Le « colero » le nouvel ennemi à Cuba ?

Partager cet article facebook linkedin email

Bien que cet article date de 2 mois et que des mesures ont été prises depuis pour tenter d’éradiquer cette pratique, il valait la peine de le porter à la connaissance de nos lecteurs.

Les pénuries existantes à Cuba ont pris des proportions invraisemblables avec la crise de la covid.
La fermeture des frontières a privé le pays de ressources et de nombreuses importations. Par conséquent, tous les cubains qui vivaient du tourisme et de ses dérivés sont également privés de revenus.
L’absence ou le rationnement de certaines denrées a provoqué des files d’attente qui peuvent s’étirer sur une grande partie de la journée.
Alors, loin de justifier l’action de ces « coleros », il est nécessaire de la regarder non pas du point de vue français, mais de celui des cubains qui souffrent à la fois des pénuries et des ces pratiques et considérer que les manques en tout genre ne grandissent pas la nature humaine.

Miguel Diaz Canel disait « si les coleros ne sont pas les pères des pénuries, ils en sont les fils »
A méditer......

Chantal Costerousse

La Havane, 12 août 2020.- Cuba a identifié le nouvel ennemi du peuple : le « colero »*(ndt)de cola, queue, celui qui fait la queue* qui monopolise et revend les produits de base des magasins d’État en pleine crise économique grave.

Mais qui sont ces personnages et dans quelle mesure sont-ils responsables des pénuries généralisées dans le pays ?

Le colero parcourt autant de boutiques que possible, généralement accompagné de sa compagne et d’un enfant. « Ils achètent des produits alimentaires et d’hygiène puis les revendent pour quelques pesos de plus », explique anonymement l’intermédiaire d’une colera qui propose du poulet, des saucisses, du shampoing ou du dentifrice via Facebook et WhatsApp.

En raison de la pénurie de ces produits et d’autres produits de base, il y a un rationnement dans les magasins cubains : un sac de morceaux de poulet, deux boîtes de tomates, trois tubes de viande hachée, un de dentifrice ou deux savons sont la limite autorisée par achat et par client après avoir fait la queue entre quelques minutes et deux ou trois heures.

Bien que le colero et le revendeur existent depuis des décennies, cette situation difficile les a multipliés et les a placés dans le viseur du gouvernement et d’une grande partie de la société.

La rue est pour les révolutionnaires

« Ils sucent l’argent que tu as. Pourquoi devrais-je leur acheter une chose que j’ai moins chère au magasin pour le double, le triple ou le quadruple ? C’est un abus », proteste Norma, une retraitée de 70 ans du quartier habanero de Playa.
Norma soutient inconditionnellement la campagne du gouvernement qui, lors d’une opération sans précédent, a envoyé dans les rues une armée de 22 081 personnes divisée en 3 054 groupes pour lutter contre les "coleros, revendeurs et accapareurs " qui feront l’objet d’amendes et même de poursuites judiciaires.

Dans le même temps, le président de Cuba, Miguel Díaz-Canel, a qualifié ceux qui font le commerce de produits de base de "parasites", les a accusés de s’enrichir au détriment d’autres promouvant "l’indiscipline sociale, et a assuré que les éradiquer est une demande de la population.

« Nous agirons fermement car les rues de Cuba sont pour les révolutionnaires et les travailleurs », a-t-il déclaré.

En fait, dans la rue, la mesure semble bénéficier d’un large soutien populaire. Ce n’est pas le cas sur les réseaux sociaux, où certains considèrent que diaboliser un groupe divise la société et que le contingent de 22 000 personnes pourrait se consacrer à des tâches plus utiles comme la production alimentaire ou la prise en charge des populations vulnérables.

El colero, le nouvel ennemi du peuple cubain. Source : EFE/Ernesto Mastrascusa.

Moins de files d’attente, mais la pénurie continue

Depuis sa mise en place, la campagne contre le colero semble être un succès.
« Aujourd’hui, je ne vois plus ces gens au coin de la rue avec les paquets que vous pouvez voir qu’ils ont achetés plusieurs fois », raconte Maylín, une femme au foyer.
Une autre femme qui revient des courses explique que les coléros "ont disparu, car la police »est tout le temps sur leur dos ».

