Restauration d’une plantation de café des colons français de la Sierra Maestra

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A l’occasion de la Journée Internationale des Monuments et des Sites le 18 avril, La casa Dranguet de Santiago de Cuba, siège du Centre d’Interprétation et de Divulgation du Patrimoine Culturel Caféier et du projet Les Chemins du Café, diffuse un article, extrait de La revue du Conseil National d’Archéologie et d’Ethnologie, publié en 1962.
Il montre que très tôt, et peut-être à l’encontre de certains préjugés, la Révolution a eu parmi ses priorités non seulement l’éducation, la santé, le sport et la culture pour tous, mais aussi la recherche historique, le sauvetage, la conservation et la réhabilitation des vestiges du passé, sans aucun a priori idéologique, en vue de leur ouverture au public et également l’écologie avec le reboisement de la Sierra Maestra.
L’article original étant fort long, plusieurs paragraphes, concernant les aspects techniques de la restauration des communs ont été omis dans cette traduction. P. Hébert

Article publié par la Casa Dranguet de Santiago de Cuba le 17 avril 2021, traduit par Pascale Hébert

Cet article est le résumé d’un patient travail de recherche, de compilation, d’étude et de restauration d’une plantation de café des colons français du XIXème siècle dans la Sierra Maestra. Un chantier inspiré par la Révolution dans son ardent désir de mettre au jour et de faire part des connaissances historiques du et au peuple cubain. On y a travaillé avec un harmonieux ensemble formé de paysans, d’ouvriers, de l’Armée Rebelle, du Gouvernement Révolutionnaire, d’étudiants, de professeurs et de personnes du voisinage, dans le but d’obtenir dans le temps et dans l’espace l’expression d’un facteur déterminant dans l’origine et dans la vie du peuple cubain.

Les premiers travaux ont commencé avec l’aide de l’Armée Rebelle. Ensuite le Ministère de l’Agriculture leur a apporté toute sa chaleur et son impulsion, plus tard le Ministère des Travaux Publics les a poursuivis jusqu’à voir ces jours-ci l’aboutissement du chantier : un Musée où apparaît de manière limpide une strate qui correspond à l’économie et à la société cubaine.

SITUATION

Sur l’épine dorsale de la Sierra Maestra dans le secteur de la Gran Piedra et à moins de 2 kilomètres à l’est de la Piedra, au bord de la voie principale, […] se trouvait la maison et les dépendances de La Isabelica, construite par le colon français Victor Constantin, fondateur de cette plantation et de plusieurs autres.

Le site avait été soigneusement sélectionné. A quelques mètres du sommet de la montagne, il offre, comme on pouvait s’y attendre, une vue magnifique qui embrasse l’horizon sur plus de 270 degrés, sur une distance de 100 kilomètres. Cependant il est merveilleusement abrité des vents du Sud et du Nord-Ouest […]

Assez plat, il offrait l’espace suffisant pour y implanter aisément l’ensemble des constructions et sans présenter l’inconvénient de trop abruptes dénivellations.

Ce sympathique endroit est situé à 1150 mètres au dessus du niveau de la mer ; il est sur la ligne de partage des eaux, les unes s’écoulant vers le Nord pour grossir le bassin du fleuve Baconao et les autres coulant vers le Sud pour se déverser dans la mer des Caraïbes face au Détroit de Colomb.

Seize kilomètres d’un chemin tortueux mais carrossable pour les voitures relient La Isabelica à la route Santiago-Siboney, à l’embranchement de Las Guásimas. […]

HISTORIA

A la suite de la Révolution Haïtienne, les colons survivants de ce drame ont débarqué à Santiago de Cuba. Les autorités espagnoles les ont reçus (excepté les militaires) avec bienveillance du point de vue économique, mais pas sur le plan politique : des désaccords entre le Gouverneur […] et l’Evêque […] ont valu aux Français émigrés de nombreux contretemps. Pour finir, des groupes se sont établis dans les montagnes incultes, La Isabelica étant l’un de leurs établissements. […]

Le café, l’indigo, le coton et le sucre furent l’objet d’intenses cultures et de profondes et profitables améliorations dans leur production et leur commercialisation, grâce à l’application des sciences, des arts et d’un esclavage mieux compris.

