Révolution écologique à Cuba

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Un texte que nous a adressé Monsieur Xavier Goergler, qui vit à Cuba depuis plusieurs années et qui donne son opinion sur le développement de l’Ile et la révolution écologique. Il suggère une série d’orientations qui bien évidemment n’engagent que lui.
RG

Révolution écologique à Cuba

« Les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain » (Victor Hugo)

On peut lire ou entendre à Cuba, qu’il n’y a qu’une révolution et qu’elle est éternelle. Ce processus révolutionnaire fait principalement écho à l’indépendance de Cuba (10 octobre 1868) et à la révolution socialiste de 1959. Aujourd’hui, pour beaucoup, la révolution n’est plus associée à une réelle dynamique et semble souvent terriblement éternelle. Ce sentiment d’espace figé hors du temps contraste avec les changements toujours plus rapides et impactants associés à la mondialisation et aux changements climatiques. Comment, dans ce contexte, réanimer l’espérance révolutionnaire collective et impliquer une majorité de la population dans un projet commun ? C’est sans doute l’enjeu des années et décennies à venir pour beaucoup de pays mais Cuba possède peut-être en main des atouts inespérés pour mener à bien sa transition écologique.

D’abord, et à la différence de beaucoup de pays où l’idée de révolution a plutôt tendance à inquiéter les gouvernements, elle est à Cuba largement cultivée. Quoi de mieux effectivement pour éviter un changement trop radical que d’être en permanence révolutionnaire ? Si la continuité du régime s’en trouve renforcée cela implique aussi de faire vivre la révolution. Plusieurs projets d’envergure ont ainsi animé la révolution socialiste à commencer par la réforme agraire dès 1959. L’année 1961, marquée par la rupture des relations avec les Etats-Unis, est aussi le début de la campagne d’alphabétisation qui a connu un succès retentissant. Cuba, en plein coeur de la guerre froide, se tourne vers l’internationalisme et un certain nombre de campagnes militaires en Afrique et en Amérique Latine. Autre exemple de projet marquant, l’année 1970 où l’ensemble du pays est mobilisé pour la récolte du sucre, « la gran zafra ». A partir des années 90 et jusque dans les années 2000 la révolution doit faire face à la chute de l’URSS, c’est la Période Spéciale et un nouveau mode de fonctionnement pour l’Etat et plus particulièrement pour la population. S’en suit une période économiquement plus favorable avec le rapprochement du Venezuela et d’autres pays socialistes d’Amérique Latine. Entre 2010 et 2020, Cuba développe activement différents secteurs clés comme par exemple celui des communications, du tourisme et de l’entrepreunariat privé. 1

À présent, quel est le prochain projet de grande ampleur qui devrait animer la révolution cubaine dans les années à venir ? Celui de l’écologie sans aucun doute et pour deux raisons essentielles.

La première de ces deux principales raisons est l’urgence aussi bien à l’échelle planétaire que pour l’île de Cuba. Les effets du réchauffement climatiques sont toujours plus inquiétants avec des catastrophes naturelles qui s’enchaînent entre sécheresses, inondations, cyclones et tornades. Sans tomber dans le catastrophisme -pourtant proche de la réalité de nos sociétés face à la crise du coronavirus2- c’est la gestion globale des ressources qui est à repenser afin de préserver nos habitats et les populations, les causes écologiques et sociales étant intimement liées.

1 Lire Manière de Voir Num 155 (octobre/novembre 2017) « Cuba, ouragan sur le siècle » 2 Lire « Contre les pandémies, l’écologie » (Mars 2020)

La deuxième raison pour laquelle la transition écologique devrait être le nouveau projet d’envergure de Cuba est relative aux aléas de l’histoire cubaine. En effet, ceux-ci ont permis l’établissement d’un terrain propice à une nouvelle révolution écologique. Prenons le blocus nord-américain, en vigueur depuis 60 ans et récemment renforcé alors même qu’il va à l’encontre du droit international. Cette sanction économique qui affecte quotidiennement la population aura cependant permis à Cuba d’être préservé de la mondialisation et de ses dérives. S’il est souvent difficile de trouver ce que l’on cherche dans les rayons, le consommateur n’est en revanche pas submergé d’offres et se trouve finalement protégé de la consommation à outrance. La plupart des pays se rendent désormais compte de l’impact écologique et social de ce système. Il est néanmoins difficile de faire machine arrière lorsque ce changement nécessaire est entre les mains de grands groupes privés dans un système où le consommateur est habitué au faux-luxe d’un choix infini.

