. Nous avons dû nous marier sur l’insistance de ma belle-mère, elle n’aimait pas l’idée que nous soyions seuls même lorsque nous venions à Cienfuegos. Les noces eurent lieu le 1er novembre 1972. Au bout d’un peu plus d’un an, mon épouse fut enceinte et notre premier et unique fils est né ».

Après votre diplôme, qu’est-il arrivé ensuite ?
« Une école d’architecture avait été ouverte à Santiago de Cuba et il devenait urgent d’en ouvrir une à Santa Clara. On nous a réunis, ceux qui étions instructeurs. Dans mon cas, j’avais été premier en Perspective environnementale puis en Histoire de l’Architecture, guidé par l’éminent professeur Roberto Segre qui vint d’Argentine pour soutenir la Révolution dans le domaine de l’enseignement. Ils m’ont affecté pour trois ans à l’Université Centrale de Las Villas pour y donner des cours et je travaillais dans l’Entreprise des Projets du Micons (N.d.T. : Ministère de la construction) pour ce qui concernait le logement et l’urbanisme.

Mon épouse avait été diplômée et se trouvait à Cienfuegos avec notre fils. Je ne faisais plus rien à Santa Clara. A mon retour, un ami m’a emmené au Gouvernement (provincial). Les organes du Pouvoir Populaire avaient été créés et ils recherchaient quelqu’un de compétent pour assumer ce que l’on a alors appelé le Contrôle Urbain.Ce furent quatre années très intéressantes au cours desquelles j’ai appris ce qu’était la ville, son patrimoine, comment l’entretenir, les régulations urbaines… ».

UNE PASSION ÉMERGE
De quelle façon entre-vous en contact avec l’univers du patrimoine ?
« Au cours de cette étape que je te raconte, fut également fondée la Commission Provinciale des Monuments et j’en devins membre. C’était l’époque où chaque territoire devait posséder les dix intitutions de base. C’est comme cela que je me suis occupé de patrimoine lorsque j’étais dans la Direction du Contrôle Urbain. A la demande du Parti, j’ai été transféré vers la Direction Provincial de la Culture afin de renforcer cette équipe.

Le naissant Département du Patrimoine comptait trois camarades, j’en étais le quatrième. Nous nous sommes chargés de développer tous les musées de la Province, des projets de restauration et leur montage. Nous avons beaucoup appris, nous avons eu un rythme violent mais l’effort a eu des résultats extraordinaires, cela valait la peine ».

« Je voudrais commencer le sauvetage par un quartier du centre historique » a dit Irán au Président du Gouvernement d’alors. (Photo aimablement remise par l’interviewé).

Avec le temps, certains ont considéré la mise en place des dites institutions culturelles comme une erreur…
« Moi, je la considère comme l’alphabétisation culturelle que nécessitaient les municipalités et le pays. Les Présidents des gouvernements voulaient appliquer la Loi 23 sur les musées municipaux. Néanmoins, dans les territoires, il existait à peine des locaux susceptibles d’accueillir ces institutions. Dès qu’une maison était inhabitée, j’en étais informé immédiatement. Je n’oublierai jamais qu’en arrivant à Abreus ils m’ont demandé que dans cet espace devaient se faire la galerie d’art, la librairie et le musée, que l’orientation était celle-là. Je n’ai pas eu d’autre solution que d’aller parler avec le Président, le camarade Salvador, excellente personne qui est aujourd’hui décédée.
 « Non, non, architecte, les trois doivent rentrer là » a-t-il réagi !
 Mais êtes-vous déjà allé dans un musée ? Savez-vous ce qu’est un musée ? lui ai-je demandé.
 Non, jamais, m’a-t-il répondu. »

Ils voulaient respecter les consignes mais ils n’avaient aucune référence ni expérience sur le sujet. Nous lui avons apporté toute la documentation, nous lui avons expliqué salle par salle et finalement le local a été cédé pour y faire seulement le musée. Ce furent des expériences qui ont rendu possible un apprentissage très important.

