Les 60 ans de solidarité de l’association France Cuba

Célébrés avec l’Institut Cubain de Solidarité avec les Peuples

Partager cet article facebook linkedin email

Le 10 février dernier, avait lieu en visioconférence un Forum en l’honneur de 60e anniversaire de l’association France-Cuba sous l’égide de l’Institut Cubain d’Amitié avec les Peuples, qui fêtait lui aussi ses 60 ans d’existence. De part les deux cotés de l’Atlantique, les échanges ont eu lieu entre Fernando Gonzalez, Président de l’ICAP, Didier Philippe, Président de France-Cuba, et Elio Rodriguez, Ambassadeur de Cuba en France.
Paul Estrade, qui fut l’un des fondateurs de l’association française nous a autorisé à publier l’intervention qu’il a faite où il rappelle les détails de la naissance de l’association et la permanence de ses actions de solidarité. Merci à lui.
RG

[Intervention de Paul Estrade]

Merci, cher Fernando, pour tes propos qui vont au cœur des amis de France-Cuba. 60 ans de luttes et d’espoirs en commun, d’amitié et de solidarité partagées, viennent de défiler, noyés par l’émotion, dans le souvenir de celles et de ceux qui, comme moi, ont la chance d’être toujours là, sur la brèche, 60 ans après, et ont la fierté, comme je l’ai, d’avoir fait partie des initiateurs puis des acteurs français de cette belle histoire.

L’Association France-Cuba a été fondée officiellement le 10 février 1961 à Paris, au Quartier Latin,dans une salle des Sociétés Savantes. Convoquée par un comité provisoire ad hoc, que je présidais du haut de mes 25 ans, l’assemblée décida unanimement la constitution de l’Association, adopta ses statuts et élit son premier comité directeur.

L’idée de créer une association d’amitié, devenue très vite par nécessité une association de solidarité, avait germé l’année précédente. C’est le contexte de cette année 1960 que je veux rappeler d’abord.

L’explosion très meurtrière du cargo français « La Coubre », en rade de La Havane, a déclenché en France, en mars 1960, une réaction de stupéfaction qui n’en est pas restée à ce stade. Sabotage ou accident, l’acte sanglant a attiré les regards de l’opinion sur les changements en cours à Cuba et sur l’agressivité croissante des ennemis du régime mis en place par les révolutionnaires castristes. La Révolution Cubaine existait, se développait, réformait à tout-va. Elle suscitait une opposition violente réfugiée aux États-Unis. Mais elle suscitait aussi, surtout dans la jeunesse française, quoique mal informée, et précisément pour cela, de la curiosité et de l’intérêt qui, peu à peu au long de 1960 et 1961, allaient se transformer en sympathie et en enthousiasme.

On se mit à comprendre de plus en plus que la Révolution Cubaine n’était pas un de ces habituels « pronunciamientos » qui jalonnaient la vie, fort peu démocratique, des États latino-américains, et qui n’apportaient aucune avancée à leurs peuples. Fidel Castro et les « Rebelles » n’étaient pas des barbus d’opérette. Avec détermination et entrain, dans l’union, ils s’employaient à réaliser les promesses faites dans la Sierra Maestra.

C’était nouveau, dynamique, réconfortant, tandis qu’en France, quoi qu’on ait dit par la suite des « Trente Glorieuses », ce n’était pas la joie pour tout le monde. Le coup de force qui avait porté au pouvoir le Général De Gaulle et instauré un système autoritaire, la poursuite de la guerre colonialiste en Algérie, le manque de moyens attribués à une Université obsolète et appauvrie, rendaient la jeunesse étudiante attentive aux profondes transformations démocratiques expérimentées par des chefs de 30 ans jouissant d’un soutien populaire indéniable. Jean-Paul Sartre dans « France-Soir », Claude Julien dans « Le Monde », Georges Fournial dans « L’Humanité » en rendaient compte, chacun à sa façon.

Les étudiants de l’Institut d’Études Hispaniques plus que d’autres étudiants peut-être, étaient réceptifs aux événements de Cuba, notamment dans le domaine socioculturel. En tout cas c’est de là qu’est partie, le 10 juin 1960, l’initiative qui a débouché sur la création de France-Cuba, huit mois plus tard.

Cet après-midi-là, à la terrasse du café« La Bonbonnière » qui fait face à l’Institut, nous nous sommes assis à une petite dizaine pour rédiger un appel bref– « manifeste » serait un grand mot pour le qualifier -conviant nos condisciples à nous rejoindre en vue de « constituer un comité d’initiative pour la formation d’une association franco-cubaine qui permettrait d’accroître les échanges culturels et de renforcer les liens d’amitié entre les deux peuples ». 54 étudiantes et étudiants de l’Institut Hispanique et 5 de nos professeurs signèrent l’appel en quelques jours. J’avais tenu la plume lors de la première réunion du groupe. Lors de réunions ultérieures, rapprochées à cause des vacances imminentes, il fut décidé d’élargir à tout le pays notre initiative, en tentant d’obtenir l’aval d’un large comité de patronage. Et pour ce faire, un bureau réduit à sa plus simple expression fut désigné. Sans formalités mais assez pompeusement, Édith Poulain fut nommée secrétaire, et moi, président, dudit comité d’initiative. Nous appartenions tous deux à l’Union des Étudiants Communistes.