Un autre exemple propre à l’histoire cubaine est la période spéciale. Jusque dans les années 90, le blocus était contourné par l’URSS qui subvenait largement aux besoins de l’île. Sa chute est un coup dur pour l’Etat qui perd son importateur et exportateur principal. C’est à ce moment-là que la population va, par exemple, se déplacer essentiellement à vélo et développer l’agriculture urbaine pour faire face à la pénurie de carburant et d’aliments. Cuba est d’ailleurs devenu un modèle d’agriculture urbaine puisque l’ensemble des fruits et légumes, toujours vendus aux marchés, sont toujours de saison et cultivés en des endroits relativement proches du lieu de distribution. Cette reconversion a généré des emplois, protège l’environnement et améliore la sécurité alimentaire de l’île. En outre, l’embargo et la période spéciale ont poussé la population cubaine à attacher une importance particulière aux réparations. L’exemple le plus manifeste sont les vieilles voitures américaines des années 50 qui sillonnent encore l’île, mais les réparations vont bien au-delà puisqu’à Cuba, pratiquement rien ne se jette mais tout se répare, se transforme et se ré-invente.

Il est clair que la population a souffert et souffre des aléas propres à l’histoire cubaine mais il est temps de retourner la situation et de mettre à profit ces expériences. Cuba mérite un nouveau projet ambitieux et collectif, qui redonne un nouveau souffle à la révolution. Un projet qui repose sur les impératifs climatiques et sur ce qu’est Cuba aujourd’hui. Une vraie révolution écologique élevée au rang de cause nationale qui permettrait de donner un cadre général à la politique du pays. Ce projet est d’autant plus réalisable dans un pays comme Cuba qui est particulièrement attaché à sa souveraineté et qui ne se laisse pas dicter les mesures à mettre ou plutôt à ne pas mettre en place. D’autre part, l’organisation de la scène politique et l’organisation au sein du parti pourraient tout à fait servir de catalyseur pour un projet de cette envergure. De plus, l’Etat cubain est puissant et le secteur privé et les lobbys ne constituent pas non plus un contre-pouvoir. Enfin, la présence de CDR3 (comités de défense de la révolution) dans chaque quartier est un autre des atouts de Cuba. En effet, ils permettent de faire un lien direct entre la politique gouvernementale et la population comme c’est le cas pour la préparation à l’approche d’un cyclone, les consultations populaires, les campagnes de vaccination ou encore la détection de cas de covid-19.

Ce projet écologique serait aussi l’occasion de prendre le contrepied de la critique récurrente de système autocratique car finalement la mise en place de ce projet pourrait être un bel exemple de démocratie participative. L’Etat entend la voix du peuple et des peuples et y répond en se souciant de sa population au même titre que de la population mondiale ; quelle meilleure action internationaliste que d’ouvrir la voie, à l’échelle

3 Lire Marion Giraldou « A Cuba, José ne s’est pas levé » Le Monde Diplomatique, février 2016

mondiale, à la transition écologique ? Il s’agit ici de renforcer nos propres apprentissages mais aussi de s’inspirer et de profiter des enseignements des autres pays. Malgré la politique hostile des Etats-Unis, Cuba pourrait devenir un pionnier mondial de la transition écologique. La Havane pourrait alors être la capitale du développement durable, le phare de cette transition écologique que chaque pays devra, tôt ou tard, mettre en place.

Rappelons que Cuba est signataire de l’accord de Paris4 mais n’a pas encore pris d’engagement daté. Cinq ans après, c’est l’occasion d’être en phase avec les « contributions déterminées au niveau national » (CDN) qu’impliquent l’accord. Cette révolution écologique pourrait être un plan sur une ou plusieurs dizaines d’années. Il s’agirait de formuler une série d’objectifs tel que la neutralité carbone tout en allant au- delà d’un simple indicateur. Il s’agit de repenser la politique nationale et de changer de manière durable les mentalités et comportements. « La transition écologique en question est une (r)évolution vers un nouveau modèle économique et social, un modèle de développement durable qui renouvelle nos façons de consommer, de produire, de travailler, de vivre ensemble pour répondre aux grands enjeux environnementaux, ceux du changement climatique, de la rareté des ressources, de la perte accélérée de la biodiversité et évidemment de la multiplication des risques sanitaires environnementaux »5.