Souvenons-nous que nous-mêmes avons refusé la pseudo-république et au début de la Révolution, nous avons pratiquement démoli tous les kiosques de nos parcs car c’était là-bas que les politicards paradaient pour faire des meetings. Mais où allaient ces pauvres gens si ce n’était là-bas ? Lorsqu’on a équipé les musées, nous avons commencé par l’installation de photos anciennes du Paseo del Prado de Abreus et celui du Cumanayagua, des kiosques de Villuendas, de Cienfuegos et de Palmira… La population n’a pas tardé à demander que ces lieux soient utilisés pour les assemblées de circonscription et il a fallu reconstruire les monuments que l’on avait démolis dans les premières années… Le peuple a commencé à s’approprier son histoire, surtout les jeunes…

Je crois que toute cette expérience a rendu possible une alphabétisation culturelle et patrimoniale, tout comme créer une chorale ou une troupe de théâtre. Ce fut énorme, merveilleusement surprenant pour les gens. Tout comme l’on a découvert le cinéma, la télévision dans les zones de montagne : ils assistaient, à travers des images, à la découverte d’une ville qu’ils méconnaissaient…

Peut-être, je dois aussi le dire, tout a été très bousculé dans le sens où le temps nous était compté et tu sais bien que les cubains, nous reportons tout ce qu’il faut faire aux limites du temps donné. Pourtant, il a fallu travailler dur. Ici, par exemple, nous avons fait en sorte que notre Galerie d’Art Universel soit la meilleure du pays. Je me souviens lorsqu’on a vu La Joconde dans une reproduction de qualité. Cela a été un très beau projet car avec les tableaux, nous avons installé le mobilier représentatif du style des œuvres. C’était comme une espèce de musée d’ambiance avec l’objectif de présentation des œuvres d’art…

Nous avons aussi inauguré le Musée de la Clandestinité Soeurs Giralt, dans leur maison natale et dédié aux combattantes de Cienfuegos, ce qui nous a obligés à rechercher, à partager avec des combattantes, frapper à des portes en qu^tes de donations qui empliraient les vitrines et ainsi pouvoir compléter le décor muséographique et muséologique. Il n’y a pas de doute, ce travail m’a énormément aidé. Dans le même temps, j’ai commencé à travailler avec le patrimoine matériel ».

Le Tomas Terry complète la trilogie des théâtres du XIXème siècle à Cuba avec le Sauto de Matanzas et La Caridad de Santa Clara. (Photo aimablement remise par l’interviewé).

Celui qui vous écouterait parler avec cette passion aurait du mal à croire que vous n’êtes pas né à Cienfuegos…
« Pendant toute ma vie j’ai eu la devise selon que nous ne sommes pas d’où l’on naît mais de là où l’on lutte et grandit. De mon poste de travail, toujours sérieux et responsable, j’ai gagné peu à peu un espace et une reconnaissance de ce peuple et des dirigeants du territoire, autant du parti comme du Gouvernement parce qu’ils savent que je tiens parole. Si vous vous engagez, vous devez faire. C’est la plus grande autorité que l’on puisse recevoir.

Bon, ce modeste poste de travail a commencé à croître et le Bureau des Monuments a été créé avec 11 membres, ce qui m’a permis de me mettre au travail directement avec le gouvernement sur le plan de secours du patrimoine. Il faut que je le dise catégoriquement : peu à peu, nous avons été reçus, reconnus et soutenus par les plus hautes autorités, ce qui ne se gagne pas, de fait, en un jour. Il y a des camarades qui me disent : « tu as obtenu ce que je n’ai pas pu obtenir dans ma ville » mais c’est le résultat de la constance, de garder la ligne et de l’accompagnement des autorités.

Je me souviens lorsque j’ai demandé un vote de confiance à José Hernandez, alors Président du Gouvernement. « Je voudrais commencer la restauration par un bloc du centre historique », lui ai-dit. A cette époque, on reconnaissait Cienfuegos à ses étayages : au début des années 90, il y en avait 23 dans cette zone… »

Et durant cette période, tu faisais déjà partie de l’équipe chargée du patrimoine ?
J’y suis arrivé en 1981. Bien sûr, au cours de ces premières années, j’ai consacré beaucoup de temps aux musées. Mais, parallèlement, Daniel Taboada, père de la restauration à Cuba et membres de la Commission des Monuments et qui suivait Cienfuegos, a eu confiance en moi et m’a préparé, éduqué. De sa part, j’ai reçu et continue de recevoir des enseignements permanents…