Cette institution odieuse, injuste et irrationnelle a provoqué, comme c’était prévisible, des rébellions et des soulèvements. Pendant la Guerre de 1868, Le Cri de l’Indépendance fut repris et la révolte des esclaves et l’Armée de Libération réglèrent leur compte par le feu à un grand nombre de plantations de café qui furent réduites en ruines, en cendres et à l’état de décombres que la végétation et l’abandon envahirent rapidement. Les cyclones et les tremblements de terre firent tomber quelques murs, contribuant ainsi à leur destruction.

Depuis lors et jusqu’à la deuxième décennie du XXème siècle, il n’y avait presque pas d’informations sur ces plantations en ruine qui, de ce coté de la Sierra, sont au nombre d’une cinquantaine, certaines étant de surprenantes dimensions. Les chemins avaient été recouverts de broussailles, d’arbres et d’éboulis et en 1930 ils étaient impraticables, même à pied, dans leur immense majorité. L’auteur¹, qui a commencé à s’intéresser à la chose pendant l’été 1930, devait généralement faire de longues marches à pied dans la forêt tropicale qui recouvrait tout.

PERIODE DE RECHERCHE

A l’époque du triomphe de la Révolution, Le Département du Reboisement de l’Armée Rebelle s’était déjà intéressé à deux choses : la reforestation de la Sierra Maestra qui avait été en grande partie déboisée et la restauration de quelques ruines qui conserveraient pour le présent et pour l’avenir les éléments grâce auxquels se sont développés la culture, l’industrie et le commerce du café.

Efficacement aidés par une vingtaine de Rebelles, nous avons entrepris le nettoyage du chemin et de l’accès aux ruines et la sélection de la plus intéressante ; le choix s’étant finalement porté sur La Isabelica.

Avec le plus grand soin, il a été procédé à l’arrachage de la végétation qui recouvrait les décombres, les canaux et les autres endroits qu’il était indispensable de nettoyer.

Ce travail a ensuite été confié au Ministère de l’Agriculture, sous les auspices duquel a été créé le Parc National de la Gran Piedra, son périmètre incluant dix autres plantations en ruines.

L’extraction des décombres a été faite soigneusement en triant non seulement les pierres, mais aussi les pièces métalliques, les restes de céramique, les morceaux de verres, les bois brûlés, le charbon et la terre qui ont été ratissés et tamisés afin de recueillir les spécimens qui ont été retrouvés en abondante quantité : parmi ceux-ci, des pièces de monnaie, des dés à coudre, des ciseaux, des récipients , des verres de lunettes, des boutons, etc … […]

Les ruines une fois nettoyées, en respectant toujours les peintures, les crépis, les patines et même la mousse d’origine, s’est trouvé découvert, tel un immense casse-têtes, le labyrinthe des murs, des canaux, des escaliers, etc …

On voyait déjà clairement défini l’emplacement du bâtiment-entrepôt, de la cuisine avec son magnifique four, des séchoirs, du vestibule, de l’écurie et de la charreterie, du petit baraquement des esclaves, du moulin ou « mulén », du four à chaux et des circulations qui articulaient tout le système de l’installation caféière.

Le moulin. Photo site Ecured

Caféière La Isabelica. Photo M. Silk. Site Visitar Cuba

Une série de rainures, de cavités et d’alvéoles apparaissaient dans les murs et correspondaient à la charpente en grosses pièces de bois que supportent toutes ces constructions. Il a fallu les agencer pour donner la solidité nécessaire aux murs non sans avoir calculé les charges admissibles qui se sont avérées satisfaisantes pour tous ceux qui ont été vérifiés sauf pour un de la cuisine.

Parallèlement à ce travail, il fallait réaliser une recherche exhaustive avec un témoignage photographique des constructions qui avaient échappés aux incendies de 1868 et 1895. (Fraternité, Mount Vert et Naranjos).

{}On a étudié les pièces de bois, la façon dont elles étaient travaillées, leurs entures, leur décoration, leurs angles, leurs assemblages, leurs proportions et leur distribution afin de placer les morceaux non seulement au bon endroit mais de manière appropriée.

