ARES l’un des plus grands caricaturistes

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Ares est non seulement le plus grand caricaturiste cubain mais aussi l’un des plus grands et plus connus au monde. Souvenons-nous de ces dessins après le massacre des dessinateurs de Charlie Hebdo.
J’ai eu la chance de le rencontrer en accompagnant Roger Grevoul qui le voyait à l’occasion de son exposition à la Maison Victor Hugo en 2013 ou 2014.
Homme très affable, cet ancien médecin était devenu dessinateur. J’ai regardé ses œuvres avec un grand intérêt. Il faudrait qu’une exposition en France rende hommage au talent et à l’humanité d’ARES.

PHM

Traduction Chantal Costerousse

Arístides Hernández Guerrero
© Maison Victor Hugo de La Havane

Le 2 septembre 1963, Arístides Hernández Guerrero est né sous les tropiques.
Né à La Havane centre et mulâtre, il grandit comme tant d’autres, en sirotant du café au lait et des cuillerées de congrí (NdT : Préparation typique de riz), au milieu des arômes d’ail et de tabac, au rythme syncopé de l’hybridité ; "Il écoutait Aragón à la radio et la voix de son père (qui n’était pas chanteur) sur la trova traditionnelle cubaine, le Bacalao con pan d’Irakere et le Guararey de Pastora de la Pastora de Van Van dans les carnavals, tandis que dans les fêtes de son adolescence, il alternait la salsa d’Oscar de León et de Rubén Blades avec Kiss et Grand Funk Railroad".

Quelques printemps plus tard, à 60 ans, déjà distingué parmi le "Nikita chama boom" en tant qu’humoriste graphique et illustrateur reconnu, il inaugure entre amis son exposition "Mestizo", un échantillon de sa capacité singulière à capturer des essences, cette fois-ci sur son identité, qui est la nôtre.

Et pas n’importe quel jour, le 8 septembre, jour de la patronne de Cuba, de la Mambisa et de la sainte syncrétique ; comme l’esprit même qui délimite et anime Arès, libre d’atavismes, aussi rond qu’une étreinte. C’est l’impulsion qu’il transmet aux dessins, peintures et installations qui s’étalent sur les murs de la Galería au carrefour 23 y 12.

Devant la porte, ou plutôt devant une phrase de García Márquez (" Le mot métissage signifie mélanger les larmes au sang qui coule).

Que peut-on attendre d’une telle concoction ? ", nous sommes accueillis par un stub patriotique, " Azabache para el mal de ojo ", une pièce très cubaine qui a circulé dans le cyberespace et a été choisie pour l’affiche de l’exposition.

Au dos se trouve le " Bouclier " en bronze et bois que nous avons vu dans sa dernière exposition à la Villa Manuela, Tocar Madera (2018), également avec le thème central de l’identité, " la spiritualité sous différents angles : la patrie, ses symboles, la religion... ".

Le discours de l’exposition commence à gauche, avec huit peintures de taille moyenne (aquarelle, encre et crayons de couleur/carton) qui abordent le thème de la conquête et de la colonisation, du "choc des cultures" initié par Christophe Colomb.

Mais plus qu’un regard historique, celui d’Ares est dialectique, il renvoie à cette époque des événements et des objets plus contemporains, comme pour rappeler combien ces injustices et ces violences symboliques perdurent aujourd’hui.
Une église catholique dont la masse démolissant s’apprête à détruire une pyramide maya, un Indien asphyxié qui parvient à gémir "I can’t breathe" comme les Afro-Américains Eric Garner et George Floyd, une "fille au napalm" qui fuit les caravelles ?

Des vignettes incisives de ce qui devait être un livre, avec des dessins et des textes de lui, et qui, espérons-le, deviendraient un jour une réalité, grâce à un éditeur enthousiaste et bien soutenu. L’une d’entre elles a été incluse dans le livre "Una vuelta al mundo", publié par Editorial Pamiela, avec des textes de l’Espagnole Joseba Sarrionandia et des illustrations du Cubain.