LE BLOC BÉNI
Et à la fin, ils t’ont confié ce bloc ?
« Oui ! J’ai demandé trois maçons, trois ou quatre peintres… je leur ai demandé « ne venez pas voir avant que j’aie terminé ». Je pouvais compter sur un grand restaurateur, Rajadel, qui travaillait dans l’Entreprise de Maintenance. L’homme était brillant et je l’ai embarqué : « on va le faire » lui dis-je. Il y avait deux étayages dans ce bloc où nous sommes intervenus et le jour où tout fut terminé, nous invitâmes les autorités. Quand le Président du Gouvernement provincial vit le résultat, il me dit : « Irán, dorénavant, nous poursuivrons la restauration du centre historique et je vais t’adjoindre une brigade permanente ». Les gens ne comprenaient pas : « Comment est-ce possible que vous soyez en train de restaurer pendant qu’il manque de tout ? ». Ce fut une période difficile dans le pays mais il ya avait la volonté politique.

Nous étions en pleine période spéciale, les gens pensaient seulement à comment s’alimenter et nous, nous étions complètement engagés à sauver le patrimoine. Fous ! Non ? Mais c’étaient des gens avec une vision à long terme qui se rendit compte que c’était le moment d’accélérer. Car parlons clair : ceux qui travaillons dans ce secteur ne sommes pas seulement des serviteurs publics de ceux qui élaborent les politiques ; nous leur donnons des instruments pour construire de belles politiques, avec des résultats, ce qui nous fait aussi briller. Néanmoins, il nous faut faire en sorte que nos réalisations soient toujours utiles et deviennent les messagers de notre voix, de notre œuvre ».

Comment êtes-vous parvenus à réveiller cet amour du patrimoine chez les habitants de Cienfuegos ?
« Tous les cours de Maîtrise que j’ai suivis à La Havane, je les ai ensuite reproduits ici grâce au fait que je fus, pendant deux périodes, Président de la Société d’architecture, secteur spécialisé de l’Union Nationale des Architectes et Ingénieurs de la Construction de Cuba (UNAICC). Peu à peu, nous nous sommes proposés d’inoculer cette passion dans les cœurs des habitants de Cienfuegos, ce qu’ils n’acceptaient pas au départ car « le patrimoine, c’est pour les villes anciennes » et Cienfuegos est fière de sa modernité…

Et oui, un seul architecte avait réussi la première année de Maîtrise, les autres étaient des travailleurs de la Culture car se consacrer à l’ancien n’était pas prestigieux pour un professionnel de ce niveau, intéressé seulement par les grands travaux, les grands hôtels, les grandes usines… Ceux qui nous consacrions à cette brance, nous n’étions pas valorisés dans le pays…

Souvenons-nous également que les villes du XIXème siècle n’étaient pas reconnues du point de vue patrimonial et toute l’attention était portée uniquement sur les villes fondées par Diego Velasquez. Mais nous avons commencé à préparer notre proposition pour que Cienfuegos soit déclarée Monument National. Et l’on me disait : « Tu veux te comparer avec La Havane, avec les sept premières villes ». Je ne voulais me comparer à personne. Je savais que Cienfuegos possédait ses propres valeurs et nous préparâmes donc le dossier et avons obtenu la déclaration : la première ville de Cuba construite au XIXème siècle qui obtenait le titre.

Et figure-toi que, du moment où Cienfuegos fut classée dans les villes patrimoniales, les habitants ont commencé à en être fiers. Nous avons continué à travailler, à restaurer, toujours sous le conseil de Daniel Taboada et Isabel Rigol, directrice du Centre National de Conservation, Restauration et Muséologie (CENCREM) du Ministère de la Culture, qui m’a fait confiance et à « investi » en moi. Elle m’envoya étudier en Italie pour y réaliser certains travaux… J’ai eu deux parrains importants. Il est important dans la vie de trouver des personnes qui te soutiennent et te montrent le chemin car s’en frayer un dans ce monde, ce n’est pas facile.

Je ne suis pas de Cienfuegos et cela a coûté que ses habitants m’acceptent comme responsable du sauvetage du patrimoine et son histoire, mais nous avons travaillé dur, avec amour et responsabilité. Et tu vois, ils m’ont fait Fils Illustre. Le cienfueguero a un sentiment d’appartenance très fort ».