Il a été possible de réutiliser directement quantité de pièces telles que de la serrurerie, des portes, etc… provenant toutes de propriétés en ruines ou de certaines parties des constructions qui avaient survécu. […]

Les bâtiments d’habitation sont généralement séparés entre, d’une part, la « grande maison » ou maison des maîtres propriétaires qui est invariablement une maison-entrepôt […] et, d’autre part, la cuisine, les latrines, les salles de bains ou pièces non-nobles qui se trouvent totalement séparées de la maison […] Nous supposons que cette norme avait été établie dans l’intention d’éviter que café entreposé ne soit contaminé par des fumées et des vapeurs qui auraient pu gâter ou modifier l’arôme du précieux grain.

Le baraquement des esclaves […] se différencie du baraquement des entreprises sucrières en cela que celui de l’entreprise caféière a toutes ses portes qui donnent sur l’extérieur et à l’air libre […]

Restauration de La Isabelica, premier musée créé par la Révolution. Photo archives OCC.

RESTAURATION DE LA MAISON-MAGASIN

La maison-entrepôt ou d’habitation, comme nous l’avons dit, forme un tout. Dans le cas de La Isabelica, l’habitation était au premier étage et le rez-de-chaussée était occupé par l’entrepôt. Celui-ci était divisé en trois grands espaces, par des murs solides sans portes intérieures ; l’un servait de resserre pour l’outillage […], la Loi de la Colonie exigeait […] : « dans tout domaine il y aura une pièce sûre destinée au dépôt des outils de culture dont la clé ne sera jamais confiée à un esclave ». Le deuxième espace, central, était destiné au stockage du café […] chaque mur étant doté d’un[…] trou pour le passage des chats, pour éviter la reproduction des souris. D’un côté il y avait un dépôt ou réserve de chaux vive dont le rôle était, semble-t-il, d’éviter la prolifération des champignons qui font « suer » le café et altèrent son bon goût. Le suivant et troisième espace servait de salle de criblage et de travail et sûrement de deuxième entrepôt en cas de récolte surabondante. […]

Les murs, crépis, patines, etc … ayant été respectés, les sols ont été réparés et les manques comblés aux endroits nécessaires. Les encadrements, les linteaux et les portes et fenêtres ont été replacés. Quand on passe au logement […] l’intérieur, sur le même modèle que celui de Naranjos, a réutilisé les cavités des poutres d’origine et il a comme support un double système qui renforce le sol dans les deux sens, sur ceux-les planches et sur les planches, les petites lames qui […]font toute la beauté du parquet en lui donnant une apparence si agréable et accueillante. Le bois qui recouvre le sol est scrupuleusement ciré et lustré comme le veut la tradition […]

Comme il s’agit d’un Musée, il n’aurait pas été prudent de diviser l’habitation en petites pièces […]

MOBILIER

La collecte du mobilier de La Isabelica a été un fait providentiel. Des familles qui conservaient avec un véritable amour des souvenirs de famille ont généreusement fait don de pièces de mobilier que leurs ancêtres avaient sauvées des guerres, des incendies, des faillites économiques et des tremblements de terre.[…]

Des lampes, des lanternes, des fanaux, des cages, des jarres, des tapis, des instruments de couture et de repassage, ont été collectés, restaurés, conservés et préparés pour être exposés. La liste est longue.

Au début, il a été difficile de trouver parmi les nombreux paysans qui travaillaient là une personne qui s’intéresse à la collecte et au nettoyage des débris de poterie, des bouts de verre, des tessons de bouteilles. Par la suite, trois individus se sont portés volontaires, deux adultes et un jeune,[…] Darwin Deas, 15 ans (…] a commencé patiemment à rassembler les morceaux qui constituaient une même pièce, à les coller avec un ciment spécial, à remplacer les parties manquantes par du plâtre, en les modelant, etc … Ensuite, il a appris à les peindre. Ainsi la collection de vaisselle restaurée s’est rapidement agrandie. Une intéressante collection de poids et mesures a été constituée […] Une excellente collection d’outils est exposée dans la salle réservée à l’outillage. Grâce à des familles de Guantánamo, notamment, on a rassemblé des photographies, des daguerréotypes, des dessins au crayon, des gravures, des lithographies […]

En annexe à ce travail de recherche archéologique, nous avons préparé un recueil qui fera l’objet d’une publication différenciée […]

1 Fernando Boytel Jambú ( NdT)

2 NdT : le site La Isabelica Museum (Santiago de Cuba Province) de tripadvisor présente une belle galerie de 37 photos.

https://casadranguet.wordpress.com/2021/04/17/restauracion-de-un-cafetal-de-los-colonos-franceses-en-la-sierra-maestra :