A l’angle de la rue, on tombe sur "Mascaras" et "Fans", des peintures plus grandes (acrylique/toile) avec le même fonctionnement métaphorique : un monsieur en costume avec un immense masque d’iconographie précolombienne et des totems indo-américains avec les maillots modernes du Barça et du Real Madrid.

Cette trinité est complétée par "Wifi", une sculpture ancestrale "connectée" à la postmodernité avec un téléphone portable. Trois notes sur les manifestations de la colonisation culturelle.

Comme si sa propre expérience cubaine ne suffisait pas, l’artiste a récemment eu l’occasion de connaître et d’expérimenter l’influence vitale d’autres mélanges et contrastes succulents, un autre voyage à travers des canaux inédits et tout aussi fascinants. Il s’agit de la résidence artistique de l’Institut Sacatar dans l’État où se déroule le roman Nuevo Sol, plus précisément sur l’île d’Itaparica. C’est là qu’ont été conçues et/ou facturées plusieurs des pièces exposées ces jours-ci dans la galerie de La Havane.

Oeuvre de ARES
© Photo La Maison Victor Hugo de La Havane

"Egungún, Los Ancestros" est l’une d’entre elles, l’œuvre la plus singulière de "Mestizo". Une installation composée de livres d’art inspirés des costumes d’une cérémonie d’origine africaine qui l’ont impressionné sur place, "pour leur proximité avec l’ancestral et pour la richesse visuelle, la force et la cadence de leurs mouvements...". Des dessins à dominante africaine, mais qui s’échappent vers d’autres iconographies : américaine, arabe, japonaise... Au centre, un costume rouge, un livre/porte qui tient un miroir, "une fenêtre de lumière dans l’obscurité".

Elle est suivie de "Habana 6 am", un lever de soleil peint à la Havane ou le réveil avec un heurtoir.

Cinq œuvres nous bénissent depuis le mur du fond : "Pachamama", "Girasoles para la virgen", "Fe", "Virgen negra" et "Virgen con alas".

À l’exception de la première, elles sont inédites. Celle du milieu réalisée au Brésil, la dernière projetée ici mais réalisée ici, est la plus fraîche.

Deux peintures sur portes comme celles qui composaient Tocar madera, deux sculptures et une peinture sur toile. Diverses approches de la religiosité qui cohabite avec Notre Amérique, créées par un athée, mais avec respect et sensibilité.

Oeuvre de ARES
© Photo La Maison Victor Hugo de La Havane

Il s’agit d’œuvres d’excellente facture, dans le style d’Ares, à la fois "graphisme néo-humoristique et dessin sérieux, peinture de la pensée et psycho-art, expression post-conceptualiste hybridée dans un code figuratif et plastique qui fusionne la poésie, l’ironie, la communication pour l’esprit agile et la métaphore", selon les termes du peintre et critique Manuel López Oliva. Ils communiquent de manière agréable, sur un ton satirique, des aspects inédits des questions cardinales de l’être cubain, de notre être américain, de l’homo sapiens.

Avec cette compilation thématique, comme le dit Odette Bello, historienne de l’art et épouse de l’artiste, "Arès propose une révision de l’histoire et remet en question les récits occidentaux hégémoniques et civilisateurs... Il s’intéresse aussi à mettre en lumière les épisodes qui sont omis dans les macro-récits épiques, c’est peut-être pour cela qu’il y a tant de femmes comme protagonistes dans les œuvres de cette exposition... Il propose un regard sur le passé qui entraîne implicitement une remise en question du présent".

Plus qu’une exposition d’art ou un hommage, Mestizo est un outil de communication ludique, un exercice journalistique astucieux qui se concentre sur des thèmes "terrestres" hautement radioactifs, à la fois locaux et universels. Ares Mixticius n’est pas un "globe", c’est une planète que je me propose d’explorer parce que, sans aucun doute, il y a beaucoup de vie dessus". C’est ainsi que la commissaire de l’exposition, Meira Marrero Díaz, termine ses réflexions pour le catalogue.

Une invitation de la part de quelqu’un qui connaît bien les charmes de la succulente exposition de cette métisse qui signe Ares.

Roger Grévoul, Ares et Philippe Mano à la Maison Victor Hugo de La Havane