Le voyage de Fidel Castro en France en 1995

Collectif « Mémoire des relations franco-cubaines »

Partager cet article facebook linkedin email

En plein re-confinement en France, nous avons l’honneur de vous faire faire connaître un texte écrit par Raul Roa Kouri, qui traite de la visite en France de Fidel en 1995. Beaucoup d’entre vous le connaissent. Il a été l’Ambassadeur de Cuba en France, de 1994 à 1998, donc en 1995, c’est lui qui a organisé la visite de Fidel. Cela n’a pas été facile en pleine "cohabitation", du Président Mitterrand et du 1er ministre Edouard Balladur. Raul nous fait part de sa participation, de son déroulement, et de l’importance de cette rencontre. En effet, c’était la 1ère visite en France du chef de l’État cubain, invité officiellement par l’UNESCO. Mise en page, photos et recherches internet : Gérard Verleye et Monique Peainchau.

En 1995, étant Ambassadeur de Cuba en France, j’ai reçu le Sénateur Michel Charasse(1), ami personnel du Président François Mitterrand(2), qui était venu récemment dans notre pays en compagnie de Madame Danielle Mitterrand(3), épouse du président et amie du Commandant en Chef. Monsieur Charasse m’a expliqué que le président français serait heureux de recevoir Fidel Castro, s’il venait en Europe dans les prochains mois.

J’ai répondu, qu’en effet, le Président Fidel Castro devait participer au Sommet sur l’Environnement qui aurait lieu à Copenhague au Danemark dans les semaines suivantes. Michel Charasse pensait que ce serait une bonne idée si Fidel profitait de ce voyage pour se rendre à Paris, sous n’importe quel prétexte (comme c’était une année électorale, en pleine « cohabitation » avec la droite, François Mitterrand considérait que celle-ci s’opposerait à une invitation officielle). Dans ce cas-là, Fidel serait accueilli à la maison destinée aux chefs d’État en visite officielle ; François Mitterrand lui offrirait un déjeuner à l’Élysée et le Président de l’Assemblée Nationale, M. Philippe Seguin(4), une réception dans les locaux de l’Assemblée Nationale avec d’autres députés.

Immédiatement, j’ai dit à Michel Charasse que je pouvais coordonner avec le Directeur Général de l’UNESCO, M. Federico Mayor(5) une visite de Fidel dans les locaux de l’UNESCO. En tant que Chef d’un État Membre, il avait le droit de s’adresser aux ambassadeurs et fonctionnaires présents à n’importe quel moment. Le Sénateur a bien accueilli l’idée qu’il allait transmettre au Président François Mitterrand.

Évidemment, je devais aussi consulter La Havane avant de contacter Federico Mayor. Ayant reçu le feu vert, j’ai demandé un rendez-vous au Directeur Général, qui venait d’arriver de New York et devait continuer ce jour même pour Genève. Il m’a reçu entre deux réunions, dans une petite chambre près de son bureau. Je lui ai tout expliqué et il m’a dit, enthousiaste, que lui aussi serait à Copenhague et m’a indiqué trois dates où il serait à Paris, après la conférence, et qu’il pourrait recevoir le Commandant personnellement.

Nous avons agi comme convenu et Fidel est venu en France directement du Danemark ; il a logé à l’Hôtel Marigny, ancienne propriété du baron de Rothschild à côté de l’Élysée.

La salle de conférences de l’UNESCO était remplie par les Ambassadeurs, fonctionnaires et membres du Secrétariat. Fidel a fait un discours extraordinaire, touchant tous les aspects d’intérêt général, en particulier, la science, l’Éducation, et la culture.

Fidel Castro pendant son discours à l’UNESCO et Federico Mayor

Après le parcours traditionnel du bâtiment, y compris les peintures murales de ce grand artiste latino-américain Oswaldo Guayasmín(6) qui les avait offertes à cette organisation.

Federico Mayor a reçu le dirigeant cubain dans son bureau. Fidel et le Directeur Général de l’UNESCO étaient devenus de bons amis après la visite de Mayor à Cuba, où je l’avais accompagné en tant que Délégué à l’UNESCO. Ils partageaient les mêmes préoccupations sur les principaux problèmes du monde : la destruction de la nature et ses effets sur le climat, le maintien de la paix, les dangers posés par la politique impérialiste visant à monopoliser les ressources du Tiers Monde, l’eau, le pétrole, les minéraux, etc. Ils sont restés toujours en contact et Mayor est venu à Cuba plusieurs fois, même après avoir quitté l’UNESCO.