L’ÉCLAT DE LA PERLE
Comment est née l’idée de déclarer Cienfuegos Patrimoine Culturel de l’Humanité ?
« En l’an 2000, nous avons établi une relation de proximité avec l’Université de Tulane à la Nouvelle-Orléans où se trouvent les premiers fondateurs qui ont ont peuplé cette terre (beaucoup d’entre eux sont enterrés ici) et nous avons fait la connaissance de Gustavo Araoz qui se trouvait à la Direction du Conseil International des Monuments et Sites (ICOMOS en sigles anglais), l’organisme par lequel l’UNESCO s’occupe du patrimoine... Ce cubain résident des États-Unis était venu à plusieurs occasions comme membre de délégations. Comme il avait été témoin de ce qui se faisait dans la ville dans un moment très difficile, il nous invita Isabel Rigol et moi à Indianapolis à un symposium pour que nous informions de ce que nous faisions comme restauration à Cuba et comme cas d’étude à Cienfuegos.

Dans ce symposium se trouvaient les vaches sacrées du patrimoine mondial et là-bas, sous la grande coupole du capitole, dans un mauvais anglais, le paysan que j’étais fit sa présentation avec ses diapositives. Lorsque nous terminâmes, on aurait dit que Christophe Colomb venait de découvrir Cuba sur l’instant. C’est ainsi qu’ils furent émerveillés par la Perle et tout le monde se mit à soutenir l’idée de déclarer Cienfuegos Patrimoine culturel de l’Humanité.

Il y a un dicton qui dit que saint de la maison ne fait pas de miracles (N.d.T. : l’équivalent de « Nul n’est prophète en son pays »). Parfois, il faut que quelqu’un vienne et te dise : « José Luis, tu es vraiment bon dans ton travail ». Nous sommes parfois tant investis dans nos tâches que nous ne nous rendons pas compte du travail réalisé. Il n’y a aucune ville fondée au XIXème siècle en Amérique Latine qui soit déclarée patrimoine mondial : c’est la particularité de Cienfuegos. Il ya Brasilia mais elle date du XXème siècle. Les autres sont des XVIème, XVIIème et XVIIIème pour les plus anciennes. Là se trouvait le point fort de Cienfuegos quand elle fut présentée à l’UNESCO ».

En 2005 la Perle du Sud fut déclarée Patrimoine Culturel de l’Humanité par l’UNESCO. (Photo aimablement remise par l’interviewé).

Il a fallu attendre un lustre pour que ce rêve finisse de prendre forme, devienne réalité…
« Nous sommes revenus et nous nous sommes mis à préparer le dossier. Nous sommes allés à La Havane où se trouvaient les personnes les plus compétentes. Nous avons pu compter sur le tutorat et les conseils de Isabel Rigol, notre âme, l’ange qui nous a guidés, pendant que les gens persistaient dans : « vous voulez vous comparer à Trinidad ». Et moi je leur expliquai : « Lorsqu’on participe à une compétition de boxe, la médaille d’or des poids plume a autant de valeur que celle des poids lourds ». Ce qui fait que nous avons poursuivi dans notre engagement.
Imagine qu’il n’y avait pas ici une seule photo numérisée ; avoir une caméra était un rêve de millionaire. Nous avons dû prendre les photos papier ou carton en noir et blanc et les scanner. Ce furent les premières photos de Cienfuegos dont nous avons disposé. Nous avons fait un effort hors du commun pour monter ce dossier qui a été approuvé à l’unanimité. Incroyable ! Énorme impact. Les experts sont venus et ont également donné un avis favorable.

