L’autonomie de base pour la production agricole

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C’ÉTAIT annoncé : dans le cadre de l’actualisation du modèle économique cubain, le pays s’était proposé d’obtenir une gestion plus efficace des Unités de base de production coopérative (UBPC), notamment à travers la levée des obstacles à leur fonctionnement.

À cette fin, le Comité exécutif du Conseil des ministres a adopté une série de mesures appelées à assurer une autonomie que ces entités n’avaient encore que sur le papier, et dont elles n’ont que très peu bénéficié jusqu’à présent. Parmi ces nouveautés figure un Nouveau règlement général qui vient de paraître dans la Gazette officielle de la République de Cuba, dans son édition extraordinaire du numéro 37.

Améliorer le fonctionnement des Unités de Base de production coopérative (UBPC)

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Créées en 1993 dans le but de revitaliser le système de production agricole, les UBPC ont vu le jour à partir des fermes d’État, et dont le fonctionnement était régi par quatre principes essentiels :

  • la relation du cultivateur avec la terre comme stimulant de la production,
  • la capacité d’auto-approvisionnement des travailleurs et de leurs familles,
  • la corrélation entre production et les revenus,
  • et le développement effectif de l’autonomie de gestion.

Des principes énoncés dans le Décret-loi No 142 de 1993.

L’octroi de terres en friche en usufruit pour un temps indéfini aux UPBC, ainsi que de moyens essentiels de production, et la garantie des disponibilités en main-d’œuvre et le fait de se savoir « propriétaires » de la production apparaissaient comme les points forts de l’engrenage conceptuel et juridique de cette modalité de gestion.

À ceci s’ajoutait la possibilité de choisir ses propres dirigeants et d’ouvrir leurs propres comptes en banque, d’honorer leurs obligations fiscales, et de conserver et de partager les bénéfices entre les membres. Ceci du moins en théorie…

Mais cette « harmonie » dans le contenu n’a jamais pu être articulée d’une manière organique. Ainsi, les entreprises d’État ont considéré les UBPC comme des annexes immédiates, et souvent il semblait « normal » de leur imposer des objectifs à atteindre, des dirigeants et des conditions salariales.

Résultat : la personnalité juridique de ces formes de production coopérative a été reléguée à un statut de subordination et de non reconnaissance, à tel point qu’il était interdit aux UBPC d’établir des relations contractuelles avec d’autres entreprises d’État.

Cette subordination qui s’exerçait donc de plusieurs manières, y compris l’application de résolutions et de procédures totalement étrangères au fonctionnement des UBPC.

À ces pratiques qui entravaient leur développement s’ajoutaient les insuffisances en matière d’organisation et de production, sans oublier les conséquences des facteurs climatologiques, qui ont aggravé les dettes héritées de leurs prédécesseurs, ainsi que les pertes.

LE VRAI RÔLE DES UBPC

« En 1994, un après leur constitution, on dénombrait à Cuba 2 519 UBPC. Elles sont aujourd’hui au nombre de 1 989, dont la grande majorité sous la juridiction du système du ministère de l’Agriculture (MINAG)  », a expliqué à Granma Julio A. Martinez, directeur national du Département pour la promotion des Unités de base de production agricole de cet organisme.

Les UBPC occupent plus 1,77 million d’hectares, soit environ 28% de la surface agricole du pays. Cependant, 23% des terres placées sous leur contrôle ne sont pas cultivées, ce qui montre que leur potentiel est encore loin d’être exploité, expliquant les faibles productions
enregistrées.

« Environ 15% de ces coopératives ont bouclé l’année 2010 avec des pertes, et 6% d’entre elles n’ont même pas présenté de bilan », a ajouté Martinez.

Il a précisé qu’en général ces UBPC ont bénéficié d’un traitement financier – du budget de l’État – de plus de 3,3 milliards de pesos. « La Banque a même dû leur accorder un délais pour leur permettre de régler leurs dettes, et aussi diminuer les taux d’intérêt pour leur donner quelque répit », a-t-il dit.

Selon ce fonctionnaire, à la fin de 2010 les UBPC appartenant au système du MINAG ont accumulé des dettes estimées à 1,229 million de pesos, et des pertes au cours des années précédentes de l’ordre de 680 millions de pesos. Ceci sans compter les dettes « héritées » des coopératives qui ont été dissoutes. « Résultat : un capital négatif de 2,112 milliards de pesos ! Autrement dit, ces unités produisaient par miracle ! ».