Entre temps, j’avais préparé un programme (outre celui prévu par le Président Mitterrand à l’Élysée et à l’Assemblée Nationale) qui comprenait un dîner avec le Patronat Français au siège du CNPF avenue Marigny et plusieurs visites, au Musée du Louvre, aux Invalides où Fidel s’est recueilli sur le tombeau de Napoléon, à la Maison Victor Hugo (Place des Vosges), au Musée d’Orsay (la collection des peintres Impressionnistes), et au Château de Versailles.

Fidel Castro au Musée du Louvre devant la Joconde avec Jack Lang

J’avais également organisé une réception offerte par Fidel à la Maison de l’Amérique Latine ainsi que l’invitation de M. Gérard Bourgoin(7) (un fameux producteur de poulets).

Blouse blanche sur treillis vert et bottes de l’usine aux pieds, le « líder máximo » arpente, en compagnie de Gérard Bourgoin, l’unité de production de poulets, de Chailley, dans l’Yonne.

Nous sommes allés ensuite visiter une ferme de volailles avant de participer chez Bourgoin à un déjeuner où Fidel a été interviewé par la TV française. Là, nous avons tous profité d’un véritable pot-au-feu campagnard et savouré des fromages délicieux et nous avons dégusté un excellent grand cru classé de Chablis. Notre hôte a offert plus de 160 variétés de fromages à Fidel (qui est un amateur du fromage français) pour qu’il les emporte à La Havane.

Dans sa voiture, en rentrant de Bourgogne à Paris, Fidel, qui aime tout savoir, m’a demandé qui avait suggéré la visite à la maison de Victor Hugo. Ma réponse a été celle-ci :« Je savais que vous aviez toujours admiré l’œuvre et la vie de ce grand Français, tout comme José Martí, et je l’ai donc inscrite dans le programme.  » Il a souri.

Fidel Castro et François Mitterrand, le 13 mars 1995 à Paris I Michel Gangne / AFP

Le déjeuner à l’Élysée a été le moment où Fidel a pu échanger ses idées avec le Président Mitterrand et le remercier pour son accueil chaleureux. Les rapports entre Cuba et la France (en général corrects après la révolution) s’étaient améliorés pendant le mandat du président socialiste : le tourisme, le commerce, les relations culturelles et autres se développaient et les contacts entre les dirigeants aussi.

Fidel et la Garde Républicaine

Auparavant, en 1994, une délégation de l’Assemblée nationale, dirigée par le député-maire d’Issy, M. André Santini(8), avait fait un rapport très positif sur les possibilités d’échanges franco-cubains dans plusieurs domaines, de l’économie, de la science à la culture. Cette même année, le Patronat français, représenté par M. Jean-Pierre Desgeorges(9) et plusieurs membres de l’organisation, avaient eu des conversations à La Havane avec des dirigeants de divers secteurs, dont le ministre de la planification, le président de la Banque nationale, le ministre du Tourisme et autres. L’Ambassadeur français, Jean-Raphael Dufour(10), avait organisé un déjeuner pour la délégation à laquelle ont assisté le Président Castro avec plusieurs ministres et moi-même, Ambassadeur désigné en France peu avant. Les résultats de cette rencontre étaient, eux aussi, prometteurs.

Á l’Élysée, le Président Mitterrand a réaffirmé la position de la France contre le blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba par les États-Unis, expliquant à Fidel qu’il avait exprimé à son homologue nord-américain, Bill Clinton, qu’il le trouvait injuste et injustifié, voire anachronique.

Fidel a été également l’invité de la Fondation France Libertés dont Madame Danièle Mitterrand est la créatrice et la Présidente.

La visite de Fidel en France a donc été une base solide pour l’adoption de mesures, du côté français, qui ont relancé les relations entre nos deux pays et qui sont restées en vigueur même pendant la présidence de M. Jacques Chirac.

 la réception offerte par Fidel à la Maison de l’Amérique latine, les Ambassadeurs de notre région et des Cubains résidant en France y ont assisté. Beaucoup d’autres amis français étaient invités, notamment l’ancien Ambassadeur à Cuba, Monsieur Jean-Louis Marfaing(11) et son épouse, Madame Mitterrand et son assistante à l’Élysée Madame Anne Lamouche, ainsi que Monsieur et Madame Jean Lamore(12) et d’autres dirigeants et membres d’Associations de solidarité avec Cuba, notamment, Monsieur Paul Estrade(13) de l’Association France-Cuba et Monsieur Roger Grévoul(14) de l’Association Cuba Coopération, ainsi que des représentants des partis Socialiste et Communiste français, des intellectuels et des artistes.