La récente réforme constitutionnelle6 a montré l’importance de la démocratie participative et de la mobilisation citoyenne. Un autre argument d’importance est l’opportunité que constitue la volonté de donner plus de poids et d’autonomie dans les processus de décisions aux municipalités. C’est ainsi que des systèmes locaux écologiques et résilients peuvent se consolider. La cause environnementale pourrait entretenir et enrichir ce système d’aller-retour entre la population et l’Etat. Suite à la révision constitutionnelle, c’est tout l’appareil législatif qui devra être adapté pour intégrer les modifications nécessaires à ce projet. Outre la prise en compte du crime d’écocide, la création de chartes environnementales exigeantes dans des domaines tels que la construction, l’importation de produits ou les transports est primordial pour donner un cadre légal à ces changements.

Il est clair que ces réformes doivent être menées à l’échelle ministérielle. Et si le regroupement des sciences, des technologies et de l’environnement au sein d’un seul et unique Ministère peut avoir un certain sens, il serait préférable de les scinder. Si le sucre à la sien, l’écologie et le développement durable en mérite bien un ! Ce ne serait pas la première fois qu’à Cuba de nouveaux ministères ou instituts verraient le jour pour s’adapter aux nouveaux enjeux.

Ce ministère en question aurait évidemment comme mission d’assurer la continuité du plan national « Tarea Vida7 ». Ce projet, approuvé par le conseil des ministres le 25 avril 2017, a été largement inspiré par le discours donné par Fidel Castro lors du sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992. Ce plan, encore trop peu connu de la population, comprend onze tâches parmi lesquelles la gestion des littoraux, la préservation des mangroves et des récifs coralliens, la protection de le la biodiversité, la lutte contre la

4 Lire les blogs du diplo « Le pari ambigu de la coopération climatique » (15 décembre 2015) 5 https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/ 6 Lire Simone Garnet et Grégoire Varlex « Grand débat ... à la cubaine » (juin 2019) 7 Voir https://www.ecured.cu/Tarea_Vida

déforestation mais aussi la sécurité alimentaire et hydrique sans oublier les volets juridiques et financiers. Plus généralement, ce ministère aurait l’ambitieuse mission de re- dynamiser ce plan, d’orchestrer et d’organiser ce qui doit être une véritable transition écologique. Pour qu’un tel plan soit efficient, il est nécessaire d’être au plus près de la population, d’organiser des conférences et des comptes-rendus fréquents, de sensibiliser les citoyens en encourageant les initiatives locales et autogérées pour que chacun travaille à cet objectif commun.

En dehors de ce ministère pilote, ce sont tous les ministères qui doivent se mettre au vert ! Le Ministère de l’Economie et de la Planification est évidement un ministère clé puisque la dimension économique est indissociable au développement durable. Il s’agirait d’attirer des investisseurs étrangers et de renforcer les relations extérieures basées sur le développement durable mais surtout de faire en sorte d’assurer une production locale, pérenne et de qualité. Cuba à pour objectif actuel d’atteindre un plus grand degré d’autosuffisance réduisant ses importations pour équilibrer sa balance commerciale. Par ailleurs, ce réajustement économique serait un moyen de donner un nouveau cadre au secteur privé et d’encourager les initiatives qui s’inscrivent dans cette logique.

Largement associé à l’économie et au fonctionnement du pays, le Ministère de l’Energie doit oeuvrer à une sortie rapide de l’utilisation des énergies fossiles qui rendent pour le moment Cuba presque entièrement dépendant de pays tiers. Quoi de plus abondant à Cuba que le soleil et son énergie ? En dehors du solaire, sur lequel l’essentiel de la production devrait se focaliser, d’autres énergies renouvelables, telles que l’hydraulique, l’éolien ou la biomasse, doivent être développées.