Le 1er septembre 1960, alors que les agressions contre Cuba poussaient à l’urgence, nous avions reçu assez de réponses positives à nos lettres pour mettre sur pied ce fameux comité de patronage, tremplin nécessaire au lancement de l’association qui s’appellerait France-Cuba. Aragon et Picasso en étaient les phares. Il y avait aussi au sein de ce prestigieux comité des universitaires de renom tels Jean Dresch, Noël Salomon, René Dumont, Charles Bettelheim. Du coup, le comité d’initiative put se muer en comité provisoire de l’Association en cours de formation et agir comme tel : campagne de presse, campagne nationale d’adhésions, convocation d’une AG constitutive.

Le pas décisif fut franchi le 10 février 1961. L’assemblée fut présidée par le professeur d’Économie Politique Charles Bettelheim, entouré de Jacques Duclos, dirigeant emblématique du parti communiste, de Maître Henri Kenig qui avait préparé les statuts, d’Édith Poulain et de moi-même qui avons présenté le rapport introductif, mettant fin ainsi à la mission que le comité provisoire s’était fixée. L’Association France-Cuba était née, peut-être la première association européenne d’amitié et de solidarité avec Cuba, quand Cuba n’avait pas encore proclamé le caractère socialiste de sa Révolution.

Le professeur d’agronomie René Dumont en fut élu président pour un an. Secrétaires généraux : les professeurs d’espagnol Jacques Rebersat et Roland Labarre. Trésorier :Georges Fournial, un instituteur, syndicaliste et journaliste communiste. Je me dois de rappeler que celui qui nous a guidés du début à la fin, celui qui sera des années durant la tête pensante et la cheville ouvrière de l’Association, ce fut Georges Fournial. Nous ne saurions l’oublier en ce jour d’hommage.

France-Cuba a été fondée, s’est développée, a tenu dans la tempête, en reposant sur des principes clairs et éprouvés. Je pense pouvoir les résumer ainsi.

1°/ L’Association agit en totale indépendance des deux États, des gouvernements et des partis politiques. On y adhère individuellement. Elle n’est pas l’assemblage d’un mini-cartel d’organisations. Cela dit, elle travaille avec toutes les bonnes volontés, car elle ne prétend pas au monopole de la solidarité même si elle entend s’implanter sur tout le territoire.

2°/ L’Association s’interdit toute ingérence dans les affaires intérieures de la République de Cuba, comme elle ne saurait couvrir en France les intérêts partisans d’un groupe quelconque. Mais elle souhaite coopérer, en toute liberté d’action, avec l’Ambassade de Cuba en France, et avec l’ICAP.

3°/ L’Association, soucieuse d’efficacité et donc de représentativité, s’efforce de regrouper le plus large éventail possible de personnes désireuses de connaître et d’appuyer la Révolution cubaine menacée (Un éventail qui à l’époque s’étendait sur le plan politique des communistes aux gaullistes).

4°/ L’Association, en accord avec le droit des peuples à l’autodétermination, défend le droit fondamental de Cuba au libre choix de son destin et à la pleine souveraineté nationale. Elle fait tout en son pouvoir pour que le gouvernement français s’y conforme.

5°/ L’Association se fixe comme objectifs centraux : la divulgation de la réalité cubaine niée ou déformée par trop de médias, et la solidarité morale, politique et matérielle envers le peuple ami de Cuba, face au dénigrement et aux attaques.

6°/ Cette solidarité revêt toutes les formes possibles et elle s’exerce dans tous les secteurs, afin de resserrer les liens séculaires d’amitié entre nos deux peuples et d’intensifier les échanges économiques, culturels, sportifs, touristiques, etc., entre nos deux pays.

Chers amis de Cuba et de France, je pense que le 10 février 1961 nous avons fait le bon choix et pris le bon engagement, même si nous n’avons pas été toujours à la hauteur des défis. Mais quand je vois qu’un des « Cinq de Miami » préside aujourd’hui l’ICAP, je me dis que nos combats ont quelques fois abouti.

Je salue fraternellement et avec effusion les survivants du comité d’initiative (Édith, Janette, Joseph), les survivants du premier comité directeur (Roland, Robert, Édith), restés fidèles à l’esprit qui nous animait quand nous manifestions en avril 1961 contre les envahisseurs de la Baie des Cochons et leurs commanditaires, et lancions de percutants « Cubasí !Yankees no ! ».

Ce cri de ralliement nous a fait vibrer du temps de Kennedy, et il nous rassemblerait encore, Monsieur Biden, si d’aventure vous ne renonciez pas sagement et rapidement aux mesures criminelles prises par vos prédécesseurs à l’encontre du peuple cubain.

Merci Cuba, vive Cuba !Merci l’ICAP, vive l’ICAP !Vivent l’amitié et la solidarité franco-cubaines !