De plus, cela a coïncidé avec une réunion du Patrimoine Mondial organisée à La Havane et les participants voulurent visiter la Perle du Sud. Et moi je ne voulais pas. Maintenant, la ville est un bonbon mais à cette époque-là nous commencions le sauvetage. Toutefois, nous avons préparé « le show » : groupe musical municipal, salon du protocole, le maire, le gouverneur, le diable et la cape (N.d ;T. : « …et tout le toutim »). Ce jour-là, les employés communaux se sont levés à trois heures du matin pour balayer, il ne s’est pas vendu de chocolats glacés parce qu’on en retrouvait les papiers dans tout les recoins…

Le moment venu, nous étions là à attendre que la délégation arrive. Elle apparut avec 45 minutes de retard. Nous l’avons emmenée au salon, remis les bouquets de fleurs…et c’est alors qu’ils nous ont dit : « Bon ! Nous prendrons ce que vous voudrez et nous verrons ce que vous vous aviez dans l’idée mais nous avons déjà fait un tour dans le centre historique et nous allons voter pour Cienfuegos ». Grand moment de solitude ! Et toute cette documentation que nous avions préparée ! Ils étaient des experts finalement. Cette visite nous a réellement et énormément aidés.
En 2005, ils nous ont déclarés Patrimoine Culturel de l’Humanité, juste une semaine après le passage de l’ouragan Dennis près du Castillo de Jagua. Néanmoins, ce que relataient les médias, c’était que la ville était détruite. Ce que je te raconte est arrivé un vendredi je crois, et l’assemblée finale de tous les pays devait se tenir à partir du lundi à Durban en Afrique du Sud.

Avec l’accord du président, nous avons tenu une conférence de presse et je leur ai expliqué : « vous êtes d’excellents journalistes, d’excellents photographes mais s’il vous plaît, je vous demande une trêve sur les informations concernant Cienfuegos à cause de l’ouragan car, ici, en vérité, il n’y eut aucun dégât ». Ils m’ont entendu. J’ai dû faire une déclaration, l’envoyer à l’Assemblée Mondiale. Le lundi est passé, le mardi est passé… Et le vendredi 15 juillet à 5 heures de l’après-midi, le téléphone sonne. « Irán ! Cienfuegos a été sélectionnée ! ». Je te jure que nous avons éclaté en larmes. Cela a réellement été un joli moment, la conclusion d’un travail.

Les gens étaient très affectés par la cyclone, mais cette énorme nouvelle les a réveillés. Nous avons reporté la cérémonie pour la fin de l’année. Nous avons fait un grand spectacle dans le Parc Marti. A partir de ce fait, il a été beaucoup plus facile de créer le Bureau du Conservateur de la Cité. Cela eut lieu le 1er novembre 2007. Nous avons commencé à travailler chez moi cer nous ne disposions pas encore de local. Quand cela fut possible, nous avons un peu arrangé les locaux et nous nous y sommes installés au bout d’un mois et demi environ. C’est là que nous nous sommes développés jusqu’à nos jours ».

Qu’a donné le fait de tenir les rènes du Bureau du Conservateur de la Cité de Cienfuegos ?
« Nous n’avons pas été des cadres mais historiquement de bons techniciens. J’ai eu à diriger le Bureau qui est de caractère provincial avec tout ce que cela implique et, en plus, fonder les différents départements, convaincre des professionnels afin qu’ils nous rejoignent car dans les unités subventionnées, les salaires sont très bas en comparaison avec ceux du secteur des entreprises et autres.

Cependant, nous avons renforcé le Bureau et nous avons aujourd’hui une sous-direction économique et une de promotion culturelle formée de trois groupes : un pour les cimetières en prenant en compte l’expérience de Santiago et en se rappelant que les deux de Cienfuegos sont des Monuments Nationaux.Il y en a quatre à Cuba qui constituent des musées à ciel ouvert : les deux nôtres sont Santa Ifigenia et Colon… Un second groupe, de Travail communautaire, s’occupe de la communauté et des visites guidées, le projet Sentiers qui est similaire au projet Routes et Marches à La Havane… Le troisième, installé au Centre Culturel Palacio Leblanc, réavive la trace française dans la ville ».

Les deux cimetières de Cienfuegos sont Momuments nationaux et avec le Santa Ifigenia (Santiago de Cuba) et le Colon (La Havane), ils constituent les uniques musées d’art funéraire à ciel ouvert. (Photo aimablement remise par l’interviewé).