En 19 ans d’existence, ces unités ont été soumises pour la première fois à un diagnostic intégral rigoureux qui a mis a jour leurs faiblesses.

« Une catégorisation préliminaire a permis de les répartir en trois groupes principaux. Le premier groupe est composé de celles qui réunissent des conditions productives et économiques favorables, possèdent le capital humain nécessaire et se caractérisent par la stabilité de leurs structures de gestion. 540 UBPC répondent à ce critère (112 appartenant aux systèmes du Groupe sucrier) », a signalé Martinez.

« Le deuxième groupe réunit les UBPC présentant des difficultés au niveau de l’organisation, de la production et de la gestion économique et financière, mais qui sont à même de remédier à leurs problèmes à travers une série de mesures, et créer les conditions favorisant l’amélioration de la production. Ce groupe réunit le gros des UBPC (1 122), qui représentent 57% du total.

Un troisième groupe comprend les UBPC qui sont dans une situation critique et n’ont aucune possibilité de relance. Elles sont au nombre de 327 et appartiennent toutes au système de l’Agriculture  », a-t-il affirmé.

Cette catégorisation a permis de procéder à une réorganisation des UBPC du Groupe sucrier et d’amorcer progressivement celle des coopératives placées sous la tutelle du ministère de l’Agriculture.

DES CAPITAUX POUR LE CHANGEMENT

Prioritairement, il était indispensable de définir un traitement financier qui permette aux UBPC, à partir d’un stimulant et de mesures nécessaires pour relancer leur production, de rembourser à moyen terme leurs dettes bancaires et fiscales, ainsi que celles contractées envers les entreprises d’État.

«  D’abord, on a modifié la destination des 166 millions de pesos prévus dans le budget de l’État pour 2012 comme capital de travail, ce qui couvrira une partie des pertes accumulées pendant les années précédentes par les UBPC appartenant aux 1er et 2e groupes, qui s’élèvent à 332,1 milliards de pesos, ainsi qu’une partie de leurs dettes envers la Banque et les entreprises d’État.

« Le reste sera couvert par l’introduction, à partir de 2013, d’un impôt de 5% sur les revenus bruts, perçu au profit du Budget de l’État, qui constituera une source de capitalisation de ces formes de production. Les dettes bancaires seront renégociées sur une période de 25 ans maximum.

« Par ailleurs, les UBPC ayant apporté la meilleure réponse productive et financière auront une place prioritaire dans la redistribution du financement conçu à cette fin », a précisé Martinez.

Il a souligné qu’à partir de l’année prochaine, à l’exception de celles présentant un intérêt étatique, les UBPC cesseront d’être financées par le Budget de l’État. « Cependant, elles seront exemptées de la déclaration et du versement de l’impôt sur les bénéfices prévu dans la récente Loi fiscale pendant une période allant jusqu’à 5 ans, et elles bénéficieront d’une remise des dettes venues à échéance envers le fisc. En ce qui concerne les UBPC des groupes I et II, ces dettes sont estimées à 7 800 000 pesos. Ces mesures devraient contribuer à leur consolidation financière.

LES UBPC NE SONT PAS DES ENTREPRISES D’ÉTAT

Alors que les UBPC étaient bien conçues du point de vue conceptuel et juridique, il ressort du diagnostic réalisé que les obstacles à leur bon fonctionnement et la réduction de leur degré d’autonomie – à des niveaux insoutenables – sont le résultat de pratiques étrangères aux normes juridiques relatives à leur création.

Ainsi, dans le but d’assurer une harmonie avec les exigences du Décret-loi 142 de 1993 qui a donné lieu aux UBPC et qui conserve toute son actualité, un Nouveau règlement général a été élaboré, contenu dans la Résolution 574 du 13 août 2012 du ministère de l’Agriculture, paru dans la Gazette officielle.

Cette norme, qui entrera en vigueur immédiatement, confirme que les UBPC sont des entités coopératives, dont le fonctionnement est régi par le Règlement général, leur règlement interne et par leur Assemblée générale en tant que principal organe de direction.

Cette Assemblée a la faculté de décider du pourcentage des bénéfices à distribuer entre ses membres (sauf si elles affichent des pertes accumulées, auquel cas elles disposeront jusqu’à 50%).

