Pablo de la Torriente Brau : visage au soleil espagnol et ossements au soleil de Cuba

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La Bataille du Brouillard , c’est sous ce nom qu’on connaît les combats du mois de décembre 1936 dans les communes à l’ouest de Madrid. On estime que des milliers de miliciens y seraient morts, mais, parmi tous ces défunts, aujourd’hui nous en sauvons un de l’oubli : le journaliste cubain Pablo de la Torriente Brau.

La solidarité avec la République grandissait dans le monde en octobre 1936 suite au coup d’état fasciste. A La Havane, rue des Virtudes, on créait l’Association Nationale d’Aide au Peuple Espagnol avec deux objectifs : la collecte de matériel à envoyer au front républicain et la diffusion des événements qui se passaient en Espagne. C’est pourquoi, à ce moment-là, Pablo aurait déjà été exilé à New York.

Il fut l’un des premiers cubains qui arrivèrent en Espagne, non comme brigadiste mais comme correspondant de presse ; nous mentirions toutefois si nous ne disions pas que ce qui l’a poussé à commencer le voyage n’était autre que son engagement politique. Né en 1901 à Porto Rico, bien qu’ayant grandi à Cuba, il commença à s’intéresser au journalisme depuis l’enfance ; cependant, il ne parvint pas à poursuivre ses études au-delà du baccalauréat.

Il aurait rapidement pris part aux mobilisations du puissant mouvement étudiant de l’île contre la dictature de Machado. Il est arrêté à plusieurs reprises ; la seconde fois, il est envoyé à la prison de l’île des Pins - aujourd’hui appelée Ile de la Jeunesse – où, des années plus tard, Fidel Castro serait emprisonné sous la dictature de Batista. Durant son incarcération, il aurait écrit l’une de ses grandes œuvres , Presidio Modelo. Sa liberté une fois retrouvée, il se rend à New York ; c’est là qu’il reçoit la nouvelle du déclenchement de la guerre en Espagne et participe aux mobilisations contre celui-ci.

En même temps, tout jeune, le premier Parti Communiste de Cuba se mit à organiser l’envoi de combattants en Espagne suite à l’appel du Komintern. Les brigadistes partirent de deux endroits : la ville de New York - où se trouvaient des milliers d’exilés comme Pablo – et La Havane. D’autres seraient venus grossir les rangs depuis l’Espagne où ils se laissèrent surprendre par le début du conflit ; d’autres encore seraient arrivés de manière individuelle comme c’est le cas du protagoniste de cette histoire.

Il y a des estimations différentes du nombre de brigades cubaines parvenues en Espagne. Dans le livre intitulé Los voluntarios cubanos en la guerra de España 1936-1939 de Lolo Milanés paru en 2011, on parle de plus de mille bénévoles.

Le 6 août 1936 Pablo écrit à son épouse une lettre où il montre son enthousiasme pour commencer le voyage : « J’ai eu une idée merveilleuse, je vais en Espagne, à la grande révolution espagnole. Je vais en Espagne pour être emporté par le grand fleuve de la révolution (…) Je parlerai bientôt avec la Pasionaria, la cheffe des femmes au cœur d’acier » et ce fut ainsi : Pablo obtint les laisser-passer comme correspondant du quotidien américain New Masses et de El Machete du Mexique ; après un vol pour Paris, il arriva à Barcelone. C’est là qu’il s’imprègne de l’enthousiasme révolutionnaire catalan, des collectivisations et de la force de la JSU.

Durant les trois mois intenses passés en Espagne, il écrivit quatorze chroniques qui nous permettent de suivre son itinéraire pendant la guerre ; rassemblées dans le livre intitulé Peleando con los milicianos (2011), elles sont considérées comme un exemple de journalisme contemporain mais aussi engagé aux côtés des protagonistes de ses écrits.

La plume à la main, il fut témoin des moments les plus remarquables de la guerre, il accompagna El Campessino et, sans renoncer à l’écriture, il s’arma en devenant Commissaire de guerre. En novembre 1936, il aurait écrit : « Mon poste de Commissaire de guerre est peut-être une erreur du point de vue journalistique, mais, pour me justifier pleinement, tu comprendras qu’en ces moments tragiques il fallait abandonner toute fonction qui n’aurait pas été la plus strictement révolutionnaire ». Ses tâches furent essentiellement l’alphabétisation et la propagande. Durant ce travail il noua une profonde amitié avec Miguel Hernandez.

Pendant les jours de bataille dans la sierra autour de Madrid on connut également ses harangues contre l’ennemi ; au milieu de la nuit, dans le face à face des tranchées, les deux camps combattaient verbalement, échangeant insultes et discours. Le cubain fut protagonite de l’un d’eux sur une colline près de la commune de Buitrago de Lozoya.

En décembre 1936 la pression grandissait sur Madrid et la mort, toujours impertinente, frappa le cubain près de Majadahonda. Dès lors, ses compagnons firent tout leur possible pour protéger son corps dans le but ultime de le ramener à Cuba conformément à la volonté du défunt. Le combattant cubain Policarpe Candon racontait que, quand ils récupérèrent son corps, ils découvrirent que ce sacré Pablo avait essayé de cacher ses documents à l’ennemi en les enterrant.

Le corps fut d’abord inhumé dans le cimetière de Chamartin ; plus tard ses restes furent transférés à Barcelone ; avant l’arrivée des troupes franquistes, dans l’impossibilité de partir pour l’île, Pablo fut enterré à Montjuic en présence de personnalités de l’armée républicaine et de son ami Miguel Hernandez qui récita les vers bien connus de l’Elegia segunda... Quelques années plus tard, le corps
aurait été retiré de sa niche funéraire et enterré dans une fosse commune.

Il y eut trois enterrements du cubain qui laissa sa vie en Espagne ; ses ossements sont toujours là-bas en attendant leur retour à Cuba, afin que sa mémoire continue de raconter notre histoire à cœur ouvert.

A LA RECHERCHE DE PABLO, L’ECRIVAIN ET BRIGADISTE CUBAIN ENTERRE A MONTJUIC
Depuis les années 60, le consulat cubain veut récupérer les restes de ce journaliste et écrivain à qui le poète Miguel Hernandez a dédié le poème intitulé Elegia segunda dont Silvio Rodriguez fit par la suite une chanson.

Mais il n’est pas facile d’exhumer les restes de Pablo de la Torriente Brau…