Le prix de la pandémie

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Graziella Pogolotti dresse un bilan de la pandémie et de ses conséquences économiques et sociales en insistant sur les effets destructeurs de la perte du lien social. Elle affirme sa confiance dans la capacité de Cuba à y faire face, dans la science et dans le choix qui a été fait d’en soutenir la recherche de pointe. Par ailleurs, elle souligne la nécessité d’une réflexion philosophique et d’une redéfinition du modèle de civilisation.

 

 

 

 

Unique, incomparable, irremplaçable, la personne humaine a une valeur que les livres de comptes ne peuvent estimer.
La défendre à tout prix, considérer sa protection comme une priorité absolue, constitue l’expression concrète de la définition conceptuelle de la justice sociale. Ce qui implique non seulement d’assurer la plus grande équité possible dans la répartition des biens matériels mais aussi de faciliter un accès accru à la réalisation d’une spiritualité plus riche, affirmation du respect dû à la pleine dignité de l’homme. C’est ainsi que se traduit, concrètement, la lutte émancipatrice en faveur d’une vie telle que l’entendaient les fondateurs de la nation, « sans jeter l’opprobre et sans jamais attenter à la dignité ».

Les vies perdues constituent le coût le plus élevé de la pandémie qui nous accable, l’œuvre d’un virus invisible et omniprésent. On a mis à la disposition de ce combat majeur, les faibles moyens et le peu de biens de consommation de première nécessité y compris les denrées alimentaires et les médicaments, sacrifice assumé par la nation toute entière. A la fin, nous devrons sortir de ce cauchemar avec l’application concertée de mesures de protection et grâce à l’emploi des vaccins en phase d’essai clinique. Nous pourrons alors mesurer l’impact des coûts sur le plan financier et sur celui du développement de la société.

Au bilan des décès et à l’énorme investissement de moyens, s’ajoute les répercutions agissant sur la subjectivité. Les mesures d’isolement ont un impact négatif sur la stabilité psychologique, elles exacerbent la sensation d’anxiété et amplifient les tensions au sein des foyers- parfois trop exigus- accentuées par l’accumulation des reports de projets personnels.

La fermeture temporaire des écoles pose question concernant le moyen de rattraper des processus d’apprentissage interrompus. Quelques férus de futurologie inventent un avenir utopique pour une humanité numériquement interconnectée, avec l’atomisation du tissu social qui en résulte. Au contraire, les effets psychologiques du confinement démontrent que le dialogue présentiel entre les êtres humains est indispensable. La proximité nécessaire se manifeste à travers la parole et le très expressif langage du corps. Elle constitue l’oxygène qui nourrit la dimension spirituelle de la vie, des processus complexes qui préservent la culture et la cohésion sociale.

Au-delà des les velléités futurologiques, de par son ampleur planétaire et son haut degré de létalité, la pandémie a appelé de nombreux penseurs à une réflexion sur la nécessité de redéfinir le projet de civilisation dominante. Cet évènement a révélé, de manière brutale, notre extrême vulnérabilité dans un destin commun partagé.

La nature, maltraitée, reprend ses droits. Même si nous pouvions écarter le mal immédiatement, d’autres phénomènes pourront survenir dans un avenir plus ou moins proche. 

 Mère de toutes les sciences, la philosophie, longtemps sous-estimée retrouve ses lettres de noblesse et revendique le nécessaire retour de l’interdépendance entre les différents savoirs, tant ceux traitant de la connaissance des sciences exactes et naturelles, que ceux centrés sur l’analyse de la société et les contradictions résultant d’une conception illusoire du progrès fondé sur l’insatiable revendication de besoins matériels.

Bien que nous n’en ayons pas pleinement conscience, la demande de spiritualité représente aussi une exigence latente en notre for intérieur. Elle constitue cette autre soif à laquelle Onelio Jorge Cardoso fait si fréquemment allusion. La raison de la souffrance psychologique qui nous envahit, c’est cette sensation de vide causée par la perte du contact avec l’autre, complexe et stimulant, conséquence concrète du confinement. 

La pandémie appelle les cubains, assiégés pendant des décennies, pour la défense de notre projet émancipateur, et aujourd’hui, accablés par la dure récession économique, à mener à bien une valorisation équilibrée et sereine de ce que nous possédons.

Malgré les erreurs commises, notre capacité à faire face au fléau atteste de l’efficacité de notre stratégie de développement qui, même dans la grande précarité de la période spéciale, a soutenu l’incitation à la recherche scientifique de pointe. Aussi risquée qu’elle parût, la décision répondait au modèle de civilisation qui plaçait au premier plan la préservation de la vie humaine.

Nous disposons aujourd’hui de ressources propres permettant de faire face à la maladie et de compter sur les vaccins qui devront garantir la santé de tous. Une fois la crise de la pandémie vaincue, il faudra, pour panser les plaies et relancer le développement du pays, encore compter sur la participation active de la science, y compris celle qui analyse le tissu social. 

Tiré de Juventud Rebelde : Photo de : Yaimi Ravelo / Resumen Latinoamericano