Il est également établi qu’elles peuvent effectuer par chèque ou en liquide leurs achats de produits tels que le sel, le sucre, le vinaigre, et les produits dans le commerce de gros et de détail du ministère du Commerce intérieur (MINCIN), ainsi que les matériaux de construction à des prix non subventionnés pour la construction de logements et autres installations.

Ces possibilités s’articulent en pleine cohérence avec les autres mesures associées aux logements qui, en tant que patrimoine des UBPC, sont à diverses étapes de construction : après avoir défini leur prix, ces logements pourront être vendus aux membres, qui pourront les achever en finançant eux-même les travaux, ou avec des fonds de la coopérative.

Par ailleurs, le Nouveau règlement général précise clairement que les audits étatiques ne pourront être effectués que par les organes, les organismes et les entités de l’État habilités à cet effet. L’entreprise dont le système de production est associé à une UBPC devra se limiter à veiller au respect des normes techniques des processus de production, ainsi qu’aux contrats passés avec l’État. L’UBPC pourra écouler librement ses excédents de production.

UNE BONNE GESTION FINANCIÈRE

«  Dès leur création, les UBPC ont bénéficié d’une aide, surtout financière. Les nouvelles mesures qui viennent d’être adoptées sont d’autant plus intéressantes qu’en plus d’un important composant financier, elles sont accompagnées d’autres initiatives appelées à assurer le succès de ces structures en traitant le problème à la racine ». C’est ainsi que Julio A. Martinez résume les 17 actions conçues pour assurer la reconnaissance des UBPC comme des personnes juridiques, à égalité de conditions avec le reste des modes de production.

« De cette façon, une fois levées les contraintes imposées par l’entreprise d’État intermédiaire, à partir de 2013, le budget du Plan de l’économie sera distribué jusqu’au niveau des UBPC, ce qui leur permettra de conclure des accords avec des personnes naturelles et juridiques, toujours sur une base contractuelle, pour l’achat direct de produits et de services conformément au plan adopté, ainsi que pour leur ravitaillement interne, une possibilité également reconnue dans le Nouveau règlement.

Il est également spécifié dans les décisions que les contrats de fournitures avec les entreprises du MINAG et du Groupe sucrier seront conclus directement, sans intervention d’aucun organisme. Il en va de même pour l’achat de combustible des UBPC comprises dans le système productif du ministère de l’Agriculture.

Afin de ne laisser aucune brèche susceptible d’entraver l’exécution de ces dispositions, un accord du Comité exécutif du Conseil des ministres établit que les Organismes de l’Administration centrale de l’État (OACE) et les CAP se doivent de faire en sorte que les annexes et les entités de leurs systèmes d’entreprises de garantir les services et les ventes de matériel directement aux UBPC.

Afin d’étayer cet effort, un programme de formation a été conçu à l’intention des responsables et des conseils d’administration des UBPC, ainsi que des chefs d’entreprise et cadres du ministère de l’Agriculture. Les thèmes abordés seront consignés et mis à disposition comme un outil de travail aux responsables des UBPC et des entreprises d’État.

Il sera également indispensable de convoquer des assemblées au niveau de chaque Unité de base de production coopérative pour étudier le Nouveau règlement général et rédiger de nouveaux règlements internes.

«  Dans le cadre de ce même projet, seront fusionnées ou dissoutes les UBPC n’offrant aucune possibilité de relance (près de 300), et il a été convenu d’assurer le suivi de ces dispositions à travers les mécanismes de contrôle du MINAG et du Groupe sucrier », a précisé Martinez.

« Ce processus a pris environ 2 ans. Il est né des inquiétudes de la base productive, et il est sans précédent en 20 ans d’existence des UBPC  », a-t-il souligné.

Martinez a ajouté que ces nouvelles mesures seront étendues, en tenant compte de leur spécificité, aux Coopératives de production agricole et aux Coopératives de Crédits et de Services, afin de les aider à dépasser des entraves similaires à leur développement.

« À présent, le défi des UBPC est de vaincre, dans la pratique, la dépendance historique vis-à-vis des entreprises, et de tirer un maximum de profit des nouvelles opportunités, ce qui est étroitement lié à la reconnaissance de l’autonomie de ces formes de production coopérative par le reste des organismes et des entités. Tous ces efforts traduisent une volonté unanime de sauver les UBPC

 ».