Fidel était aussi l’invité de Georges Marchais(15) et Liliane, sa femme. Cette rencontre chaleureuse a eu lieu dans son petit pavillon de banlieue à Champigny-sur-Marne. Après environ 2 heures d’échanges, en sortant, Fidel a accepté de dire quelques mots au journal L’Humanité : « Je viens de passer une soirée très très agréable « en famille » avec mon ami Georges Marchais, et je me suis senti très heureux.  »

En revanche, après sa visite à Versailles, il a écrit dans le livre d’honneur (je cite de mémoire) : « J’espère que jamais plus personne ne bâtira un palais aussi somptueux pour satisfaire ses caprices personnels tandis que le peuple souffre l’exploitation, la pauvreté et la faim.  »

En allant à l’aéroport, le Commandant m’a confié que sa première visite en France avait été très intéressante, en général, mais que c’était la France profonde qui l’avait séduit.

Je crois que les Français, eux aussi, étaient contents que Fidel Castro ne soit pas resté seulement à Paris, comme la plupart des visiteurs officiels, mais qu’il ait pris du temps pour connaître un peu plus leur beau pays. 

Raul Roa Kouri

’La mémoire des mains de Fidel’ peinte par Oswaldo Guayasamín

Pour information :

1. Michel Charasse : (1941-2020) Ministre du budget (1988-1992) Sénateur (Parti Socialiste).
2. François Mitterrand : (1916-1996) Président la République française de 1981 à 1995.
3. Danielle Mitterrand : (1924-2011) Créatrice et Présidente de la Fondation FRANCE-LIBERTÉS (de 1986 à 2011) Épouse du Président de la République Monsieur François Mitterrand.
4. Philippe Seguin : (1943-2010) Président de l’Assemblée Nationale de 1993 à 1997.
5. Federico Mayor : (Espagnol) Directeur Général de l’UNESCO de 1987 à 1999.
6. Oswaldo Guayasamin : (1919-1999) Équatorien, Peintre expressionniste du réalisme social, sculpteur, Ami de Fidel Castro.
7. Gérard Bourgoin : Homme d’affaires, surnommé le « roi du poulet » car il était à la tête d’un des plus grands groupes volaillers français à Chailley (Yonne). Il fournissait des poulets à Cuba et il avait investi dans la prospection pétrolière (avec Gérard Depardieu)
8. André Santini : Homme politique. Député-Maire d’Issy-les-Moulineaux
9. Jean-Pierre Desgeorges : Une délégation de 30 représentants du CNPF conduite par son vice-Président, Jean-Pierre Desgeorges qui avait déclaré : « La loi Helms-Burton ne fait pas peur aux entreprises françaises ».
10. Jean-Raphael Dufour : Ambassadeur de France à Cuba de Mai 1993 à Février 1997.
11. Jean-Louis Marfaing : Ambassadeur de France à Cuba de 1985 à 1990. Administrateur de la Maison de l’Amérique latine à Paris.
12. Jean Lamore : Professeur de l’Université de Bordeaux. Écrivain, spécialiste de Cuba.
13. Paul Estrade : Professeur émérite à Paris VIII. Historien, écrivain, spécialiste de Cuba, de José Marti, et de l’Amérique latine. Fondateur et ex-président de l’Association de solidarité FRANCE-CUBA.
14. Roger Grévoul : Fondateur et ex/président de l’Association de solidarité : CUBA-COOPÉRATION
15. Georges Marchais (1920-1997) Secrétaire Général du Parti Communiste français de 1972 à 1994. Député de 1973 à 1997. Député européen de 1979 à 1989.

Fidel est revenu en France pour les obsèques de François Mitterrand le 11 janvier 1996 (décédé le 8 janvier 1996). Il était présent dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris, au 1er rang, avec les dirigeants de nombreux pays. »

Fidel entouré du Prince RAINIER III de MONACO (à gauche) et du Grand-Duc Jean de Luxembourg (à droite).