La sous-direction technique possède également trois groupes : Architecture, Plan Directeur et Recherches historiques et appliquées. Il existe aussi la sous-direction de l’Assurance, une sorte d’école des métiers, une base pour récupérer des métiers perdus et attire des jeunes descolarisés et qui reçoivent une indemnité qui les aide économiquement du moment qu’ils se qualifient dans diverses spécialités : plâtrier, vitrier, maçonnerie, restauration… Une fois le cursus terminé, ils peuvent travailler dans le secteur Etat ou privé et perçoivent de meilleurs salaires que nous ; ils sont très convoités. Nous les préparons à affronter la vie, c’est un très beau projet.

De la même façon, il existe un Département Projets de Collaboration et Relations Internationales. Nous avons en plus, créé une radio locale : Fernandina Radio, celle que l’on entend sur le boulevard et que l’on étendra à certaines zones du Centre historique. Au total, nous sommes une équipe de 100 salariés et qui est restée renforcée suite à la célébration du bicentenaire, l’an dernier, ce qui a exigé un effort surhumain tant cela nous a fait nous développer. Nous avons été forcés d’apporter des réponses qui ne pouvaient pas attendre. Le Bureau nous a permis d’avoir une vision intégrale de là où nous voulions arriver. Son intégration au Réseau des Bureaux de l’Historien et Conservateur des Cités patrimoniales de Cuba, avec son dirigeant de droit et Président, Eusebio Leal Spengler, nous a unis dans la sauvegarde du patrimoine de valeur, matériel et immatériel du pays.

Au début, la commémoration du bicentenaire de la Villa Fernandina de Jagua a été pensée en deux temps…
« Au cours du premier temps, Cienfuegos 200, nous avons réalisé des travaux et des actions pour fêter le 22 avril 2019. Nous avons appelé la seconde étape Cienfuegos avance, avec l’objectif de terminer, sans être pressé, les projets en suspens. Nous avons préféré opérer comme cela. Attendre un mois, deux mois ou tout le temps nécessaire mais terminer avec la qualité requise. Tous les marathons de dernière heure ne sont donnent pas de bons résultats et ensuite, les gens, avec raison, nous jugent mal.

Nous avons profité de différentes commémorations comme prétexte pour restaurer des chantiers et les offrir à la ville. Ce furent plus de 400 propositions faites par les habitants dans les Assemblées de circonscription et qui rendirent possible l’élaboration d’un programme qui a été approuvé par l’Assemblée Municipale du Pouvoir Populaire ».

Le Palacio de Ferrer a été parmi les bâtiments qui ont été restaurés pour le bicentenaire de la Villa Fernandina de Jagua, en 2019. (Photo aimablement remise par l’interviewé).

La COVID-19 s’est interposée, cette fois dans la commémoration de l’anniversaire 201….
« C’est certain. Mais conjointement avec la Gouvernement Municipal et Provincial, nous avons réussi à maintenir ce nouvel anniversaire en prenant des mesures spéciales qui ont garanti la promotion et la préservation de notre patrimoine mondial.

En ce moment, le centre historique n’a pas son effervescence habituelle et la présence de la population dans les rues, les promenades et les places est à peine perceptible. Cette fois, il a été impossible de commémorer massivement cette date compte tenu de la distanciation sociale mais, en revanche, on a multiplié le travail culturel de diverses formes sur les plateformes virtuelles et les réseaux sociaux en cherchant à élever notre esprit.

La COVID-19 qui a causé tant d’angoisse, n’a pas pu empêcher malgré tout, que continuent les travaux sur le patrimoine monumental qui est le trésor de Cienfuegos. Le soin et la sauvegarde n’ont pas été ralentis. Ils ont été réalisés avec toutes les conditions techniques requises car l’essentiel c’est la protection des travailleurs et de tous les habitants de Cienfuegos, lesquels veulent que la perle de Cuba soit confortée comme destination obligée pour connaître, valoriser et profiter de la culture cubaine et universelle.

Notre blason brille de trois mots qui nous ont guidés au cours de ces 201 années : Foi, Travail et Union. Nous savons que si la foi est importante dans le présent, elle l’est aussi pour le futur. Le travail dur, en conscience, nous permettra de nous développer avec fermeté pour continuer d’avancer tous ensemble et pour le bien de tous. Et l’union, plus qu’un slogan, doit être la force qui anime les habitants de Cienfuegos. Nous disons toujours qu’être cubain est une fierté, mais nous affirmons qu’être Cienfueguero est un privilège ».