Qui se cache derrière Yoani Sanchez ?

Partager cet article facebook linkedin email

La célèbre blogueuse havanaise Yoani Sánchez est un personnage singulier dans l’univers de la dissidence cubaine. Jamais aucun opposant n’avait bénéficié d’une exposition médiatique si massive ou d’une reconnaissance internationale aussi importante en si peu de temps.

Un article de Salim Lamrani *

Qui se cache derrière Yoani Sánchez ?

{{}}

En 2004, deux ans après avoir émigré en Suisse, elle décide de revenir à Cuba. En 2007, elle intègre l’univers de l’opposition à Cuba en créant son blog Génération Y et devient une détractrice acharnée du gouvernement cubain.

Jamais aucun dissident à Cuba – et peut être dans le monde entier – n’a réussi à obtenir autant de prix internationaux en si peu de temps, avec cette caractéristique particulière : ces prix ont fourni à Yoani Sánchez suffisamment d’argent pour vivre tranquillement à Cuba pour le restant de sa vie. En effet, la blogueuse a été rétribuée à hauteur de 250 000 euros au total, c’est-à-dire l’équivalent de plus de 20 ans de salaire minimum dans un pays comme la France, cinquième puissance mondiale. Le salaire minimum mensuel à Cuba étant de 420 pesos, c’est-à-dire 18 dollars ou 14 euros, Yoani Sánchez a obtenu l’équivalent de 1 488 années de salaires minimum cubain pour son activité d’opposante.

Un câble diplomatique de la Section des Intérêts Nord-américains (SINA), classé top secret en raison de son continu sensible, révèle que Yoani Sánchez est étroitement liée à la diplomatie étasunienne à Cuba. Michel Parmly, ancien chef de la SINA à La Havane, qui se réunissait régulièrement avec Yoani Sanchez dans sa résidence diplomatique personnelle, comme le prouvent les documents officiels de la SINA, a fait part de son inquiétude au sujet de la publication des câbles diplomatiques étasuniens par Wikileaks : « Je serai très gêné si les nombreuses conversations que j’ai eues avec Yoani Sánchez étaient publiées. Elle pourrait en payer les conséquences toute sa vie. » La question qui se pose immédiatement est la suivante : pour quelle raison Yoani Sánchez serait-elle en danger si sa conduite, comme elle l’affirme, reste dans le cadre de la légalité ?

En 2009, la presse occidentale avait fortement médiatisé l’interview accordée par le président Barack Obama à Yoani Sánchez, un événement qui avait été qualifié d’exceptionnel. Sánchez affirme également qu’elle a envoyé un questionnaire similaire au président cubain Raúl Castro, des questions auxquelles ce dernier n’aurait pas daigné répondre. Cependant, les documents confidentiels de la SINA, publiés par Wikileaks, contredisent ces déclarations.

En effet, ces documents révèlent qu’en vérité c’est un fonctionnaire de la représentation diplomatique étasunienne à La Havane qui s’est chargé de rédiger les réponses aux questions de la dissidente et non le président Obama. Plus grave encore, Wikileaks a révélé que Sánchez, contrairement à ses affirmations, n’a jamais envoyé un tel questionnaire à Raúl Castro. Le chef de la SINA, Jonathan D. Farrar, a confirmé ce fait dans un courrier envoyé au Département d’Etat : « Elle n’attendait pas de réponse, puisqu’elle a avoué qu’elle ne les [les questions] avait jamais envoyées au président cubain »

Le compte Twitter de Yoani Sánchez

En plus du site Internet Génération Y, Yoani Sánchez dispose aussi d’un compte Twitter qui affiche plus de 214 000 abonnés (au 12 février 2012). Seuls 32 d’entre eux résident à Cuba. Pour sa part, la dissidente cubaine suit plus de 80 000 personnes. Sur son profil, Sánchez se présente de la manière suivante : « Bloggueuse, je réside à La Havane, et je raconte ma réalité en morceaux de 140 caractères. Je twitte via sms sans accès à internet. »

Cependant, la version de Yoani Sánchez est dure à croire. En effet, il est absolument impossible de suivre plus de 80 000 personnes uniquement par sms ou en se connectant une fois par semaine dans un hôtel. Un accès quotidien à la toile est pour cela indispensable.