Sans ces intermédiaires illicites, en outre, les files d’attente semblent avoir diminué de taille. Cela signifie-t-il que les Cubains pourront enfin acheter des produits de base sans difficultés dans les magasins d’Etat ? Pour Laura, femme au foyer de 28 ans, ce n’est pas le cas pour le moment.
« Il y a moins de files d’attente mais il n’y a pas de produit à l’intérieur du magasin. C’est qu’il n’y a rien.
Par exemple, aujourd’hui, je suis allée chercher des produits de première nécessité, des produits d’hygiène, et je n’ai absolument rien trouvé », explique-t-elle avec frustration.

L’économiste cubain Ricardo Torres est également pessimiste : « le gouvernement fait face à un défi impossible, je ne voudrais pas être à sa place.

D’une part, vous avez une juste réclamation de la part des gens, en particulier ceux qui ont moins de ressources, mais d’autre part, vous avez la réalité économique que les autorités sont incapables de résoudre à court terme.

Pourquoi le colero existe-t-il ?

Pour Torres, la prolifération des revendeurs répond à plusieurs facteurs.

Le premier et la base de tout est la rareté :
Cuba produit à peine 20% de la nourriture dont sa population a besoin et doit importer le reste, une tâche très difficile avec une économie au bord de la faillite alourdie par de graves carences structurelles, le durcissement de l’Embargo américain et maintenant la pandémie COVID-19 qui a paralysé le tourisme. Il en résulte des rayons vides dans les supermarchés.

En raison de la pénurie d’approvisionnement et du contrôle des prix, selon l’économiste, il y a une "inflation réprimée" à Cuba, car "les gens ont de l’argent qu’ils ne peuvent pas matérialiser sur le marché parce qu’il n’y a pas assez de biens et de services".

Ainsi, indique-t-il, « il y a un segment de la population aux revenus plus élevés prêt à payer plus cher pour accéder à ces biens et services », ou ce qui est la même chose, il y a ceux qui préfèrent dépenser plus, si de cette manière ils évitent les files d’attente et le rationnement, alors ils se tournent vers des intermédiaires illégaux.

Enfin, l’expert évoque l’absence de possibilités d’emploi. A Cuba, le salaire moyen d’un employé de l’Etat n’atteint pas 50 dollars par mois, donc beaucoup se tournent vers l’économie informelle pour progresser.

Être colero "c’est l’emploi de certaines personnes qui n’ont pas d’autre alternative d’emploi", assure-t-il.

À cela s’ajoute l’effet de la pandémie :
« tous ceux qui avaient un travail de rue ou en lien avec le tourisme international l’ont perdu. Certaines de ces personnes aujourd’hui sont les coleros ».

File d’attente pour acheter dans une cafétéria à La Havane. Source : EFE/Ernesto Mastrascusa.

Le péché originel

Le président Díaz-Canel a, pour sa part, considéré comme un "mensonge" le fait que les pénuries soient la cause de la prolifération des revendeurs ; il a souligné qu’en aucune façon "cela ne justifie l’illégalité" et a appelé la population à "promouvoir la solidarité et un comportement éthique »en pleine crise.

Pour l’économiste, cependant, désigner les coleros comme les nouveaux ennemis est une mauvaise approche pour « faire appel à la sensibilité sociale pour attaquer un phénomène qui est économique ».

« Tu veux en finir avec le colero ?

Inonde les magasins de produits ou augmente les prix pour les adapter au marché.
Mais à Cuba, premièrement, vous ne pouvez pas inonder les magasins de produits parce qu’il n’a pas de quoi le faire, et deuxièmement, augmenter les prix serait une mesure de coût politique élevé », soutient-il.

Torres considère « logique » l’animosité du peuple et du gouvernement envers les revendeurs, qui en doublant le prix des produits en privent les Cubains à faibles revenus.

"Mais soyons prudents avec une chose :
l’accès n’était garanti à aucun prix car le péché originel est qu’il n’y a pas pour tout le monde"