Directement lié à l’énergie, le Ministère des Transports qui s’attelle dernièrement à réhabiliter les voies ferrées et le transport ferroviaire, a également son rôle à jouer. Un travail particulier est à entreprendre sur les bus et voitures qui sont les principaux émetteurs de particules nocives tout en incitant et favorisant les déplacements à vélos. Des exemples mis en place dans certaines villes comme Copenhague8 sont tout à fait transposables à une ville comme La Havane et à l’échelle du pays. Si, dans le domaine de l’urbanisation et de la construction, des initiatives comme le « corridor vert de la Calle Linea » à La Havane ont déjà été lancées, elles devraient être largement généralisées et développées. Créer des parcs et des zones d’agriculture urbaine à la place de nombreux bâtiments délabrés et promis à la démolition serait alors une bonne occasion pour reverdir la ville.

Le Ministère de l’Agriculture a évidement un rôle central dans ce projet. Les multiples réformes agraires ne favorisent pas encore assez les petits exploitants pourtant attachés à un mode de production durable et respectueux de l’environnement. Il n’est pas rare d’entendre à Viñales des agriculteurs disant « préférer les boeufs aux tracteurs pour éviter les problèmes mécaniques et pallier au manque de carburant ». Cuba, en ayant raté la révolution du machinisme industriel, se trouve aujourd’hui en avance du point de vue écologique.

Avec l’amélioration de la qualité de l’air et de l’alimentation, c’est le Ministère de la Santé Publique, si cher à Cuba, qui se verra soulagé à terme et qui pourra se féliciter de cette transition écologique.

8 Lire Philippe Descamps « Comment le vélo redessiner la ville » Le Monde diplomatique février 2020

Associé à la santé, le Ministère des Sports a également son rôle à jouer en favorisant les nombreux sports de nature comme le VTT, l’escalade ou la voile, qui se développent à Cuba. Le terrain de jeu est exceptionnel et de grands événements phares, organisés à Cuba, permettraient de mettre un coup de projecteur sur cette île en transition. De magnifiques défis avaient déjà été réalisés par le passé comme la traversée en canoë de l’Amazonie à Cuba par Antonio Nuñez Jimenez. De nouveaux challenges sont imaginables comme, par exemple, un tour du littoral de Cuba et de son archipel. L’ambition écologique et tous ses projets dérivés n’ont comme limite que notre imagination.

Toutes ces initiatives seraient largement profitables au Ministère du Tourisme qui aurait désormais de nouveaux atouts à faire valoir en plus du pack classique « plages-cigares- rhum-salsa » afin de faire évoluer le tourisme de masse en tourisme éco-résponsable. Cuba serait l’exemple par excellence d’un pays en transition, un laboratoire vert dans un monde qui doit nécessairement revoir ses paradigmes.

Toutes ces mesures doivent évidemment être relayées par les Ministères de la Communication et de la Culture qui sont finalement les vitrines de la politique intérieure via les journaux, la radio, la télévision et le cinéma. L’avantage de Cuba est que les artistes développent aussi une forte responsabilité sociale et environnementale et seraient sans doute prêts à monter une campagne d’envergure. N’oublions pas non plus la richesse du patrimoine culturel cubain qui aurait encore davantage de chance d’être préservée dans cette optique de transition résiliante.

Enfin et surtout, le Ministère de l’Education et de l’Enseignement Supérieur ont un rôle absolument fondamental à jouer pour que le message soit distillé à tous et que le projet soit bel et bien durable. Car c’est par l’éducation, pilier historique de la révolution socialiste, que les comportements peuvent changer. C’est l’éducation qui peut modifier nos habitudes de consommation et expliquer par exemple pourquoi le pays décide de réduire drastiquement l’usage des plastiques. C’est encore l’éducation qui peut amener un peuple à transformer ses faiblesses en force et c’est avant tout le moyen d’unir et de donner un souffle nouveau à la révolution et à la jeunesse cubaine. L’écologie et le développement durable constituent finalement un levier puissant pour mobiliser les énergies des jeunesses cubaines.

Cuba est un pays au destin hors norme, une île qui a souvent été au-devant de la scène mondiale et qui en a souvent fait les frais. Il ne faut pas aujourd’hui qu’elle manque d’ambition car l’enjeu est trop grand et l’occasion trop belle. Un « New Deal de l’écologie » permettait de transformer l’utopie d’aujourd’hui en réalité de demain. Souder la population autour de la transition écologique ne conforterait pas simplement l’idée de révolution éternelle, cela lui donnerait aussi une dimension spatiale en montrant au monde qu’encore une fois : Si, c’est possible !