La popularité sur le réseau social Twitter dépend du nombre d’abonnés. La visibilité d’un compte est d’autant plus grande que les abonnés sont nombreux. De la même manière, il existe une forte corrélation entre la visibilité d’un compte et le nombre de personnes suivies par celui-ci. La technique qui consiste à suivre de nombreux comptes est fréquemment utilisée à des fins commerciales, elle est aussi employée par les hommes politiques pendant les campagnes électorales.

Le site www.followerwonk.com permet d’analyser le profil des abonnés de n’importe quel membre de la communauté Twitter. Dans le cas de Yoani Sánchez, cette étude est révélatrice pour diverses raisons. L’analyse des données du compte Twitter de la blogueuse cubaine, réalisée par ce site, révèle une activité impressionnante du compte de Yoani Sánchez à partir de 2010. Ainsi, à partir de juin 2010, Sánchez s’est abonnée à plus de 200 comptes Twitter chaque jour, avec des pics à 700 par jour. A moins de passer jour et nuit sur Twitter – ce qui est très peu probable – il est impossible de s’abonner à autant de comptes en si peu de temps. Cette activité semble donc être le fait d’un robot informatique.

Aussi, il s’est avéré que près de 50 000 abonnés à Sánchez sont en réalité des comptes fantômes ou inactifs, qui donnent l’impression que la blogueuse cubaine jouit d’une grande popularité sur les réseaux sociaux. Sur les 214 063 profils du compte @yoanisanchez, 27 012 n’ont pas de photo, et 20 000 ont les caractéristiques de comptes fantômes et sont inactifs sur le réseau (de zéro à trois messages envoyés depuis la création du compte).

Parmi les comptes fantômes abonnés à Yoani Sánchez sur Twitter, 3 363 n’ont aucun abonné et 2 897 ne sont abonnés qu’au compte de la blogueuse, ou à un ou deux comptes. De plus, certains comptes présentent des caractéristiques plutôt étranges : ces comptes n’ont aucun abonné, ne sont abonnés qu’à Yoani Sänchez et ont envoyé plus de 2 000 messages.

Cette opération visant à créer une popularité fictive via Twitter est impossible à réaliser sans accès à Internet. Elle demande un appui technologique ainsi qu’un budget important. Dans un article nommé « Popularité fictive, la nouvelle stratégie des hommes politiques sur Twitter », le quotidien La Jornada livre les résultats d’une enquête sur les opérations médiatiques des candidats à la présidentielle mexicaine. L’article révèle que de nombreuses entreprises des Etats-Unis, d’Asie et d’Amérique Latine offrent ce service de popularité fictive à des tarifs élevés. « Pour une armée de 25 000 abonnés fictifs sur Twitter – indique le journal – l’on paye jusqu’à 2 000 dollars et pour 500 profils gérés par 50 personnes il faut payer entre 12 000 et 15 000 dollars ».

Yoani Sánchez envoie une moyenne de 9,3 messages par tour. En 2011, la blogueuse a publié une moyenne de 400 messages par mois. Le prix d’un message à Cuba est d’un peso convertible (CUC), ce qui représente un total de 400 CUC mensuels. Le salaire minimum à Cuba est de 420 pesos cubains, c’est-à-dire environ 16 CUC. Chaque mois, Yoani Sánchez dépense l’équivalent de deux ans de salaires minimum à Cuba. Ainsi, la blogueuse dépense à Cuba une somme qui correspondrait en France à 25 000 euros mensuels sur Twitter, c’est-à-dire 300 000 euros annuels. D’où proviennent les fonds nécessaires à ces activités ?

D’autres questions se posent inévitablement. Comment Yoani Sánchez peut-elle suivre plus de 80 000 comptes sans un accès permanent à Internet ? Comment a-t-elle pu s’abonner à près de 200 comptes différents chaque jour en moyenne depuis juin 2010, avec des pics à 700 comptes ? Combien de personnes suivent réellement les activités de l’opposante cubaine sur le réseau social ? Qui finance la création de comptes fictifs ? Avec quel objectif ? Quels intérêts se cachent derrière le personnage de Yoani Sanchez ?

*Diplômé de l’Université de La Sorbonne, et chargé de cours à l’Université Paris-Descartes et à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Salim Lamrani est un journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il est l’auteur de Fidel Castro, Cuba et les Etats-Unis (2007) et Double morale. Cuba, l’Union Européenne et les droits de l’homme (2008), entre autres livres.